Contrats laitiers Tout reste à écrire
La plupart des contrats arrivent à échéance et sont donc en cours de renégociation. La loi Sapin 2 change la donne en imposant la prise en compte des coûts de production et du mix-produit de l’entreprise. Les avancées sont très diverses selon les laiteries.
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C’était il y a cinq ans déjà. Producteurs et industriels privés signaient des contrats, formalisant une relation fondée sur des pratiques quotidiennes et des accords interprofessionnels. Ces contrats se déclinent de deux façons : individuel avec une convention de fonctionnement entre l’OP et l’industriel (Lactalis) ou contrat-cadre signé entre les deux parties, plus un contrat d’application entre le producteur et l’entreprise (Savencia, Danone, Senagral, Bel). Cette deuxième formule laisse plus de place aux OP pour la gestion des volumes : constitution d’une réserve, regard sur les contrats cédés, etc.
Souvent d’une durée de cinq ans (sept pour Savencia et Bel), la plupart des contrats arrivent à échéance. Les négociations entre OP et industriels ont commencé fin 2016, voire dès 2015 (Danone). Pour les producteurs, l’objectif est de rééquilibrer la relation contractuelle, tout en gagnant en lisibilité.
Une référence obligatoire au coût de production
C’est à ce double objectif que veut répondre la loi Sapin 2, publiée en décembre. Les modalités de calcul du prix du lait devront intégrer les coûts de production des éleveurs en s’appuyant sur « des indices publics de coûts de production ». « La loi ne dit pas comment prendre en compte ces données. Est-ce par un ou des indices de variation du coût de production ? Est-ce par un niveau seuil ou une marge minimum qui déclenchent une révision du prix du lait ? Il revient à chaque OP ou association d’OP de le négocier avec l’entreprise », indique Maud Marguet, de la chambre d’agriculture de Bretagne.
La loi Sapin 2 demande également que la formule de calcul fasse « référence à un ou plusieurs indices publics de vente des principaux produits fabriqués par l’acheteur ». Les indicateurs de marchés utilisés aujourd’hui (fromages export, valorisation beurre poudre et écart franco-allemand) pourraient être remplacés par d’autres plus représentatifs du mix-produit de l’industriel… S’ils existent.
Des propositions de contrat avant le 1er avril
Là encore, leur choix sera le fruit de la négociation. Pas sûr que le transformateur qui développe les ingrédients bien valorisés veuille s’éloigner de l’indicateur beurre poudre. De même, pas sûr que les producteurs dont le lait est transformé en produits frais acceptent une référence à ce marché qui recule. Dommage que la loi Sapin 2 n’aille pas jusqu’au bout de sa logique. Elle n’oblige pas les industriels à communiquer leur mix-produit aux producteurs. Tout comme ils ne sont pas tenus de les informer du prix du lait prévisionnel moyen mentionné dans les conditions générales de vente établies avec leurs clients.
Que dit encore la loi ? Si les négociations se déroulent avec une OP ou une AOP, la loi Sapin 2 exige leur finalisation dans un contrat-cadre. « Hors OP, l’industriel doit adresser directement une proposition de contrat au producteur », précise Francis Amand, le médiateur des relations commerciales. « Elle doit envoyer une proposition conforme à la loi avant le 1er avril 2017, sous peine d’une amende maximum de 75 000 € par producteur. Cette menace ne concerne pas directement les négociations entre une OP ou une AOP et l’entreprise dès lors que l’absence d’accord-cadre ne pourrait pas être imputée au seul industriel. En tout état de cause, en l’absence d’accord-cadre au 1er avril, il devra faire une proposition de contrat individuel conforme à la loi à chaque adhérent, à cette date, sauf à s’exposer aux mêmes sanctions », poursuit-il.
Ça patine chez Lactalis
Aux dires des représentants d’OP qui négocient avec Lactalis, les discussions n’avancent pas vite. D’ailleurs, et le responsable des approvisionnements de l’entreprise, Serge Moly, ne s’en cache pas, cette question n’est pas une priorité pour lui. Douze OP coexistent au sein de cette entreprise pour les producteurs de lait standard. C’est beaucoup et surtout, elles ne regroupent qu’environ 40 % des livreurs. Autant dire que l’enjeu est ailleurs. Les représentants des OP ont le sentiment que l’entreprise fait traîner les discussions pour que les OP n’aient rien à proposer aux éleveurs. Elle joue la montre et le moment venu, elle enverra le contrat qu’elle aura soigneusement ficelé. D’ailleurs, elle a planifié 150 réunions à travers la France pour informer ses livreurs en direct.
