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LES SEUILS POUR REPÉRER LES VACHES À MAMMITES FONT DÉBAT

Les seuils fixés pour détecter les vaches infectées sont un outil d'amélioration de l'état sanitaire du troupeau. Il ne faut pas les confondre avec la grille des comptages cellulaires pour le paiement du lait. © SÉBASTIEN CHAMPION

Orne Conseil Élevage prône un abaissement des seuils à 200 000 cellules/ml. L'Institut de l'élevage estime la grille actuelle d'indicateurs mise en place il y a trente ans toujours pertinente.

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ORNE CONSEIL ÉLEVAGE A DÉCIDÉ EN 2012 DE RÉVISER les seuils de comptages cellulaires qui différencient les vaches saines des vaches potentiellement infectées. Sous 100 000 cellules/ml, les primipares et les multipares sont classées dans la première catégorie. Entre 100 000 et 200 000 cellules, elles sont considérées comme douteuses, et au-delà de 200 000, infectées. OCL vient de franchir une nouvelle étape. Depuis décembre, ce classement figure dans les tableaux de bord mensuels établis pour ses adhérents. Il remplace celui utilisé depuis les années 1980dans l'Orne, comme ailleurs en France. « Entre 2012 et 2014, les conseillers l'ont introduit progressivement en fonction de la situation cellulaire du troupeau. Aujourd'hui, tous les élevages adhérents sont analysés avec cette grille », indique OCL.

Aujourd'hui, il est le seul organisme de conseils à l'appliquer. Même si des réflexions sont en cours dans certaines régions pour faire des aménagements, les autres contrôles laitiers, l'Institut de l'élevage, ou encore les vétérinaires utilisent la grille en vigueur depuis trente ans. À savoir : moins de 300 000 cellules/ml tout au long de la lactation pour les vaches saines, au moins un contrôle supérieur à 300 000 cellules pour les vaches douteuses et au moins deux contrôles supérieurs à 800 000 pour les classer infectées. Plus précisément, le seuil des 300 000 cellules vise à détecter les vaches infectées par un germe pathogène majeur (essentiellement staphylocoque doré, Escherichia Coli et Streptocoque uberis) ou par un mineur. Le premier déclenche une mammite clinique avec une réaction cellulaire (plus de 300 000 cellules). Le second en entraîne rarement, d'où la plus faible réaction de l'animal (moins de 300 000).

Yann Martinot, d'Orne Conseil Élevage et Philippe Roussel, de l'Institut de l'élevage, développent chacun leurs arguments.

Pourquoi abaisser à 200 000 cellules/ml le seuil de détection des vaches potentiellement infectées ?

Yann Martinot : Il faut faire évoluer les seuils car le contexte a évolué. La production laitière des vaches a nettement augmenté, ce qui entraîne un effet de dilution des comptages cellulaires. De plus, on sait que les vaches contaminées par staphylocoque doré, bactérie à réservoir mammaire très contagieuse, peuvent être repérées dès 100 000 cellules. Surtout, une étude allemande sur 600 000 quartiers de mamelles (235 556 analyses bactériologiques), publiée en 2010, montre qu'il n'existe pas de seuils discriminant les pathogènes majeurs des mineurs. Plus globalement, les références scientifiques mondiales et les seuils retenus par la majorité des grands pays laitiers convergent vers 200 000 cellules. Le débat porte d'ailleurs aujourd'hui sur son abaissement à 100 000. Pour OCL, le seuil des 300 000 cellules n'a donc plus lieu d'être. Distinguer les vaches saines des non saines est complexe. Il est inutile de compliquer le diagnostic par un seuil intermédiaire alors que les taux cellulaires dans les élevages français se dégradent. Si OCL conserve le principe de la catégorie intermédiaire « vache douteuse », il concerne les comptages individuels entre 100 000 et 200 000 cellules. Il permet une transition et prépare, pourquoi pas, à terme, à un passage vers le seuil unique des « 100 000 » que l'on sait très différenciant.

En abaissant le seuil de détection, ne risque-t-on pas d'accroître les faux positifs et le recours aux antibiotiques ?

Y.M. : Effectivement, le nombre de vaches identifiées potentiellement infectées peut s'accroître. Pour en avoir le coeur net, le seul moyen est de réaliser des analyses bactériologiques. En amont, l'idéal est d'effectuer deux fois par an une analyse bactériologique du lait de tank. Cela permet de déterminer le profil de contaminations de l'élevage : germes d'environnement ou germes à réservoir mammaire contagieux. Les résultats cellulaires de la laitière seront mieux appréhendés et faciliteront la décision (sa réforme, par exemple, si elle est contaminée par un staphylocoque doré). Quant aux antibiotiques, rappelons qu'en lactation, un traitement est appliqué seulement en cas de signes cliniques. Les nouveaux seuils ne doivent donc pas générer de traitements supplémentaires. Le risque est plus élevé au tarissement.

