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« CONCILIER DES HOLSTEINS HAUTES PRODUCTRICES ET L'AOC »

REPORTAGE PHOTOS : © YANN CAINJO/GFA

MALGRÉ UN ÉLEVAGE EN 100 % MAÏS ET 100 % HOLSTEIN, IL Y A DIX ANS, SYLVIE ET PATRICK BRIZARD SONT MONTÉS DANS LE TRAIN DE L'AOC CAMEMBERT DE NORMANDIE.

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IL FAUT TOUJOURS SE MÉFIER DES PREMIÈRES IMPRESSIONS. Basée à Saint-Nicolas- des-Laitiers, et non loin d'une autre commune appelée La Trinité-des-Laitiers, on pourrait penser cette exploitation au centre du bassin laitier bas-normand. « En fait, dans le passé, notre village avait une activité d'extraction de minerai de fer dont le "lait" était un résidu, ce qui lui a donné ce nom », corrigent Sylvie et Patrick Brizard, à la tête de l'activité laitière du Gaec. Les cultures et l'atelier des porcs sont gérés par François, le frère de Patrick, à Anceins, à 7 km de là. À sa façon, le site laitier est aussi source de méprise. Ses vaches prim'holsteins, anguleuses et hautes productrices donnent tous les signes d'une exploitation intensive classique maïs-holstein-soja. Loin des stéréotypes, la réalité est plus complexe.

En zone d'appellation d‘origine protégée du camembert de Normandie, livrant son lait à Lanquetot-Lactalis, voilà dix ans que l'exploitation chemine vers le cahier des charges de l'AOP, à savoir 2 ha de prairies pour 1 ha de maïs, et 50 % de vaches de race normande dans le troupeau en 2020 (et peut-être même en 2017). En 2003, les vaches étaient en zéro pâturage, tout en maïs (50 ha ensilés), avec un troupeau 100 % holstein.

« Nous avons adhéré à l'Association des producteurs Lanquetot dès sa création en 1998 », se souvient Patrick. Un choix guidé par des motivations économiques. « Nous faisions face à cette époque à d'importantes difficultés économiques. Soit nous jetions l'éponge, soit nous réagissions. Nous avons préféré aller de l'avant. Nous avons compris que si nous voulions une assurance prix du lait, il fallait se démarquer des marchés standard par la vente directe ou l'adhésion à une filière de qualité », explique-t-il.

« QUAND TOUT VA MAL, IL FAUT SAISIR LES OPPORTUNITÉS »

Cette année-là, les 48 m de murs mal étayés de la toute nouvelle stabulation, construite sur le site actuel, s'écroulent sur les caillebotis. Une procédure est engagée contre les entreprises de construction. Elle va durer huit ans.

« Nous avons gagné mais l'entreprise de maçonnerie ne nous a toujours pas payé les 150 000 de dédommagements. »

Entre 1998 et 2003, les associés travaillent dans des conditions difficiles. Le troupeau, qui devait déménager sur le site actuel, reste à Anceins. « Nous laissions nos jeunes enfants seuls le soir pendant la traite, se souvient encore Sylvie. C'était très stressant. » La stabulation paillée semi-ouverte héberge alors toute l'année 65 vaches pour une capacité de 45 animaux, avec des problèmes cellulaires à la clé. Les prairies, à 100 m du bâtiment, ne permettent pas d'alléger la pression sanitaire. Alors quand le juge autorise une nouvelle construction au même endroit que le bâtiment éboulé, Sylvie et Patrick Brizard n'hésitent pas. Ils s'engouffrent dans la brèche, même si cela suppose de financer une deuxième stabulation (154 824 € en plus des 167 700 €).

Outre de meilleures conditions de travail (logettes-caillebotis, salle de traite 2 x 6 postes, silos à proximité), le cahier des charges de production du lait AOC devient accessible, au moins pour la partie alimentation, assumée dans le Gaec par Patrick Brizard. Il n'est pas encore défini à ce moment-là, mais les discussions présagent une place non-négligeable accordée aux prairies.

« PRENDRE DES DÉCISIONS ET LES APPLIQUER PLEINEMENT »

En 2003, il sème 10 ha de ray-grass anglais juste à côté de la stabulation. Au printemps, les vaches y pâturent la journée et reçoivent une demi-ration hivernale la nuit. « Je n'ai jamais anticipé les adaptations nécessaires à l'AOC. Je me suis contenté de suivre le mouvement. Jusqu'à présent, les conséquences sont positives sur notre système de production. » Patrick reconnaît tout de même qu'au début, envoyer les vaches au pâturage n'allait pas de soi.

