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Désormais, il s'agit d'« optimiser chaque heure de travail »

De gauche à droite, Benjamin Lefèvre, Paul Hennequin (salarié) et Philippe Lefèvre, oncle de Benjamin aujourd'hui en retraite. Pour eux, "l'arrivée du robot de traite représente l'évolution la plus importante du métier, analyses ce dernier. La principale contrainte, devenue presque invivable, est désormais le poids de la charge administrative".

Au fil des vingt-sept dernières années, la ferme des Orcils, à Morsains, dans la Marne, est passée de trois à un seul associé. Au cœur d’une région céréalière, Benjamin a pris seul la relève et s’est attaqué au défi de maintenir le lait en misant sur le salariat et l’automatisation.

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En novembre 1997, lorsque L’Éleveur laitier se rend dans la Marne pour un reportage à la ferme des Orcils, trois frères, Maurice, Philippe et Alain Lefèvre, sont associés en Gaec sur 176 hectares, avec 95 vaches holsteins. Le temps a passé et, aujourd’hui, il n’y a plus qu’un chef d’exploitation, à la tête d’un troupeau laitier de 115 vaches.

Reportage paru dans L'Eleveur laitier en décembre 1997.

L’EXPLOITATION

C’est Benjamin, 34 ans, qui a repris seul le flambeau de la ferme familiale en 2020, contraint par un malheureux événement, le décès de son père Maurice des suites d’un cancer, suivi du départ de son frère Mathieu. « Lorsque je me suis installé en tant qu’associé, j’étais en charge de la conduite des cultures, explique le jeune éleveur. Même si bien sûr j’avais des bases, j’ai dû me réapproprier au fur et à mesure la conduite du troupeau. Je dois encore m’améliorer, mais aujourd’hui je me sens bien avec mes animaux, pleinement éleveur. »

(© GFA)

Un système de polyculture-élevage en AOP brie de Meaux

L’exploitation se situe en Brie champenoise, sur des limons argileux de bon potentiel, mais caillouteux. Il y a vingt-huit ans, la production s’élèvait à 800 000 litres de lait, en zone de collecte brie de Meaux. Le lait était livré à la fromagerie Pain Jesson. Mais, à l’époque, la filière AOP n’offre aucune plus-value sur le prix du lait. Il faut dire que le cahier des charges de l’appellation ne concerne pas encore la partie élevage. Les trois frères ont mis en place une conduite en zéro-pâturage, avec des vêlages groupés de juillet à octobre et des vaches séparées en deux lots, dans une stabulation en aire paillée, selon le niveau de lactation.

Ration AOP Brie de Meaux : 27 kg brut de maïs ensilage, 15 kg d’ensilage de luzerne, 5 kg d’ensilage de ray-grass et pâtures, 1 kg de correcteur 42%, 2 kg de pulpe sèche ou de betterave fourragère et 4 kg de maïs humide + 2 kg de correcteur 42% et 2 kg de VL au robot. (© Jérôme Pezon)

Le reportage a été réalisé dans le contexte d’un prix du lait bas à 1,986 franc/litre (302,70 €/1 000 l). Les éleveurs témoignent alors du travail mené sur les charges pour préserver leur revenu. Leur stratégie consiste notamment à saisir les opportunités sur le marché des coproduits. Un moyen également de libérer de la surface pour les cultures de vente qui pèsent un tiers du chiffre d’affaires. Ainsi, selon l’évolution des cours des matières premières, la ration intègre plus ou moins de drèches et de pulpe supressée, mais aussi du corn gluten feed ou des pommes de terre. Fin 1997, avec un prix du soja atteignant 2 fr/kg (305 €/t), c’est-à-dire plus élevé que le prix du litre de lait, les associés décident de faire l’impasse sur le tourteau et de miser uniquement sur les drèches et le corn gluten pour la correction azotée d’une ration de base comprenant du maïs ensilage, de l’ensilage de luzerne et de la paille défibrée. Malgré une légère baisse du lait par vache, de 8 700 l de moyenne à 8 300 l, cette stratégie se traduit par un coût alimentaire de 0,88 fr/l ou 134 €/l, contre 163 € pour la moyenne de groupe, avec un taux d’EBE de 37 %.

Création d’une coopérative pour maintenir la collecte

À l’issue du reportage, les frères déclaraient ne pas chercher à agrandir l’élevage, au risque de compromettre leur organisation et la maîtrise sanitaire du troupeau, tout en restant ouverts « à un agrandissement en terres cultivables ». Une position qui ne signifie pas pour autant l’immobilisme. En effet, deux ans plus tard, intervenait la mise aux normes, avec le passage en logettes, la construction d’une fosse à lisier de 1 000 m3 et d’une fumière couverte d’une capacité de 800 tonnes.

Au début des années 2000, la fromagerie Pain Jesson est en grande difficulté financière. Les associés se joignent à la création d’une structure de collecte, la coopérative laitière La Briarde, gérée par les producteurs locaux. Alain en assurera la présidence pendant trois ans, avec près de 80 % de lait flottant écoulé sur le marché Spot : « Avec un prix très inférieur à l’environnement, nous avons vécu trois campagnes très difficiles de 2004 à 2006, se souvient l’éleveur. Progressivement, nous avons ensuite réussi à écouler davantage de lait en filière brie de Meaux, grâce à des contrats passés avec Lactalis, Lincet et à une reprise par les fromageries de Blâmont, avant de devenir finalement sociétaires Sodiaal en 2014, à la suite d’une opération de fusion absorption. Mais pendant presque dix ans, entre 2000 et 2010, le lait est resté mal valorisé, avec des excédents écoulés sur le Spot. Malheureusement, à cette période beaucoup de producteurs ont arrêté le lait. »

La stabulation offre des équipements destinés à optimiser le confort des vaches en lactation conduites en zéro pâturage : ventilation, brumisation, tapis de sol, matelas paillés (500 g), brosses et aire d’exercice bétonné extérieur. (© Jérôme Pezon)

C’est aussi au début des années 2000 que l’Inao impose de rédiger un cahier des charges pour la production de lait dédiée à la fabrication de brie de Meaux. Administrateur à l’ODG, Alain participera à la rédaction d’un document qui ne sera finalisé qu’en 2014.

