« Notre élevage de montagne a besoin d’un meilleur prix du lait »
Alexandre Lagier, éleveur dans les Alpes du Sud, mise sur l’autonomie pour contenir les charges forcément alourdies par les conditions naturelles. Avec d’autres éleveurs de la région, il cherche à obtenir une AOP pour améliorer la valorisation du lait.
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Dans les derniers jours d’août, la température monte encore à 30 °C et le soleil illumine les montagnes. Les systèmes d’arrosage tournent pour maintenir la pousse de l’herbe. Nous sommes à 1 200 m d’altitude dans les Hautes-Alpes, à la ferme d’Alexandre Lagier. « Durant l’été, nous ne trayons qu’à peine la moitié de nos 53 tarentaises. Les autres sont taries et montent en estive, ce qui permet de réserver les prairies proches de la ferme pour les vaches en production », explique-t-il.
Installé en Gaec avec son père sur la ferme familiale en 2004, Alexandre a été rejoint par sa compagne, Catherine Peyrot, en 2014. L’élevage est certifié bio depuis 1998 et le lait était historiquement collecté par Sodiaal. La coopérative ne valorisant pas le lait bio, le Gaec a dû chercher une nouvelle laiterie et a rejoint la fromagerie coopérative Château Queyras. Aujourd’hui encore, c’est elle qui collecte et transforme le lait. « Les dix éleveurs adhérents produisent 1,3 Ml de lait qui sont collectés, transformés et commercialisés par vingt salariés », précise Alexandre. Avec trois autres éleveurs, il assure la cogérance de la coopérative.
Ce débouché a permis au Gaec de percevoir un prix moyen du lait de 580 €/t en 2022. « En bio, on devrait toucher davantage mais la coopérative ne peut pas donner plus. Elle supporte des coûts élevés, notamment pour la collecte. » Ce haut niveau des charges est l’une des caractéristiques des filières laitières de montagne. Il concerne aussi bien les éleveurs que les transformateurs.
Plus d’autonomie pour dégager trois revenus
« Ici, nous avons mis au point un système autonome pour limiter les achats à l’extérieur et dégager trois revenus », poursuit l’éleveur. Ainsi, les vaches sont nourries au pâturage dès que les conditions le permettent. Elles sortent dans les prairies entourant la ferme vers le 10 mai et rentrent à l’étable mi-novembre. Les génisses montent en estive aux environs du 20 juin et y restent jusqu’aux premières chutes de neige, en décembre. Les taries montent avec les génisses et redescendent pour le vêlage ou, au plus tard, mi-octobre.
Les vêlages sont concentrés en automne afin de limiter les besoins en fourrages pendant l’été, généralement chaud et sec dans la région. Les 50 ha de prairies naturelles jouxtant le siège d’exploitation se dessèchent si elles ne sont pas arrosées. « Nous utilisons des asperseurs. Il faut les déplacer régulièrement et cela représente beaucoup de travail. Nous en avons 70 et il arrive que tous fonctionnent au même moment. » La pousse est meilleure en altitude et couvre les besoins des animaux en estive. Le Gaec n’emploie pas de berger pour garder les bêtes. Il faut aller les voir deux fois par semaine, ce qui prend une demi-journée à chaque fois.
Charge de travail élevée durant les beaux jours
Le printemps et l’été sont aussi les périodes durant lesquelles il faut constituer des stocks pour l’hiver. Les travaux des champs exigent beaucoup de travail car les parcelles sont souvent petites et en pente, et les rendements sont faibles. Les éleveurs réalisent tous les travaux eux-mêmes, sauf la moisson. Ainsi, même s’il n’y a que 20 ou 25 vaches à traire, la période estivale est très chargée en travail.
L’éleveur produit de l’épeautre pour les veaux, du triticale et de l’orge pour les vaches. Il sème de la luzerne sous un couvert d’orge de printemps. Elle est exploitée l’année suivante. Au total, 20 ha sont ensemencés en luzerne et dactyle pour constituer des stocks. Les prairies sont pâturées et fauchées une ou deux fois.
En hiver, une ration à base de foin
Tous les fourrages sont récoltés en foin, pour moitié en balles, le reste en vrac et séché en grange. Une prise d’air au-dessus de l’étable, entre le toit et l’isolation, permet de récupérer de la chaleur. Deux cellules de stockage ont été aménagées pour séparer la première et la deuxième coupe. Le foin est distribué aux vaches en hiver.