« J'étais un adepte des "poudres de perlimpinpin" pour maximiser la production, plaisante-t-il, et je ne supportais pas une baisse du lait dans le tank. Sans l'AOC, les vaches auraient aujourd'hui 3 à 4 ha pour se dégourdir les pattes. » Elles disposent désormais de 20 ha de pâtures et il n'est pas question de revenir en arrière. C'est que Patrick n'aime pas les orientations appliquées à moitié. « Trois ans après le lancement du pâturage, nous sommes passés au pâturage jour et nuit, mais la nuit sur une parcelle de 2 ha. C'était devenu un bourbier. Il fallait prendre une vraie décision. »

Lui qui aime relever les défis sort l'artillerie lourde : les 10 ha de RGA, mal implantés, sont retournés pour un nouveau RGA sur 5,5 ha et 4,5 ha de matrix. En 2008, il sème 5 ha de fétuque élevée, puis 4 ha de RGI en 2011. Sylvie et Patrick viennent - encore de franchir une étape cette année en remplaçant une partie du ray-grass anglais par leur premier mélange prairial fait sur mesure : RGA diploïde et tétraploïde semi-tardifs à tardifs, trèfle blanc, fétuque et pâturin des prés.

« DU 0 % AU 100 % PÂTURAGE EN NEUF ANS »

Le couple complète le dispositif en investissant 12 000 € en 2010 dans deux chemins d'accès dignes de ce nom. La formule conseillée par leur chambre d'agriculture (silex compact + empierrement avec du 0-40 mm, puis un revêtement fin) ne lui donne pas satisfaction. L'année suivante, il n'hésite pas à investir 5 200 € pour bitumer les chemins. « Quel que soit le temps, les vaches ont les pattes propres en rentrant dans le bâtiment. Elles n'ont plus de cailloux dans les pattes. Et, plus globalement, nous n'enregistrons plus de mammites ou très peu à leur mise à l'herbe. C'est agréable de travailler dans ces conditions et nous aimons voir nos vaches pâturer », se réjouit Sylvie, en charge de la traite. Sans doute le point d'orgue de cette évolution est-il, l'an passé, la fermeture du silo de maïs ensilage du 1er mai au 15 juin. Cette année, vu le printemps froid et pluvieux, la fermeture est décalée au 20 juin et pour trois semaines. « Nous sommes aujourd'hui dans les clous de la partie alimentaire du cahier des charges AOC. »

« DES VACHES HAUTES PRODUCTRICES À MOINDRE COÛT »

Au-delà de l'ancrage dans l'AOC, le pâturage participe à l'obtention d'un coût alimentaire le plus bas possible. Objectif : abaisser le coût fourrager et développer l'autonomie protéique via des prairies multi-espèces.

Pas question pour autant de renoncer à des holsteins hautes productrices. Pour y parvenir, quelle que soit la saison, la ration fourragère doit être équilibrée et efficace. Grâce à cela, chaque kilo de concentré énergétique distribué se transforme en lait. « Ce principe est en particulier appliqué sur le maïs-ensilage », confirme Yann Martinot, le Monsieur alimentation d'Orne conseil élevage. Il suit le Gaec depuis quatre ans. « Le chantier est réalisé vers le 20 octobre pour récolter un maïs à 35 % de matière sèche » (le site laitier est aussi sur une zone plus tardive). L'amidon est alors à un stade plus avancé. By-pass, il ne sature pas le rumen. Avec un tel ensilage, les concentrés énergétiques ne risquent pas de provoquer d'acidose, d'autant plus qu'en amont, les éleveurs veillent à une longueur de brins correcte. « La bonne prévention des acidoses subcliniques évite une sousvalorisation de la ration. On considère que cela représente un gain de 10 /1 000 l », avance l'expert. Ce souci (voir aussi infographie page précédente) a contribué à réduire la quantité de concentrés par vache : 5 kg en 2011-2012 contre 6,3 kg en 2010-2011 pour quasiment la même production. Résultat : le coût de concentrés passe à 49 €/1 000 l contre 57 €. Dans les troupeaux prim'holsteins ornais suivis par OCL, c'est la tendance inverse : 51 €/1 000 l contre 46 € en moyenne… avec 2 à 3 kg de concentrés par vache en moins. Le recours à des matières premières telles que les tourteaux de soja et de colza, ou le maïs grain humide stocké en boudin, contient le prix moyen d'achat des concentrés. La signature pour un à deux ans de contrats d'approvisionnement en tourteau de soja pour les ateliers du lait et des porcs sécurise les tarifs et permet une prévision annuelle des dépenses en aliments. Ainsi, l'année 2012 est-elle assurée par un contrat de 350 t à 302 €/t souscrit il y a un an… loin des actuels 420 €, voire plus. « La stratégie d'achats des intrants compte autant que la conduite technique », déclare l'expert.

