Descontaminants menacent votre santé
Alerte. Dans les bâtiments ou dans les champs, les éleveurs laitiers sont régulièrement exposés à des substances qui peuvent pénaliser leur santé. Un problème sous-estimé qui pourrait s’accentuer avec l’agrandissement des troupeaux.
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Picotements des yeux, irritation des bronches, toux… Ces symptômes ne sont pas à prendre à la légère chez les éleveurs. Car leur métier les expose à des contaminants pouvant gravement affecter les voies respiratoires.
La liste des produits régulièrement manipulés ou respirés par les éleveurs est longue : pesticides, antibiotiques, poussières organiques ou encore ammoniac.
Mais parce que l’exposition est souvent perçue comme peu fréquente et de courte durée, beaucoup ne s’en méfient pas et ne se protègent pas. La question a été plus étudiée dans les élevages hors sol (porc et volaille notamment). Car ces productions conduisent les travailleurs à réaliser de nombreuses tâches en milieu confiné. Et le recours à des salariés implique le respect d’une réglementation spécifique.
Une étude a montré que la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) a une prévalence plus importante chez les agriculteurs que dans l’ensemble de la population. Parmi les éleveurs laitiers, on constate qu’elle est deux fois et demie plus fréquente en Franche-Comté qu’en Bretagne. Il s’agit d’une maladie grave, qui pourrait devenir la quatrième cause de mortalité en France d’ici à 2030. Du fait de leur métier, les éleveurs courent plus de risques que les autres vis-à-vis de cette maladie.
Poussières organiques dans l’ensilage de maïs et la paille
L’exposition aux poussières organiques provoque des dégâts dans les poumons. Or, la manipulation mécanisée du foin et de la paille favorise le dégagement de ce type de poussières. Et ces opérations font partie du travail d’astreinte en élevage laitier. En suspension dans l’air, ces poussières sont facilement inhalées. Les plus fines peuvent se loger dans les alvéoles pulmonaires. Leur composition n’est pas bien connue, mais elles véhiculent des micro-organismes (bactéries, moisissures). Leur inhalation répétée peut déclencher une inflammation chronique qui altère la fonction respiratoire.
Une thèse(1) visant à évaluer les risques auxquels sont confrontés les éleveurs laitiers, du fait de la présence de contaminants de type poussières, endotoxines, bactéries et moisissures, vient de s’achever. Elle a été réalisée en Bretagne sur la base de mesures effectuées dans vingt-neuf exploitations. Il s’avère que la distribution de grains ou de granulés et le paillage exposent les éleveurs à des substances nocives. Notons que le paillage manuel est nettement moins toxique que le paillage mécanisé. L’exposition est plus élevée en aire paillée qu’en logettes. De même, elle est renforcée en bâtiments fermés, probablement du fait d’une hygrométrie plus élevée favorisant le développement des micro-organismes. Les rations à base d’ensilage de maïs exposent davantage les éleveurs aux moisissures que celles à base d’herbe, même ensilée. La distribution mécanisée réduit ce risque. L’apport de foin, peu courant dans les élevages bretons, constitue aussi une source importante de poussières fines.
Une autre étude, citée dans la thèse, a montré l’importance de ces risques pour les éleveurs en montagne où le régime hivernal repose d’abord sur le foin. D’ailleurs, plusieurs moisissures fréquemment présentes dans ce fourrage ont un rôle prouvé dans la maladie du poumon du fermier.
Un focus particulier concerne les poussières émises lors du paillage afin de mieux les caractériser. Il s’avère que l’essentiel de ces poussières est capable de pénétrer dans la trachée et les bronches. Elles peuvent donc favoriser les BPCO ou l’asthme. Leur charge microbienne varie d’un élevage à un autre mais elles contiennent souvent des micro-organismes pouvant déclencher des inflammations des voies respiratoires.