Les OP avaient espéré que le contrat-cadre prévu dans la loi Sapin 2 obligerait l’entreprise à revenir sur sa stratégie de contrats individuels. Visiblement, il n’en est rien. Et le manque d’intérêt des livreurs pour les OP lui facilite la tâche.
À l’Unell, qui rassemble huit OP, le président Claude Bonnet reconnaît que la négociation a tardé à démarrer en raison des débats sur le prix du lait. Sur ce point, son objectif est de simplifier la formule avec des indicateurs fiables et en intégrant le coût de production. Mais avec des adhérents présents dans diverses régions, les coûts de production font le grand écart. Pas facile de trouver une méthode qui convienne à tous.
Claude Bonnet souhaite aussi une meilleure prise en compte du mix-produit de l’entreprise. Toute la difficulté réside dans l’obtention des informations. Et il voudrait que le calcul rende le prix plus réactif par rapport au marché.
La question de la cessibilité des contrats est compliquée par le fait que les membres de l’Unell ont des pratiques différentes sur ce point. Claude Bonnet veut rendre les OP incontournables sur la gestion des volumes quand Lactalis reste attaché à une gestion individuelle. Enfin, l’Unell espère faire évoluer la clause de sauvegarde pour prendre en compte, par exemple, des difficultés économiques.
Les discussions n’avancent pas plus vite avec OPLGO. « À la mi-février, il n’y a aucun projet sur la table », reconnaît Denis Tandé. Il s’indigne de la menace de Lactalis de rompre le contrat en cas de facturation par l’éleveur. Or, la loi Sapin 2 lui donne cette possibilité. Il aurait souhaité un dispositif de soutien aux JA, mais le groupe ne le suit pas.
Dans ce flou général, une association se distingue. L’Allo (Association des laitiers Lactalis de l’Ouest) cherche d’abord à obtenir son statut d’OP. Mais en attendant, elle se veut proactive et discute avec l’entreprise (voir LEL janvier 2017, page 16). Ces Bretons revendiquent un attachement à la liberté d’entreprendre. Un état d’esprit qui fonctionne peut-être mieux avec Lactalis que la volonté de gestion collective des autres OP.
Plus cool chez Savencia
Savencia et les douze OP – réunies dans l’AOPSunlait – abordent les négociations avec un peu plus de sérénité. Leurs discussions ne sont pas sous pression car le contrat arrive à échéance en 2019. De plus, ils sont déjà dans l’esprit de la loi Sapin 2 puisqu’en 2012, chaque OP a signé un contrat-cadre avec le fromager. « En plus du contrat-cadre, nous sommes dans les clous de la loi sur deux autres éléments : le mandat de facturation que le producteur donne à Savencia et la transmission mensuelle à l’OP des éléments qui figurent sur les factures », souligne Daniel Chevreul, responsable des approvisionnements en lait. Pour l’industriel, il ne reste plus qu’à définir deux nouveaux indicateurs, un relatif aux coûts de production et un au mix-produit. « Nous analysons ensemble les indicateurs publics qui existent. Nous choisirons parmi eux », ajoute-t-il. Il n’en dit pas plus. L’AOP se dévoile davantage. Jugeant qu’elle n’est pas contrainte par la date-butoir du 1er avril, elle préfère prendre plus de temps pour arriver à une conclusion satisfaisante. Elle veut jeter les bases d’un contrat-cadre Sunlait-Savencia. Les douze OP achèvent une enquête sur ce sujet auprès de leurs adhérents. « Ils sont hostiles aux fortes variations de prix qui génèrent des problèmes de trésorerie. Ils préfèrent un système sécurisé. Il faut trouver le bon équilibre entre cette préoccupation et le souhait de Savencia d’un prix plus réactif », résume Denis Berranger, président de l’AOP.
Sunlait souhaite aussi mettre sur la table la question des volumes, cette problématique étant différente selon les régions. Dans l’Ouest, la collecte reste dynamique, dans les autres elle l’est moins. Sunlait défend l’idée d’une référence par OP, définie sur les perspectives de sa région et les besoins en approvisionnement de Savencia par usine. Le principe de mutualisation nationale des volumes qui existe aujourd’hui entre OP serait maintenu mais pour répondre à des besoins ponctuels. Au socle commun du contrat-cadre Sunlait-Savencia pourraient être ajoutées des spécificités régionales.
Claire Hue et Pascale Le CannPour accéder à l'ensembles nos offres :