Avant cela, la relève générationnelle a débuté sur la ferme avec l’installation en 2010 de Mathieu Lefèvre (le frère de Benjamin). Puis, Alain sera le premier à partir en retraite en 2014. Et c’est en 2017, le premier juillet, à l’issue d’un cursus scolaire agricole, que Benjamin s’installe en remplacement de son oncle Philippe. Il devient alors associé de la ferme avec son père et son frère.

Mise en route de deux robots en 2018

En 2018, ils anticipent le départ de Maurice en investissant dans deux robots de traite. Deux ans avant son décès – suivi peu de temps après du départ de Mathieu – Benjamin se retrouve seul à la tête d’une SCEA, avec 1 M€ de parts supplémentaires à reprendre : « Alors que je ne m’occupais ni de ration ni de reproduction, il fallait prendre en main la gestion du troupeau en remplacement de mon frère. L’arrêt des vaches m’a effleuré l’esprit, mais le maintien du troupeau laitier était financièrement indispensable compte tenu du montant de capital à rembourser, relate le jeune éleveur. Heureusement, j’ai pu compter sur le soutien de ma compagne. » Benjamin relève le défi. Pour cela, il n’hésite pas à se faire accompagner par un vétérinaire- nutritionniste et peut aussi s’appuyer sur son cabinet vétérinaire de proximité. Il maintient la pesée au contrôle laitier et intègre un groupe d’échange GTE (gestion technico- économique) animé par la chambre d’agriculture de la Haute-Marne. « Je suis le seul Marnais du groupe, mais c’est très important de pouvoir me comparer, de savoir où j’en suis. C’est aussi dans ma nature de toujours me remettre en question. »

Après une phase d’une semaine en niche individuelles, les génisses sont élevées en nurserie. L’allaitement au lait reconstitué est distribué avec un DAL équipé d’un système de lavage entre chaque buvée et la complémentation basée sur des aliment 1er et 2ème âge, pour un sevrage programmé à 70 jours. (© Jérôme Pezon)

Une plus-value AOP qui change tout

Depuis cinq ans, il peut aussi récolter les fruits du travail de ses aînés et miser sur une vraie plus-value de 50 cts/litre de lait apportée par l’AOP. De quoi sécuriser le recrutement d’un salarié. Il va aussi investir dans un robot pousse fourrage, un robot racleur, une balayeuse pailleuse et dans un Dal (distributeur automatique de lait), afin de supprimer les tâches manuelles. La présence de cinq silos et l’arrêt de l’enrubannage au profit de l’ensilage d’herbe vont aussi permettre de rationaliser le temps consacré à la distribution de trois rations par jour (laitières, taries et génisses). Avec la traite robotisée, les vêlages sont désormais étalés (de dix à quinze par mois). En accord avec le cahier des charges AOP, les laitières restent en zéro-pâturage, à la condition d’une alimentation produite sur zone. La production du troupeau est ainsi calée autour de 32 litres de lait/jour, avec une ration de base incorporant 60 % d’ensilage de maïs et 40 % d’ensilage d’herbe et de luzerne et de la betterave fourragère.

Une référence de 1,2 million de litres à réaliser

Profitant d’un parcellaire regroupé proche des bâtiments, les génisses (et les taries) conservent un accès au pâturage à partir de 6 mois et jusqu’à la préparation au vêlage. Fini aussi l’IPE (insémination par l’éleveur), jusque-là assurée par son frère. Les plans d’accouplements sont réalisés avec Prim’Holstein France et la mise à la reproduction avec le centre d’insémination (Coopelia). La sélection est orientée sur le lait, les pattes et les index fonctionnels, avec un recours aux semences sexées sur les meilleures souches et du croisement blanc bleu belge sur les moins intéressantes. « Au début, j’ai manqué de rigueur sur le suivi de reproduction, admet Benjamin. Si le robot de traite apporte une vraie aide dans ce domaine, s’approprier toutes les données n’est pas si aisé. Je suis conscient d’avoir aussi des progrès à faire dans l’obtention de fourrages plus riches pour augmenter le lait/vache, sans augmenter les concentrés. Dans un département qui a perdu beaucoup de ses éleveurs, l’AOP est une chance car elle sécurise la collecte sans m’imposer l’agrandissement. Mon objectif est d’atteindre ma référence de 1,2 Ml avec 110 vaches traites par deux robots. »

Dans ce système, Benjamin estime son travail d’astreinte quotidien à cinq heures. À moyen terme, et en l’absence d’un service de remplacement vacher dans le département, il envisage d’investir dans un robot de distribution, ou une désileuse automotrice. En attendant, la présence du salarié lui permet de s’octroyer quelques jours de vacances en hiver avec son fils de 6 mois et sa compagne, avec laquelle le mariage est programmé au mois d’août.

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