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Rentabilité Ce qui a changé

Entre la volatilité des prix et la disparition des quotas, le contexte dans lequel évoluent les exploitations a profondément changé. Leur mode de gestion doit suivre.

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Qu’il est loin le temps où les laitiers produisaient chaque année le même volume et percevaient un prix stable, presque un salaire. À l’époque, ceux qui maîtrisaient les techniques d’élevage étaient quasiment assurés de dégager un revenu. En contrepartie, la plupart vivaient dans une situation figée sans possibilité de développer leur troupeau.

Une première rupture s’est produite en 2009. Chacun a péniblement touché du doigt la réalité nouvelle de la volatilité des prix du lait et des intrants. Un choc qui a laissé des traces. Puis, en 2015, le verrou des quotas a sauté, ouvrant à ceux qui le voulaient, pour peu qu’ils obtiennent l’aval de leur laiterie, l’opportunité de développer le lait.

L’efficacité économique a dévissé

Tout cela a pesé sur l’économie des exploitations. Et l’Institut de l’élevage, qui analyse chaque année les résultats comptables, lance un cri d’alarme : « Sur les quatre dernières années, 30 % des éleveurs sont dans le rouge pour au moins trois exercices, constate Benoît Rubin. Ce n’est pas normal. » Il ajoute que les livraisons de lait ont augmenté en moyenne, mais les résultats économiques n’ont pas suivi. Une autre anomalie qui révèle un manque de rentabilité, même si l’on sait qu’en plaine, la baisse des aides Pac joue aussi.

Pour comprendre, Idele reste fidèle à sa méthode de comparaison des groupes, en regardant ce qui différencie le quart supérieur du quart inférieur. Une méthode qui agace certains mais qui a fait ses preuves pour déceler des marges de progrès.

Les dernières analyses montrent, comme les précédentes, des écarts importants entre les extrêmes, d’environ 100 € d’EBE/1 000 l de lait. Mais désormais, la maîtrise des approvisionnements et des techniques d’élevage ne garantit plus la rentabilité. Elle reste indispensable, mais le niveau des annuités et le mode de financement des investissements viennent également expliquer les écarts entre les exploitations rentables et les autres. Ces critères pèsent lourd dans l’existence, ou non, d’une marge de manœuvre. Sur les 100 € d’écart d’EBE constatés entre le quart inférieur et le quart supérieur, 30 € s’expliquent par la mécanisation, 18 € par l’alimentation et 15 € par le bâtiment pour les élevages de plaine où le maïs est dominant dans la ration (voir infographie). La hiérarchie varie un peu selon les systèmes de production, mais la mécanisation se place presque toujours en tête. Sauf pour les élevages robotisés chez lesquels l’écart majeur ­concerne le bâtiment.

Les difficultés ont aussi des origines structurelles

Autrement dit, la conjoncture n’explique pas toutes les difficultés. La hausse des prix des intrants ou la baisse des prix de vente fragilisent tout le monde. Les aléas climatiques peuvent aussi peser lourdement sur les résultats. Et la spécialisation laitière accroît logiquement cette sensibilité. Mais derrière des résultats régulièrement insuffisants se cachent presque toujours des raisons structurelles.

Pour ne pas tomber dans ce piège, la gestion des risques, des investissements et de la main-d’œuvre est devenue capitale, mais tout le monde n’en a pas bien pris conscience. Bien des éleveurs se retrouvent débordés par le travail quotidien et ne peuvent plus consacrer suffisamment de temps à la gestion. Il s’agit pourtant de la dernière tâche à déléguer.

Quand la question d’investir se pose, celle du retour sur investissement doit suivre, qu’il s’agisse d’un tracteur, de travaux dans les bâtiments ou autres. « Si l’investissement envisagé ne permet pas d’améliorer l’EBE, on court à la catastrophe », remarque Benoît Rubin. Car au premier fléchissement de la conjoncture, l’EBE sera insuffisant pour payer les annuités. Les bonnes années doivent servir à constituer une réserve de sécurité, pas à payer des investissements non rentables.

