LA LUTTE MÉDICALE CONTRE LA FIÈVRE Q MIEUX BALISÉE
Le suivi de 120 élevages laitiers du grand Ouest durant dix-huit mois contribue à combler les zones d'ombre qui entourent la lutte contre la fièvre Q. Du chemin reste encore à faire pour établir un protocole d'aide à la décision clair.
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LA FIÈVRE Q EST UNE MALADIE RÉPANDUE DANS LES ÉLEVAGES BOVINS LAITIERS. Dans le grand ouest, on estime que la moitié des troupeaux a été mise en présence de la bactérie responsable de la maladie, Coxiella burnetii, sans pour autant que cela se traduise systématiquement par des avortements précoces ou tardifs, symptôme principal de la contamination. « 15 à 20 % des avortements répétés en élevage sont dus à la fièvre Q, soit schématiquement deux avortements dans le mois ou trois dans l'année », avance Alain Joly, vétérinaire au GDS du Morbihan. Il anime les travaux de recherche avec l'Inra et Oniris (école vétérinaire de Nantes). Autre chiffre : les signes cliniques perçus par les éleveurs aboutissent à la détection d'une vingtaine d'élevages laitiers par département et par an, soit 300 élevages à l'échelle du grand Ouest.
Étudiées depuis dix ans, les zones d'ombre se comblent peu à peu. Le protocole de diagnostic est bien rodé. Les voies d'excrétion de la bactérie sont connues. Un vaccin et des antibiotiques existent. « Sauf que l'on ne connaissait pas jusque-là leur efficacité sur l'excrétion de Coxiella burnetii », souligne-t-il. En 2006, le seul vaccin présent sur le marché (Coxevac, du laboratoire Ceva, qui a participé à l'étude ci-après) a été testé dans cinq élevages. Il a montré son efficacité sur les femelles non gestantes et non encore infectées. « Comme la population de génisses est très largement séronégative, si un élevage s'avère touché, cela signifie qu'il faut vacciner en priorité les génisses avant leur mise en reproduction, avec un rappel un an après. De même, avant leur insémination, il faut vacciner les vaches identifiées négatives, lorsque l'on arrive à les repérer. » Côté antibiotiques, un traitement (tétracycline) au tarissement en une ou deux injections à 15 jours d'intervalle est proposé en prévention de l'excrétion de la bactérie au vêlage. La vache peut aussi être soignée par une administration au vêlage pour éviter les métrites. Faut-il vacciner les animaux infectés pour réduire l'excrétion de la bactérie ? L'antibiothérapie est-elle vraiment efficace sur l'excrétion ? Leur combinaison supprime-t-elle l'excrétion des animaux infectés ? Quelles mesures préviennent véritablement l'excrétion chez les animaux non infectés ? Autant de questions sans réponses claires. D'où l'idée de tester dans des élevages différentes stratégies combinant ou non la vaccination et le recours à l'antibiothérapie.
QUEL EST LE PROTOCOLE DE L'ÉTUDE ?
L'étude a été réalisée dans 120 élevages laitiers de Bretagne, Pays de la Loire, Basse et Haute-Normandie. Ils ont été détectés à la suite d'un avortement imputable à la fièvre Q. Les derniers résultats de l'étude sont tombés cet été. Elle a démarré en février 2008 par les premiers recrutements d'élevages. Ils se sont étalés jusqu'en mai 2010. Une fois dans le dispositif, leur suivi a duré dix-huit mois.
Dans ces élevages, toutes les génisses sont vaccinées avant leur mise à la reproduction. Quatre stratégies sont ensuite mises en place.
Stratégie 1 : toutes les vaches sont vaccinées mais elles ne reçoivent pas d'antibiotiques.
Stratégie 2 : les vaches reçoivent des antibiotiques mais ne sont pas vaccinées.
Stratégie 3 : elles sont vaccinées et reçoivent des antibiotiques.
Stratégie 4 : elles ne reçoivent ni l'un ni l'autre.
Dans les élevages intégrant l'antibiothérapie, les animaux sont tirés au sort pour être soignés au tarissement (une ou deux injections) ou au vêlage (une injection) ou au tarissement + vêlage.
« Sur le troupeau, l'efficacité de la stratégie est mesurée à partir des résultats du lait de tank qui est un bon indicateur de son niveau d'infection. Le lait des primipares est également analysé, indique Alain Joly. Le niveau d'excrétion de la vache, lui, est mesuré par l'analyse de son mucus vaginal juste après le vêlage. La parturition est en effet une période à risque de transmission de la fièvre Q. Elle participe à la contamination de l'environnement. » Cet aspect est d'ailleurs évalué par des prélèvements de poussières et de déjections.
