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L’Europe cède sa place à l’Amérique du Sud sur le marché des broutards au Maghreb

Rejoindre l'Afrique du Nord depuis le Sud de l'Europe par bateau prend une à deux journées. La traversée de l'Atlantique pour relier l'Amérique du Sud au Maghreb demande trois semaines.

En 2024, les pays d’Afrique du Nord se sont plus que jamais rapprochés de l’Amérique du Sud pour assurer leur approvisionnement en viande bovine. En bovin fini comme le vif, ces États délaissent le marché européen où la disponibilité demeure faible et les prix prohibitifs. En d’autres termes, faire traverser l’Atlantique à un broutard brésilien coûte aujourd’hui moins cher aux pays du Maghreb, que d’importer des animaux français.

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« La France pèse de moins en moins lourd en Afrique du nord », constate Michel Fénéon, président de la commission import-export de la FFCB. L’Algérie, principal partenaire commercial de l’Hexagone dans la zone, a stoppé l’importation de broutards en 2023 suite à l’apparition des premiers cas de MHE sur des bovins français. Au-delà des problématiques sanitaires, les tensions diplomatiques expliquent le tarissement des échanges. « La prise de position de la France sur la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental - entre autres - n’aide pas à la réouverture du marché », précise Maxime Le Glaunec du service économie des filières à l’Idele à l’occasion des marchés mondiaux de la viande. Si bien qu’après un pic d’exportation à 70 000 têtes en 2022, aucun broutard français n’a foulé le sol algérien en 2024.

La géopolitique et le contexte sanitaire contraignent les échanges

Plus récemment, l’apparition de cas de dermatose bovine en France a conduit à suspendre les échanges de vif avec le Maroc. Si la maladie est enzootique dans la plupart des pays africains, le Maroc est le seul pays d’Afrique du Nord à ne jamais avoir constaté de foyers de DNC sur son territoire. Un contexte sanitaire qui pousse le gouvernement à la prudence, alors qu’un peu plus de 10 000 broutards français foulaient le sol marocain en 2024.

La Turquie reste peut-être le partenaire le plus important de la France dans la zone, avec des échanges de viande, tandis que le contexte sanitaire lié à la FCO rend impossible l’export de vif. En 2024, autour de 20 000 tonnes équivalent carcasse étaient ainsi envoyées en Turquie. La France a également pu compter sur des échanges de broutards à la hauteur de 10 000 têtes en 2024 avec la Tunisie, à la faveur d’un contexte sanitaire compatible.

Il est toujours préférable d’avoir des ouvertures vers les pays tiers

Si ces marchés peuvent sembler dérisoires à l’heure de la décapitalisation bovine, pour Michel Fénéon, « il est toujours préférable d’avoir des ouvertures vers les pays tiers pour soutenir les prix en cas de problème ». L’export vers l’Afrique du Nord a longtemps permis d’apporter un « coup de boost sur les cours », rappelle le vice-président de la FFCB.

Difficile pour autant d’espérer le même impact que par le passé, « nous sommes à des niveaux de prix très haut, et les broutards français ne sont plus vraiment abordables pour ces acheteurs ».

Un broutard brésilien rendu Casablanca coûte 3,60 €/kg vif

Si ces pays se tournent vers l’Amérique du Sud, c’est parce qu’elle dispose de bovins en quantité à des prix abordables. Le prix du broutard brésilien ou argentin rendu Casablanca ne peut rivaliser avec celui du broutard français. « Aujourd’hui, un Nélore (vache zébu) de 500 kg au Brésil préparé pour embarquer vers le Maroc coûte 2,50 $/kg vif. A cela s’ajoute autour de 1,20 $/kg vif pour le transport en bateau, ce qui donne un prix du bovin brésilien rendu Casablanca autour de 3,70 $/kg vif », détaille Michel Fénéon. Compter en euro autour de 3,15 €/kg vif.

« Pour se donner un autre ordre d’idée, un broutard Angus ou croisé de 260 kg se vend autour de 3$ prêt à l’export. En ajoutant les 1,20 $/kg de frais de transport, on obtient des broutards à 3,60 €/kg au port sur la rive sud de la Méditerranée ». En France, difficile de trouver un broutard à moins de 5 €/kg vif. « Ce sont des pays qui veulent des petits poids. Chez nous, peu d’éleveurs laissent partir des animaux de 250 kg. Nous sommes sur des produits plus lourds et donc plus chers, portés par des cotations beaucoup plus élevées qu’en Amérique du Sud », tranche le spécialiste de l’import-export.

Le transport représente un quart du prix de vente

Le coût de production brésilien, parmi les plus bas au monde, permet de rendre compétitif l’export de broutards au long cours. Sur un broutard rendu Casablanca, le transport représente en général un peu plus d’un quart du prix de vente. « Affréter un bateau pour croiser l’Atlantique coûte autour d’un million et demi d’euros, et permet de transporter autour de 3 000 broutards ou 5 000 bovins finis », détaille Michel Fénéon. Compter ensuite trois semaines pour rejoindre le nord-ouest de l’Afrique depuis l’Amérique du Sud. Si ces trajets peuvent étonner, pour le spécialiste de l’import-export, il ne faut pas s’y méprendre : « les broutards prennent du poids pendant le transport, ce sont des voyages qui se passent dans de bonnes conditions ».

D’après les données du service économie de l’élevage, le coût de production au Brésil oscillait entre 271 et 334 € les 100 kg de carcasse en 2023 selon la taille des ateliers. Dans le même temps, la France affiche un coût de production moyen en atelier d’engraissement autour de 538 € les 100 kg de carcasse.

Le Brésil fournit la moitié du vif importé en Afrique du Nord

Cette compétitivité a conduit le Brésil, la Colombie ou encore l’Uruguay à intensifier leurs échanges avec la moitié sud du bassin méditerranéen. « Les importations de bovins brésiliens représentaient ainsi la moitié des bovins non reproducteurs importés par la zone, contre seulement un tiers en 2023 », insiste le service économie de l’élevage. Dans le même temps, l’Europe a perdu 10 points de parts de marché. « La Turquie, premier importateur du bassin méditerranéen avec près de 500 000 têtes, s’est exclusivement fournie en Amérique du Sud », précise Maxime Le Glaunec.

L’Amérique du Sud se positionne également sur le marché de la viande, et vient talonner l’Inde qui reste le premier fournisseur de la rive sur du bassin méditerranéen.

« L’Amérique du Sud a d’énormes disponibilités en marchandise. La hausse des importations à destination de l’Afrique du Nord s’absorbe sans difficulté et se ressent peu sur les prix », détaille Michel Fénéon. La compétitivité du broutard uruguayen ou brésilien est telle, qu’elle permet de devancer la proximité géographique entre l’Europe et le Maghreb.

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