Voilà deux ans que vous avez modifié la grille. Observez-vous une baisse du nombre de mammites chez vos adhérents ?

Y.M. : Non, car il faut remettre la période 2012-2014 dans son contexte. Les industriels demandaient du lait, ce qui est moins favorable à la réforme des vaches « à cellules ». Les producteurs étant en avance sur leurs quotas, la période actuelle est plus propice.

Les élevages aux résultats les plus dégradés commencent évidemment par les animaux les plus atteints. Dans ceux déjà de bons niveaux, les nouveaux seuils font émerger des vaches à réformer alors qu'elles ne l'étaient pas auparavant.

Dans un premier temps, cela peut être difficile à accepter, mais les éleveurs sont conscients qu'ils doivent améliorer l'état sanitaire de leur troupeau.

Pourquoi êtes-vous favorable au maintien des seuils de détection actuellement en vigueur ?

Philippe Roussel : Si l'on souhaite distinguer les vaches infectées des non infectées, il faut fixer le seuil de détection à 100 000 cellules/ml. Il y a un consensus général sur cet indicateur. Le débat porte essentiellement sur la discrimination entre germes pathogènes majeurs et mineurs. Deux groupes d'experts composés des structures qui interviennent dans les élevages français ont encore confirmé, en 2014, sa pertinence et son efficacité dans le contexte français. Changer les seuils n'a d'intérêt que si des évolutions sont observées, en particulier sur le niveau d'infection. Or, l'étude allemande sur laquelle s'appuie Orne Conseil Élevage ne montre pas, selon moi, d'évolutions majeures. Comme elle ne s'est pas focalisée sur le seuil des 300 000, j'ai repris les résultats de la tranche « 200 000 à 400 000 » pour les extrapoler en deux classes : « 200 000-300 000 » et « 300 000-400 000 ». Cette extrapolation montre que le taux d'animaux sous les 300 000 cellules et infectés par un pathogène majeur est identique à celui observé dans une étude menée en 1985, sur laquelle nous nous appuyons. Par ailleurs, abaisser ce niveau reviendrait en quelque sorte à laver plus blanc que blanc. Or, il semblerait que la présence de certains pathogènes mineurs contribue à la prévention contre des pathogènes majeurs. On risquerait de se priver de cet effet positif.

En fait, la véritable question est : quel est l'objectif poursuivi ? Si l'on veut identifier les vaches infectées, il faut abaisser le seuil à 100 000 cellules. C'est ce niveau que l'on utilise aujourd'hui pour le traitement sélectif au tarissement. Si l'on veut un seuil distinguant les pathogènes majeurs des mineurs, les experts considèrent que 300 000 cellules est le bon seuil. Le changer signifierait revoir tous les indicateurs utilisés en diagnostic d'élevage (indices de nouvelle infection et de guérison en lactation et période sèche). C'est un énorme travail qui ne se justifie pas.

Abaisser les seuils de détection ne contribuerait-il pas à améliorer l'état sanitaire des troupeaux qui se dégrade depuis dix ans ?

P.R. : Cette amélioration passe surtout par une mobilisation des intervenants en élevage et des éleveurs autour de ce problème. C'est l'objectif du plan national « Les mammites j'anticipe » lancé sous l'égide du Cniel. Réexpliquer la signification des seuils cellulaires, mieux connaître les différents types de mammites, améliorer les pratiques curatives et de prévention, etc., un vaste chantier est devant nous. Les conseillers vont bénéficier de formations. Un outil d'autodiagnostic sera proposé aux éleveurs. Un logiciel d'impact des coûts des mammites va être développé.

Certaines situations nécessitent-elles d'utiliser malgré tout des seuils plus sévères ?

P.R. : Ils ont leur intérêt pour les élevages dont le lait est valorisé en filière lait cru. Dans ce cas, il est recommandé de les descendre à 150 000 ou 200 000, voire 100 000 cellules. Si on lutte contre le staphylocoque doré, il peut être intéressant d'utiliser ces niveaux.

CLAIRE HUE

YANN MARTINOT, directeur technique d'Orne Conseil Élevage.

PHILIPPE ROUSSEL, est spécialiste mammites à l'Institut de l'élevage. Il co-anime les groupes « qualité du lait » de France Conseil Élevage et le plan national « mammites».

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