« On donne d’abord les balles, puis le vrac, qui présente une meilleure qualité et qui est très bien consommé », explique Alexandre Lagier. Le concentré fermier est donné en salle de traite à raison de 3 à 4 kg/vache/jour, soit environ 1 t/vache/an. La charge de travail est réduite en hiver, de 6 à 7 heures par jour. Les éleveurs traient à deux pour assurer en même temps la distribution du lait aux veaux. Tout compris, ils y consacrent 1 h 30 matin et soir.
Investir pour réduire la pénibilité du travail
« On a investi 500 000 € en 2020 dans un bâtiment pour héberger les veaux, les génisses, les taries, et pour stocker des fourrages et des céréales. On l’a conçu dans un objectif d’amélioration des conditions de travail. » La paille est stockée sous un faux plafond. Il suffit de la faire tomber pour pailler les cases en dessous. Ce bâtiment a été construit à proximité de celui des vaches laitières, qui date de 1998. Un passage couvert les relie, ce qui est bien appréciable pour les éleveurs en hiver. Avant, ils utilisaient plusieurs bâtiments anciens et plus éloignés.
Les génisses sont sur aire paillée et les vaches en logettes. L’élevage produit donc du fumier et du lisier. Le fumier est épandu avant le labour et le semis des céréales. Le lisier va en priorité sur les prairies. 5 à 6 tonnes d’engrais sont achetées pour fertiliser les prairies difficilement mécanisables.
Avec ce système, l’élevage n’achète que des minéraux, un peu d’aliments pour les veaux, de la paille, et parfois un peu de maïs. Les vaches ne sont pas poussées et produisent 4 200 l de lait par an. « Je pense que l’achat de concentré ne serait pas payé par le lait supplémentaire », estime Alexandre. L’objectif de dégager trois revenus est atteint.
Obtenir l’AOP pour le bleu du Queyras
Cependant, l’éleveur pense que la valorisation du lait pourrait être meilleure. Il n’existe aucune AOP laitière dans le département mais un projet est en cours. « Nous espérons l’obtenir pour le bleu du Queyras, un fromage doux et crémeux, ce qui est rare pour un bleu. » Le projet a débuté en 2017 et concerne six fromageries du département, trois coopératives et trois privées, qui transforment entre 800 000 l et 3 Ml de lait par an. Les éleveurs qui transforment leur lait pourront aussi y prétendre. Au total, 60 fermes pourraient en bénéficier. La zone retenue couvre le Champsaur et le nord des Hautes-Alpes. Le cahier des charges interdit l’ensilage et l’enrubannage et retient trois races : la tarentaise, l’abondance et la montbéliarde. La démarche est soutenue par le Département et par la chambre d’agriculture, qui se charge notamment du travail administratif. Le dossier a été déposé à l’Inao et devrait passer en commission cet automne en vue d’une labellisation en AOC, reconnue en France. Ce n’est que dans un deuxième temps que viendra le label européen AOP. Très impliqué dans le projet, Alexandre estime qu’il faudra encore deux ou trois ans avant d’aboutir.
L’enjeu est important pour la filière laitière des Hautes-Alpes. Après avoir fortement baissé, la production est stabilisée autour de 17-18 Ml de lait par an. Le manque de rentabilité en a découragé beaucoup. La valorisation n’est pas à la hauteur des coûts de production depuis longtemps. Un meilleur prix du lait pourrait donner envie à des jeunes de s’installer. Car, aujourd’hui, les vocations sont rares et les difficultés nombreuses.
Le tourisme accroît la pression foncière
Le manque persistant de rentabilité a freiné les investissements et la plupart des fermes à reprendre exigent de gros travaux d’aménagement. Surtout, dans cette région très touristique en hiver comme en été, la pression foncière est très forte et la concurrence fait monter les prix des corps de ferme.
« Il s’agit d’un véritable défi, affirme Alexandre. Avec l’AOP, les fabrications vont se développer, il faudra du lait pour répondre. » Actuellement, 200 tonnes de bleu du Queyras sont fabriquées, contre 40 il y a sept ans. L’objectif est de monter à 350-400 t/an pour couvrir tous les frais liés à l’AOP (cotisations, contrôle des éleveurs et des fromageries, etc.) et gagner de la rentabilité.
Ce projet d’AOP est mené de concert avec celui d’obtention d’une IGP.
L’ensemble devrait redonner une dynamique à une production laitière de montagne.
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