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Télémédecine Les éleveurs partants, les vétos plus réticents

Cette pratique pourrait constituer un outil précieux pour parer au risque de désert vétérinaire. Plus de la moitié des éleveurs interrogés envisageraient une téléconsultation. Il reste à définir un cadre et des modalités de facturation acceptables.

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La télémédecine est la pratique à distance de la médecine utilisant les technologies d’information et de communication. En médecine humaine, le décret encadrant cette pratique date de 2009 et depuis 2018, l’acte de télémédecine est pris en charge par la Sécurité sociale. La télémédecine vétérinaire est restée interdite jusqu’en mai 2020, date de publication d’un décret du ministère de l’Agriculture qui l’autorise au titre d’une expérimentation pendant dix-huit mois, soit jusqu’au 7 novembre 2021.

La crise du Covid-19 a visiblement été un catalyseur, car les organisations professionnelles s’étaient toujours montrées très frileuses quant au recours à cette pratique. Leurs craintes : un diagnostic et un suivi sanitaire altérés. Le décret qui encadre la télémédecine vétérinaire précise que seul le vétérinaire traitant peut adopter cette modalité vis-à-vis des animaux dont il a la charge. « La téléconsultation ne peut s’effectuer que dans le cadre du suivi sanitaire permanent, dès lors qu’une visite physique du troupeau a été réalisée depuis moins de six mois », précise le texte. Et pour les animaux de compagnie, le vétérinaire doit avoir vu l’animal en consultation depuis moins d’un an.

Des animaux de plus en plus connectés

On peut distinguer plusieurs branches de télémédecine : la téléconsultation, qui est une consultation à distance en temps réel ; la télésurveillance, qui permet d’interpréter à distance des données numériques issues du monitoring ; le télétriage, qui vise à estimer le degré d’urgence de la prise en charge ; enfin la télé-expertise et la téléassistance qui, de vétérinaire à vétérinaire, permettent de faire appel à des consultants experts. Quelles peuvent être les motivations pour un vétérinaire à utiliser la télémédecine ? « En premier lieu, la demande des propriétaires. En médecine canine, les animaux les plus stressés, comme les chats, peuvent être de bons candidats à cette méthode de consultation parce qu’elle leur évite le déplacement au cabinet. En rurale, il y a de plus en plus d’animaux connectés (via les robots, les outils de monitoring…), qui génèrent une multitude de données utilisables en télésurveillance. Et n’oublions pas les déserts médicaux de certaines régions, où la télémédecine pourrait constituer une opportunité », explique Raphaël Guatteo, professeur à Oniris. Cependant, une enquête nationale menée par l’Ordre des vétérinaires, dans le cadre de l’expérimentation, montre le peu d’appétence de l’ensemble des praticiens pour la télémédecine : seulement 15,2 % des répondants y ont eu recours, et ceux qui ne l’ont pas utilisée estiment qu’ils n’en ont pas besoin, qu’ils sont contre, ou qu’ils craignent des dérives. Et qu’en pensent les éleveurs ? L’association Vet IN Tech, groupe de réflexion sur l’e-santé animale, s’est emparée de ce sujet. Après avoir interrogé les propriétaires d’animaux de compagnie, elle a commandé à l’agence BVA une deuxième étude, menée cette fois-ci auprès d’un échantillon représentatif d’éleveurs d’animaux de rente, afin d’évaluer l’intérêt qu’ils portent à la téléconsultation et de recueillir leurs arguments : 956 éleveurs de bovins et de porcs (880 en bovins exclusivement) ont été interrogés par courriel en juin 2021.

