L'exploitation du mois « Notre métier d’éleveurs laitiers nous passionne »
Irène et François Lecossais ont mis douze ans pour bâtir un outil capable de produire 1,4 Ml dans de bonnes conditions. Après les derniers réglages technico-économiques, ils espèrent entrer dans un cycle de trésorerie moins tendu, tout en menant à bien de nouveaux projets. Jeunes parents, leur vie est bien remplie.
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La morosité et le pessimisme ne font pas partie du vocabulaire d’Irène et François Lecossais. Installés en 2010 à Ronchois, dans le pays de Bray en Seine-Maritime, ce jeune couple de 35 ans et 37 ans consacre depuis douze ans toute son énergie à l’exploitation laitière. Ils sont aujourd’hui à la tête de 137 ha, répartis sur 3 sites dont le plus éloigné à 15 km, et 144 holsteins. « Nous ne sommes toujours pas en rythme croisière. Le serons-nous un jour ? » plaisantent-ils. À l’ambition d’un élevage productif et performant s’ajoute l’envie d’avoir constamment un projet sur le feu : « Mais toujours au service de la production laitière. Nous avons peu de matériels », précisent-ils. « J’ai toujours une idée en tête, ajoute François. Irène tempère et aide à dégager les priorités. » Celui en cours est la construction les mois prochains d’un microméthaniseur équipé d’un digesteur de 566 m3 pour 15 m3 de lisier par jour. « Le bénéfice espéré est autour des 25 000 € qui pourraient financer… Un nouveau projet, sourit-il, l’achat de deux robots. » « Ils me soulageraient de la traite, dont je suis responsable, car je commence à sentir mes épaules. Ils me dégageraient du temps pour assurer le parage des animaux », complète Irène.
Les cultures déléguées au voisin pour se consacrer 100 % au lait
Le tandem à la maison comme à la ferme a mis dix ans à créer un outil véritablement opérationnel pour produire dans de bonnes conditions de 1,3 à 1,4 million de litres. « La reprise de l’exploitation d’un tiers ne se fait pas clé en main, surtout si elle s’accompagne d’un agrandissement du troupeau. Cela nécessite du temps et de l’argent », analysent après coup les deux éleveurs. Dans un premier temps, il a fallu adapter les bâtiments construits pour 80 laitières (600 000 l) et 40 allaitantes et faire des choix. « Ma première installation remonte à 2007 à 15 km d’ici sur une petite ferme de 40 ha et 25 vaches, raconte l’éleveur. Nous l’avons conservée en y logeant les 40 salers du cédant et nos propres 40 vaches allaitantes, ce qui nous obligeait à des allers-retours quotidiens pour les nourrir. Nous cultivions aussi 60 ha de cultures de ventes alors que ce n’était pas notre truc. Nous allions dans le mur. »
Accompagnés par le centre de gestion CERFrance Seine Normandie et Littoral Normand, les deux associés ont fait trois choix radicaux en 2012, fondateurs de la structure actuelle : l’abandon des vaches allaitantes, la délégation des cultures au voisin qui souhaitait arrêter le lait et… la création avec lui d’un « Ballmann » pour produire son volume. « Le 1er janvier 2013, notre référence s’élevait à 1 Ml. Grâce au rachat de quotas, le renforcement de celui du voisin à l’installation de son fils et l’attribution de volumes de développement B par Sodiaal ces dernières années, nous avons progressivement monté notre référence à 1,4 Ml dont 13,8 % de B », détaille Irène. Quant aux cultures, la délégation au voisin va jusqu’à un assolement en commun. En 2023, le GAEC a prévu 80 ha de maïs, 10 ha de maïs grains, 15 ha de blé, 11 ha d’orge avec 23,5 ha de prairies permanentes et 7,5 ha en prairies temporaires (22 ha pâturés par les jeunes animaux).
1,7 M€ de reprise et d’investissements laitiers en douze ans
Cette évolution s’est accompagnée d’importants investissements qui pèsent encore sur le revenu disponible des éleveurs. « Nous pilotons l’exploitation avec 140 000 € d’annuités. » Aux 800 000 € de reprise en 2010, se sont ajoutés 330 000 € en 2013 pour agrandir la salle de traite en une 2 x 10 postes et transformer l’aire paillée + la fumière couverte en 135 logettes-tapis + une fosse en géomembrane de 2 200 m3. Ont suivi des déplacements et agrandissements de silos, le réaménagement du logement des jeunes génisses pour une meilleure fonctionnalité et une meilleure ambiance des bâtiments, etc.