QUELS SONT LES RÉSULTATS DE LA VACCINATION ?
- Sur les génisses : l'intérêt de la vaccination des génisses avant leur mise à la reproduction est confirmé. C'est une mesure efficace pour protéger l'animal. « Des éleveurs ont oublié de vacciner des génisses. Leur comparaison avec des génisses vaccinées montre que les premières ont six fois plus de risques d'excréter la bactérie que les secondes. Cet écart est estimé très important par les experts. »
- Sur les vaches : l'utilité du vaccin se confirme également sur les vaches séronégatives vaccinées avant leur insémination. En revanche, son intérêt est plus limité sur les vaches séropositives : elles continuent d'excréter mais en moindre quantité. « Cela ne signifie pas que la vaccination n'a aucun impact. Elle exerce une pression globale qui se traduit par une réduction de l'excrétion des vaches. L'étude montre en effet que la charge bactérienne du lait du tank diminue à partir d'un taux de vaccination des vaches du troupeau de 80 %. »
QUELS SONT LES RÉSULTATS DE L'ANTIBIOTHÉRAPIE ?
- Sur l'excrétion de la bactérie : l'une des voies pour soigner une laitière à problèmes de reproduction ou identifiée séropositive est de lui administrer un antibiotique au tarissement. L'application en une seule injection montre son efficacité : on observe moins de vaches excrétrices au vêlage suivant. La deuxième injection quinze jours après renforce-t- elle l'action de la première ? « Non, répond Alain Joly. Elle n'apporte rien. C'est une indication importante qui participe à la réduction globale des antibiotiques en élevage laitier. »
- Sur les avortements et les métrites : l'utilisation de l'antibiotique au tarissement sur les vaches séropositives diminue le risque d'avortement et, en cascade, le risque de métrites. « Le premier est divisé par 2,5 et le second par 1,2. » L'étude montre que l'antibiotique au vêlage améliore aussi la prévention des métrites.
Au tarissement ou au vêlage, quelle période d'administration faut-il finalement choisir ? « Il faut en discuter avec son vétérinaire. Si l'éleveur assiste à une flambée d'avortements, l'antibiotique au tarissement sera conseillé. S'il fait face à des métrites, ce sera au vêlage. »
FAUT-IL CUMULER VACCINATION ET ANTIBIOTHÉRAPIE ?
Combiner ces deux stratégies représente un coût pour l'éleveur. Côté vaccination, les deux doses à trois semaines d'intervalle reviennent à 12- 14 € par vache. Rappelons qu'il faut vacciner 80 % des vaches du troupeau si l'on veut obtenir un résultat relativement rapide, ceci en plus des génisses. Côté antibiotique, la dose au tarissement coûte 10 à 15 € selon l'offre du marché. « La dépense sera élevée pour une amélioration, en moyenne, guère supérieure à l'une ou l'autre de ces solutions appliquée seule. Leur combinaison pourra néanmoins être justifiée dans les cas graves. » Le vétérinaire conseille d'évaluer d'abord le niveau d'infection du troupeau par une analyse du lait de tank. La vaccination ou l'antibiothérapie sera ensuite décidée. Si le nombre de vaches séropositives s'avère élevé, mieux vaut s'orienter vers l'antibiotique. Si peu de vaches sont touchées, la vaccination suffira, d'autant plus qu'elles seront progressivement remplacées par les génisses, elles aussi vaccinées. Au bout de quelques années, elles auront totalement renouvelé le troupeau.
QUELLES MESURES PRÉVENTIVES PRENDRE ?
- Un box d'isolement : il faut un box de vêlage et un box d'isolement, ce dernier ne devant pas servir à l'insémination. Les vaches avortées sont ainsi mises à l'écart. Nettoyer et désinfecter le box d'isolement après chaque utilisation.
- Après chaque vêlage : retirer la paille du box de vêlage et le désinfecter. Détruire systématiquement chaque délivrance, même si c'est contraignant. La solution la plus courante est l'enfouissement avec de la chaux. Certains éleveurs la congèlent pour un envoi groupé à l'équarrissage.
- Gestion du pâturage et des déjections : l'étude ne met rien en évidence. Éviter malgré tout d'épandre les lisiers et fumiers par temps venteux. La bactérie Coxiella burnetii circule sous forme d'aérosols infectieux. Des travaux de recherche sont en cours sur sa survie dans les déjections.
CLAIRE HUE
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