Le téléphone fonctionne­ déjà bien

Au préalable, cette enquête a évalué le suivi vétérinaire actuel. Il en ressort qu’une très grande majorité d’éleveurs fait appel à un seul cabinet vétérinaire, et qu’ils sont tous satisfaits de la disponibilité de leur praticien. Plus de la moitié (55 %) des éleveurs de bovins disposent de son numéro de mobile et s’en servent pour demander conseil, en l’appelant ou bien par SMS. De manière générale, les élevages sont plutôt à proximité d’un cabinet vétérinaire (moins de 30 km) et l’enquête ne met pas en évidence de déficit de vétérinaires ruraux. « Nous savons pourtant qu’il y a des tensions dans certains territoires, et cela pourrait s’aggraver dans les années à venir, affirme Raphaël Guatteo. Mais effectivement, dans de nombreuses régions rurales, il vaut mieux être une vache malade qu’un humain malade ! »

On apprend aussi que les visites du vétérinaire dans l’élevage sont peu fréquentes : moins d’une fois par mois pour 65 % des éleveurs de bovins. « Le niveau technique des éleveurs a progressé et le bilan sanitaire avec le protocole­ de soins annuel leur permet d’être plus autonomes. » Dans les élevages de bovins, 93 % des soins vétérinaires sont facturés à la visite (58 % en porcs), et seulement 24 % des cabinets­ proposent à leur clientèle des offres de suivi forfaitisées connues de l’éleveur. « C’est une activité différente du rôle habituel d’urgentiste, avec une orientation plus zootechnique et une relation différente avec l’éleveur, note Raphaël Guatteo. Elle devrait se développer dans les structures qui voudront demain maintenir leur activité en rural. »

Une offre quasiment absente

Concernant le point particulier de la télémédecine vétérinaire, 17 % seulement des éleveurs de bovins en ont déjà entendu parler, et 2 % ont eu connaissance d’une offre par leur cabinet. Ils sont donc peu nombreux à avoir bénéficié d’une téléconsultation effective, par téléphone ou interface vidéo. Ce petit échantillon met en avant une intervention plus rapide du vétérinaire grâce à la consultation à distance. Ces éleveurs s’estiment aussi très satisfaits de l’expérience et expriment une grande confiance dans le diagnostic qui leur a été fourni. Durant cette première phase exploratoire, ce service n’était généralement pas facturé par le vétérinaire.

À la question « Si votre vétérinaire vous le proposait, envisageriez-vous de recourir à la téléconsultation ? », 56 % des éleveurs de bovins répondent par l’affirmative. Ils mettent aussi en avant une intervention plus rapide et… moins chère. Mais cette adhésion ne vaut pas pour tous les usages. La téléconsultation est envisagée pour obtenir l’avis du vétérinaire habituel, pour un suivi après une visite pour un animal malade, ou pour obtenir un conseil d’urgence. Mais la confiance dans le diagnostic est plus faible que dans le cas d’une visite physique. « Les éleveurs ont du mal à se projeter en confiance dans une téléconsultation, alors qu’en pratique, lorsqu’ils ont passé le cap, cette confiance est la même que lors d’une consultation en présentiel », analysent les auteurs de l’enquête.

Concernant l’éventuelle facturation, la majorité estime qu’elle doit être dans tous les cas moins chère qu’en présentiel. « Beaucoup d’éleveurs se sont habitués au conseil gratuit du vétérinaire par téléphone ou par SMS, remarque Raphaël Guatteo. Il sera donc difficile de faire payer une vraie téléconsultation comme peuvent l’accepter les propriétaires d’animaux de compagnie. Il est vrai également que les éleveurs appellent en général quand l’animal est très malade, ce qui impose souvent de le voir. Je crois davantage au développement de la télésurveillance, qui analyse les données de santé de l’élevage dans le cadre d’une offre de soins forfaitaire globale. » D’ailleurs, six éleveurs sur dix souhaitent avoir la possibilité de transmettre les données de santé de leur élevage à leur vétérinaire pour améliorer la prévention, bénéficier d’un meilleur suivi et d’un accompagnement à la prise de décision. Il y a là un axe fort d’évolution du rôle du vétérinaire en élevage bovin.

Dominique Grémy

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