Les éleveurs ont réussi jusqu'à présent le double pari de l'AOC camembert de Normandie et de vaches productives. Pour ces passionnés de génétique holstein, reste la question épineuse de la race normande.

« OBJECTIF : 30 À 35 NORMANDES »

Ils doivent atteindre 50 % de vaches normandes en 2020. Ce délai risque d'être raccourci de trois ans, puisque Bruxelles veut descendre la date butoir au 1er mai 2017, en contrepartie de son coup de tampon. Dans cette perspective, Sylvie et Patrick ont acheté l'an passé 19 génisses qu'ils ont inséminées. « Avant cette acquisition, cela n'a pas été concluant mais nous n'avons pas donné toutes leurs chances à celles intégrées dans le troupeau prim'holstein », reconnaissent ils. Elles reçoivent en effet la même ration complète que leurs consoeurs, alors qu'elles ont un niveau de production inférieur. « Elles engraissent, ce qui n'est pas bon pour leur santé ni pour leur reproduction », analyse Yann Martinot. Conséquence : la majorité a été réformée. Il ne reste plus que quatre laitières sur les normandes intégrées en 2008, à la suite d'une reprise d'exploitation. Elles n'ont même pas fourni de veaux puisqu'elles ont reçu des embryons prim'holsteins qui alimentent notamment l'activité de vente de vaches en lait de l'exploitation (49 vendues en 2011-2012). « Nous partons avec de meilleures intentions avec les 19 achetées dans un élevage reconnu, indique Sylvie. Par leur vêlage en mai et juin, elles éviteront la ration complète hivernale trop riche. Les quatre premiers vêlages de génisses nous laissent dubitatifs. Une seule a une mamelle correcte. Espérons que les suivantes seront d'un meilleur niveau. » Le couple fait aujourd'hui le grand écart pour concilier l'AOC et son activité de ventes de vaches en lait et de produits génétiques. C'est que l'investissement en génétique holstein des années passées porte ses fruits. L'élevage est mieux placé que la moyenne départementale en caractères fonctionnels et morphologiques. Il a d'ailleurs signé onze contrats d'accouplement, dont certains avec des entreprises de sélection allemandes et néerlandaises, guidé par Dynam'Is. Cette double activité commerciale se traduit, en 2011-2012, par un produit viande de l'atelier du lait de 90 €/1 000 l (57 € en 2010-2011).

Le pari d'avoir 30 à 35 normandes d'ici cinq à huit ans ne leur fait pas peur. D'ailleurs, leur plan de bataille est déjà écrit. Comme ils l'ont fait il y a vingt ans pour les holsteins, ils souhaitent les façonner à leurs propres critères, en commençant par la mamelle et les pattes. « Nous inséminerons celles qui donnent satisfaction avec de la semence sexée.

Celles qui nous plaisent moins seront porteuses des meilleures normandes du troupeau. » Ils visent, à terme, la constitution d'un lot normand et d'un lot holstein pour une conduite alimentaire hivernale adaptée. Et s'il faut produire plus une année, ils comptent sur leurs « noires » qui sont capables, selon eux, d'augmenter leur production de 10 à 15 %. « Espérons que cette orientation ne nous pénalisera pas après 2015. Comme nous élevons toutes nos génisses holsteins, il nous sera facile de faire marche arrière. En revanche, nous ne le ferons jamais sur notre système fourrager. »

CLAIRE HUE

Le site laitier est un monobloc de 60 ha autour du bâtiment. Des conditions idéales pour développer du pâturage pour les vaches.

Construite en 2003, l'installation est fonctionnelle. Les silos sont juste à côté de la stabulation en logettes-caillebotis qui, elle, est au pied des pâtures.

17 200 €, c'est le montant total que le Gaec n'a pas hésité à investir en deux temps pour deux chemins d'accès au pâturage. Ils sont bitumés.

Tout est fait pour un maïs ensilage bien valorisé. Il est récolté à 35 % de MS. Le matériel de reprise ne pénalise pas la longueur des brins à la distribution.

Dix-neuf génisses prêtes à inséminer ont été achetées en 2011 pour répondre au cahier des charges de l'AOP camembertl'AOP camembert de Normandie.

La stabulation contient 72 logettes. Cent trente autres peuvent être installées à la place des génisses, élevées aujourd'hui dans des cases paillées.

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