Ce processus aboutit en 2021 à un deuxième grand volet d’investissements de 250 000 €, focalisé cette fois-ci sur le confort des génisses amouillantes et des laitières. Pour les premières en zéro pâturage depuis 2018, la stabulation laitière est agrandie de 55 couchages afin de les habituer aux logettes dès le début de leur gestation. « Malheureusement, le raclage du couloir d’alimentation désormais sur 84 m de long toutes les deux heures a généré en fin de parcours une vague de lisier longue de 1,5 m et épaisse de 20 cm qui salissait les pattes des génisses et créait des panaris. » Le concessionnaire de matériels de traite et François ont alors l’idée de transformer le racleur en un caisson-racleur qui recouvre le lisier. « Il ne fonctionne que depuis le printemps 2022 car il a fallu un an pour le mettre au point. En attendant, les génisses se sont affaiblies. C’est une des explications à notre pourcentage élevé de veaux issus de vaches primipares : 48 % en 2022 (voir infographie) », dit Irène.
« Les logettes des vaches n’étaient pas confortables »
Ce souci de pattes s’est rajouté à celui des vaches, qui a entraîné la même année le remplacement des tapis par des matelas. Le Gaec a également choisi les matelas pour leurs voisines génisses, le tout pour 26 560 €. « Le recours fin 2020 au service Bâti’screen de Littoral Normand a enclenché cet investissement et un réglage des logettes adapté au gabarit des laitières. Le comportement des vaches filmé sur 24 heures a en effet révélé leur déambulation la nuit dans la stabulation pour éviter de se coucher, ce qui fatiguait leurs aplombs », explique François. Dans la foulée un pédiluve automatique est installé en sortie de salle de traite car il reste encore à assainir la dermatite digitée. « Le choix de taureaux à index plus fonctionnels et le génotypage de toutes les génisses en 2023 pour accélérer l’amélioration des aplombs par des accouplements mieux raisonnés devraient aussi nous aider à sortir de ce problème », espère-t-il.
Vies familiale et professionnelle imbriquées
Si L’éleveur laitier détaille tous les efforts entrepris sur la santé des pattes, c’est que le duo met toute son énergie à revenir dans un cercle vertueux. « Notre objectif est de retrouver les 10 060 kg de lait brut par vache obtenus en 2019 et de les produire de façon économique. Nous avons perdu en trois ans 500 kg par vache, un point de TB et 1,7 point de TP, pointe la jeune éleveuse. Cette progression doit s’accompagner d’une baisse du taux de renouvellement du troupeau. » Un taux de renouvellement plus faible créera un effet domino positif sur l’atelier viande : moins d’inséminations sexées en race holstein signifieront plus en angus pour des génisses et des bœufs croisés. « À nous aussi de moins nous éparpiller par de nouveaux projets. C’est un travail que nous devons faire sur nous-mêmes. Nous serons plus fins dans le suivi de notre troupeau. »
Disons-le. Leur motivation et leur ouverture d’esprit nous séduisent. « Leur capacité à solliciter les avis et regards extérieurs pour trouver des solutions inspire confiance, confirme Corinne Maurice, leur conseillère de gestion CERFrance Seine Normandie. Ils ont su établir une bonne relation avec leur banquier et leurs fournisseurs, ce qui les aide à gérer leur trésorerie tendue depuis leur arrivée sur cette ferme. »
L’autre défi du couple est de mener de front leur vie professionnelle bien remplie et leur vie de famille. Leurs filles Lorine et Nina (4 et 2 ans) réclament toute leur attention. « Nous les déposons le matin à 7 heures chez l’assistante maternelle qui prépare Lorine pour l’école. » Trois fois par semaine, Irène récupère Nina en fin de matinée et la redépose avec sa sœur à 17 h 30 chez la nounou jusqu’à 20 heures pour la traite du soir. « Avant, nous goûtons tous ensemble. C’est un moment important pour nous quatre. » Irène conserve deux journées entières pour se consacrer pleinement à la ferme. Elle avoue attendre l’entrée de la cadette à l’école pour retrouver toute son activité dans le Gaec. « Grâce à la délégation des cultures, notre travail est régulier mais nous prenons très peu de vacances. L’an passé, nous n’avons pas réussi à nous extraire de la ferme. Avec du recul, cela nous manque », dit François. Ils savent pouvoir compter sur l’aide de leurs parents respectifs. Faire appel au service de remplacement est plus compliqué : « Il faut presque trois vachers pour nous remplacer. » Quant à embaucher un salarié, même à mi-temps, il n‘en est pas question : « Il prendrait le travail de l’un de nous deux, lequel ? » réagissent-ils.
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