Il faut savoir aussi que le prix d’équilibre calculé par la banque ne repose pas sur une approche de gestion. Il s’agit simplement d’estimer la capacité de remboursement. Ce n’est donc pas un indicateur suffisant pour l’éleveur. Chacun doit définir sa stratégie d’investissement. Il s’agit notamment de savoir comment piloter la marge d’autofinancement quand elle est positive : va-t-on la consommer ou constituer une épargne de précaution ?

Ensuite, il faut savoir que les recettes de la vente de lait ne permettent plus de financer un outil de production complet à neuf. Le capital nécessaire pour produire a beaucoup augmenté. Les investissements élevés visent souvent une amélioration de la productivité du travail. Mais les surcoûts engendrés dépassent généralement le coût de la main-d’œuvre et la capacité de financement de l’atelier laitier.

Ceux qui parviennent à tout refaire sont généralement des éleveurs en milieu de carrière qui ont conservé les revenus des bonnes années passées. Mais un jeune agriculteur ne peut plus croire que le lait paiera les 2 000 €/1 000 litres de lait de capital nécessaires pour construire un outil neuf. Quand l’annuité dépasse 100 €/1 000 l, l’espoir de rentabilité s’écroule. Les analyses de comptabilité montrent clairement qu’à ce niveau, les exploitations se trouvent presque toutes en difficulté. Il faut faire des choix et savoir hiérarchiser les besoins pour décaler certains postes dans le temps.

Bien évaluer les conséquences d’un agrandissement

Autre découverte dans ce nouveau contexte, le changement de dimension d’une ferme a de multiples conséquences. Il y a d’abord toutes les perturbations liées à la période de chantier. Il est fréquent qu’à la faveur d’un relâchement de la surveillance, on constate des dérapages sur la production et la santé du troupeau. Il faut donc anticiper au minimum une baisse provisoire des ­performances technico-économiques. Ensuite, les agrandissements récents se sont réalisés bien souvent à la marge, dans un objectif de saturation du bâtiment pour produire les litres supplémentaires au coût marginal. Une stratégie pleine de bon sens, notamment quand il s’agit de produire du lait payé au prix B. Mais le besoin en main-d’œuvre supplémentaire a souvent été oublié, ce qui a entraîné un recul des performances.

Dans un deuxième temps, lorsque le bâtiment est saturé, augmenter la production implique des investissements plus lourds. Beaucoup sont aujourd’hui à ce stade. Alors que les équipements étaient amortis à 50 % il y a quelques années, les nouveaux investissements sont nettement plus coûteux.

Main-d’œuvre : l’enjeu de la rationalisation

Enfin, et contrairement à ce qui se passe chez nos voisins, les forts agrandissements de troupeaux entraînent presque toujours une modification de la conduite. Avec des impacts économiques souvent non anticipés. L’exemple le plus courant est celui de l’abandon du pâturage, qui fait gonfler le coût alimentaire. De plus, l’agrandissement permet de réaliser des économies d’échelle, essentiellement sur les frais généraux et la main-d’œuvre. Elles restent modiques sur le premier poste. En revanche, elles sont potentiellement importantes sur le second, à condition de la considérer comme un élément du coût de production. Ce n’est pas le cas en France. En effet, la main-d’œuvre, majoritairement familiale ou associée, n’est pas considérée comme une charge que l’on peut éventuellement réduire. L’agrandissement ne conduit donc pas à augmenter la productivité de la main-d’œuvre via la spécialisation des tâches et l’automatisation. Et les économies d’échelle restent faibles.

L’un des enjeux de demain sera de proposer des emplois en phase avec la main-d’œuvre disponible et ses compétences afin d’aboutir à une meilleure rationalisation du travail.

Au final, « les stratégies d’augmentation des volumes de lait livré peuvent avoir du sens quand une bonne efficience initiale est obtenue », remarque Benoît Rubin. Mais les investissements engagés et l’endettement qui en résulte doivent être compensés par la rentabilité des volumes produits.

Pascale Le Cann

© Henri Etignard - Annuités. Les investissements doivent déboucher sur une hausse de l’EBE capable de couvrir les nouvelles annuités.

© CHristian Watier - Gestion. La stratégie de l’exploitation conditionne sa réussite économique. Il appartient à chacun de prendre le temps d’y réfléchir, éventuellement avec ses associés.

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