Ammoniac dans les déjections
À l’inverse, la traite ne renforce pas l’exposition à des particules suffisamment fines pour pénétrer dans les voies respiratoires. Il en est de même pour les tâches impliquant un contact rapproché avec les animaux.
Les éleveurs sont également en relation avec des contaminants gazeux, notamment l’ammoniac qui irrite les voies respiratoires. Lui aussi peut véhiculer des germes. L’ammoniac se forme en cas de contact entre l’urine et les bouses. Les tâches liées à la gestion des fumiers et lisiers entraînent des dégagements d’ammoniac. Les éleveurs sont aussi confrontés à des composés organiques volatils (alcool, aldéhyde, cétone…). Ils proviennent essentiellement des ensilages. Là encore, les voies respiratoires sont en première ligne.
Toujours dans le cadre de la thèse réalisée en Bretagne, des mesures ont été effectuées sur les mêmes élevages. Elles montrent que l’exposition à l’ammoniac est plus élevée en été qu’un hiver. La température semble donc jouer un rôle. Sans surprise, les risques pour les éleveurs sont accrus quand ils possèdent de grands troupeaux, passant un temps important dans le bâtiment. La durée de la traite augmente le risque. Et la présence d’une fumière dans le bâtiment davantage encore. Si les ouvertures du bâtiment dépassent le seuil de 3,6 m2 par vache, les teneurs en ammoniac diminuent de manière significative. En moyenne, l’exposition des éleveurs laitiers à l’ammoniac reste inférieure à celle des éleveurs de porcs. Mais il existe une variabilité entre les exploitations.
Des pistes pour limiter les effets
L’alimentation exclusivement fondée sur l’ensilage augmente les risques vis-à-vis des composés organiques volatils. Et là encore, la mécanisation de la distribution amplifie significativement l’exposition.
Les possibles interactions entre les différents contaminants n’ont pas encore été étudiées. Mais on peut supposer que les effets indésirables, qui se concentrent sur les voies respiratoires, peuvent se cumuler. Il semble évident que l’accroissement de la taille des troupeaux aura un impact négatif sur la santé des éleveurs. Et ce, d’autant plus que le temps passé dans des bâtiments fermés est important.
L’une des voies les plus efficaces pour limiter l’exposition à l’ammoniac, aux moisissures et aux COV consiste à ouvrir les bâtiments pour assurer une bonne ventilation. L’effet est moins net sur les poussières. Mieux vaut aussi éviter de stocker les déjections dans le bâtiment. De plus, la fermeture de la porte du tracteur permet de protéger pendant le paillage. Une pratique simple, mais peu fréquente.
L’expérience des élevages hors sol
L’expérience des élevages hors sol donne des idées afin de réduire les risques pour les éleveurs laitiers. « Les éleveurs de porcs acidifient le lisier pour réduire la volatilisation. Ils jouent aussi sur l’alimentation pour limiter les teneurs en azote des déjections », explique Solène Lagadec, qui suit ces problématiques à la chambre d’agriculture de Bretagne. Elle rappelle que le risque pour la santé est d’autant plus élevé que l’exposition est longue et répétée. Également à la chambre d’agriculture de Bretagne, Philippe Briard alerte sur les risques en salle de traite. « Les étables sont généralement bien ventilées. C’est beaucoup moins vrai pour le bloc de traite et parfois pour le bureau. » L’ammoniac et les poussières peuvent s’y accumuler. La présence des vaches limite la circulation de l’air dans les fosses de traite. Philippe Briard constate aussi que les aires d’attente aménagées sur caillebotis renforcent les risques. En Bretagne, le groupe en charge de la charte bâtiment commence à s’intéresser à cette question. L’enjeu est de tenir compte de ces risques dans les préconisations.
Pascale Le Cann(1) Thèse réalisée à l’université de Rennes 1 par Hugo Pfister dans le cadre du programme AIRBAg : analyse, incidence et facteur de risque de la broncho-pneumopathie chronique obstructive agricole.
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