Maillage vétérinaire : susciter les vocations pour les animaux d’élevage
Pour garantir la sécurité sanitaire de l’élevage français, les initiatives se multiplient pour remailler le territoire avec non plus le vétérinaire pompier, mais le partenaire de proximité à part entière.
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« Le phénomène des déserts vétérinaires est une réalité qui tend à s’amplifier dans certains territoires, rappelait Matthieu Mourou, conseiller national de l’Ordre des vétérinaires, à l’occasion d’une conférence organisée au Space. Cette situation pourrait à terme engendrer d’importantes conséquences pour la pérennité des exploitations d’élevage, mais aussi poser des problèmes de santé publique. » La réalité de la déprise vétérinaire spécialisée dans les animaux d’élevage est multifactorielle et parfois indépendante de la profession : difficultés à recruter, perte de rentabilité économique dans un contexte de baisse de la densité d’élevage, manque d’attractivité des territoires pour les jeunes diplômés.
Une hausse du numerus clausus
Dans tous les cas, les chiffres tordent le cou à l’idée reçue selon laquelle il suffirait de former davantage de vétérinaires pour faire face à l’enjeu du maillage territorial.
En effet, depuis 2010, l’augmentation du numerus clausus a permis de doubler progressivement le nombre d’étudiants formés chaque année. « Compte tenu de la démographie vétérinaire, il faudrait former de 1 000 à 1 200 vétérinaires par an pour combler les besoins », rappelle Raphaël Guatteo, enseignant-chercheur à l’école vétérinaire de Nantes. Le nombre de places dans les quatre écoles nationales vétérinaires (ENV) publiques est ainsi passé de 120 à bientôt 180 par an en 2025, plus une centaine d’étudiants de l’institut privé UniLaSalle de Rouen ouvert en 2022. À cela s’ajoute le double d’étudiants formés à l’étranger, en Belgique, mais aussi en Roumanie, en Tchéquie, au Portugal et en Espagne, où l’équivalence des diplômes a été reconnue par l’Union européenne. Cette tendance de fond indique que le métier suscite bien plus d’intérêt que le nombre de places disponibles dans les ENV. « Selon les projections, les deux tiers des nouveaux diplômés inscrits à l’ordre seront formés à l’étranger d’ici à 2027-2028. Un flux qui pourrait engendrer un trop-plein, si tous aspirent à travailler au même endroit. »
Selon les dernières données de l’Atlas démographique de la profession, au 31 décembre 2022, la France comptait 20 844 vétérinaires inscrits à l’ordre, soit une progression de 16 % depuis 2016. Mais, dans le détail, 75 % déclarent une activité « canine » prédominante, c’est-à-dire tournée vers les animaux de compagnie. Avec 16,5 % des inscrits déclarant une activité pour les animaux d’élevage, le nombre de ces vétérinaires est en constante baisse : il est passé de 3 451 à 3 406 en cinq ans. Le chiffre d’affaires croissant de la canine (+ 10 % par an) absorbe les jeunes diplômés vers une activité moins exigeante, à la fois en matière de charge mentale et d’investissements.
L’enjeu du maillage ne consiste donc pas à former davantage de vétérinaires, mais à susciter les vocations pour la « rurale » d’étudiants essentiellement d’origine citadine : plus d’un tiers de ceux des classes prépa classiques est issu de Paris et sa banlieue ouest.
Le modèle économique au cœur du problème
En ce sens, depuis 2021, une nouvelle voie d’accès aux ENV a été ouverte juste après le Bac, via Parcoursup, pour entamer directement les six ans d’études. « Un des objectifs est de recruter des étudiants d’horizons différents, d’une plus grande diversité sociale et territoriale », explique Raphaël Guatteo. Sur plus de 4 000 candidatures, 280 candidats ont ainsi été retenus à l’issue des sélections. Parmi eux, très peu d’enfants d’agriculteurs ou de lycées agricoles. S’orienteront-ils davantage vers la « rurale » ? « Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. Ce que l’on observe à l’ENV de Nantes, c’est que la médecine des animaux d’élevage reste attractive. Le problème est d’y faire carrière. Cela ne peut se construire que par une meilleure appréhension des spécificités du métier pendant les études. Au-delà de la formation, c’est aussi une question d’aménagement des territoires et de leur attractivité. »
Une des pistes est l’accueil des stagiaires vétérinaires sur le terrain. C’est l’un des objectifs de la loi DDADUE, adoptée en décembre 2020, qui autorise l’octroi d’aides financières et/ou matérielles aux vétérinaires, mais aussi aux étudiants stagiaires, par les collectivités locales. La Région Grand Est s’est notamment saisie de ce levier d’action depuis 2022.
« Les jeunes seront davantage soucieux de préserver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Ce soutien financier est intéressant pour pérenniser les structures existantes et leur permettre d’intégrer un groupe dans lequel ils seront moins isolés », souligne Julien Gobert, vétérinaire dans les Ardennes, administrateur du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL).
Contractualisation de la relation éleveur-véto
Selon les régions, les situations sont diverses. Mais, dans tous les cas, la baisse de la densité d’élevage place la rentabilité de l’activité au cœur du problème. « Pour faire simple, la seule activité où le vétérinaire n’est pas mis en concurrence, c’est l’urgence, résume Julien Gobert. Or ces interventions engagent des charges importantes : le coût d’un vétérinaire de garde est de l’ordre de 40 000 à 50 000 €/an. Il s’agit d’un service de qualité pénible et pas rentable, rapporté à l’heure d’astreinte : c’est-à-dire que la facture ne permet pas de financer l’urgence. » Ce phénomène est accentué par l’élargissement du périmètre d’intervention, dès lors qu’un cabinet ferme localement et que les éleveurs se reportent sur des cabinets déjà surchargés. Modestement, la télémédecine peut contribuer à limiter les déplacements. Le développement du réseau 5G associé à diverses innovations (caméras assistées d’intelligence artificielle, lunettes, échographes ou stéthoscopes connectés) offre de nouvelles opportunités de diagnostic à distance pour gagner du temps. Les essais menés par l’ENV de Nantes et la ferme expérimentale de Derval, à proximité d’une antenne 5G, sont déjà concluants.
Toutefois, sur le terrain, le modèle économique alternatif porte surtout sur le développement de contrats éleveur-vétérinaire, dérivé de celui des vétérinaires en convention. Il consiste à supprimer le paiement à l’acte au profit d’un forfait d’honoraires annuel permettant à l’éleveur d’avoir une bonne lisibilité sur le coût du vétérinaire et à ce dernier de se faire rémunérer le conseil de façon pérenne. « Il s’agit de privilégier une approche plus préventive de la santé avec l’éleveur », explique Claude Joly. Dans le Pas-de-Calais, ce praticien a mis en place, depuis presque vingt ans, ce principe d’un forfait de maintenance sanitaire annuel qui tend à se vulgariser (lire le témoignage, ci-dessous). « C’est un partenariat gagnant-gagnant : moins l’éleveur à de problèmes, moins le vétérinaire intervient et plus il gagne. Cette place revient au vétérinaire, pour que l’on trouve encore demain des cabinets capables de fournir aux éleveurs un service sanitaire de proximité de qualité. »
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