ALLEMAGNE « 1 800 VACHES, ET 27 SALARIÉS, UN AUTRE MÉTIER »
HANS-PETER GREVE A VENDU SA FERME DE 80 VACHES POUR CONSTRUIRE UN TROUPEAU DE 1800 LAITIÈRES. UN CHANGEMENT RADICAL QUI LUI PERMET DE VIVRE COMME IL L'ENTEND.
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LES IMMENSES PARCELLES DE CÉRÉALES ET DE MAÏS S'ÉTENDENT à perte de vue, séparées ici ou là par des forêts. Les habitations se regroupent à l'écart des grands axes. Dans ces villages, les immeubles datant de l'époque communiste rappellent que nous nous trouvons à l'est du Rideau de fer qui divisait l'Europe jusqu'en 1989. Dans cette région du nord de l'Allemagne, le Mecklembourg-Poméranie, l'héritage du passé est visible : des exploitations de grande taille, bien structurées et spécialisées. Ici, les troupeaux de plusieurs centaines de vaches existaient déjà dans les années 1970. Le Parti voulait des fermes productives et avait imposé le regroupement des exploitations sous des formes coopératives.
C'est là que Hans-Peter Greve a posé son sac en 1991. Lors du congrès European Dairy Farmers, organisé en Allemagne fin juin, des éleveurs du réseau ont pu visiter sa ferme qui compte 1 800 vaches et 27 salariés. Beaucoup ont été impressionnés par le personnage. Bien dans sa tête, souriant et détendu, Hans-Peter, 48 ans, connaît sa ferme dans ses moindres détails. Un professionnel qui a construit son projet, qui le maîtrise et qui en vit sereinement. Il a démarré sa carrière sur la ferme familiale, dans le Schleswig-Holstein. Il travaillait avec ses parents sur une exploitation de 80 laitières. Hans-Peter a effectué des stages aux États-Unis, dans le Wisconsin et en Californie. Il y a vu des élevages de plusieurs milliers d'animaux. « Je n'envisageais pas de rester sur une petite structure, car il me paraissait très compliqué de pouvoir me libérer du temps pour avoir une vie sociale et familiale », explique-t-il.
Alors qu'il réfléchissait à une reprise au Danemark, le mur est tombé. Il est allé voir les opportunités qui existaient à l'Est. « Les terres se négociaient à 3 500 €/ha. Beaucoup de fermes étaient à vendre. La région était moins peuplée que les environs de Hambourg, où l'espace devenait rare. » En 1991, il a vendu sa ferme pour en acheter une autre en Mecklembourg-Poméranie. Le prix de vente a couvert l'acquisition.
« UN CAP POUR PASSER DE 200 À 500 VACHES »
Il a débuté avec 300 vaches, puis en 2006, a jeté son dévolu sur une exploitation toute proche, à Rodenwalde. C'est là qu'il a construit son élevage d'aujourd'hui. Lors de l'achat de cette ferme, l'hectare se négociait à 6 000 €, soit deux fois plus qu'à son arrivée dans la région. Les prix flirtent maintenant avec les 30 000 €. Cette inflation a permis à Hans-Peter d'augmenter considérablement son capital. Il est propriétaire de 45 % des 1 900 ha qu'il exploite. Le reste appartient à deux coopératives qui ont survécu à la fin du communisme. Si la ferme laitière est conduite exclusivement par Hans-Peter, les cultures sont gérées par deux sociétés distinctes qui emploient dix salariés. L'exploitation reprise disposait d'un quota de 3 Ml sur 1 000 ha avec 350 vaches. Chaque année, Hans-Peter a acheté du quota. Les prix se situaient entre 2 et 8 c/l. Il est ainsi parvenu à 16,5 Ml, sa référence, début 2015.
« Mon objectif était de produire le moins cher possible. La rentabilité augmente avec le nombre de vaches. Ce sont les deux cents dernières qui font la différence. » Hans-Peter estime qu'il existe un cap difficile à passer entre 200 et 500 vaches. Dans cette tranche, la main-d'oeuvre familiale ne suffit plus. L'embauche devient indispensable et les salariés doivent être polyvalents. Au-delà de 500 vaches, la spécialisation devient possible. L'organisation du travail est beaucoup plus simple et efficace : « Il est alors facile de s'agrandir. Il suffit de dupliquer un système qui a fait ses preuves. » En 2010, Hans-Peter a investi sur un nouveau site, accolé à l'ancien. Jusqu'alors, il utilisait les anciens bâtiments. Le projet visait à loger 1 800 vaches. Cet effectif correspondait au quota acquis, mais aussi au potentiel fourrager de l'exploitation. L'éleveur a élaboré son projet en s'inspirant de ce qu'il a vu aux États-Unis. Il s'est également appuyé sur une architecte spécialisée en bâtiment laitier. L'exploitation a investi 5,8 M€ pour le logement des vaches, la salle de traite, les silos et le stockage des effluents. Soit 3 200 €/place.
Il a construit trois bâtiments dont deux identiques pour les vaches en production. Un couloir d'alimentation central sépare deux zones de couchage où sont aménagés trois rangs de logettes. La structure est métallique et les parois latérales se composent de filets amovibles. Car la température peut monter au-delà de 30°C en été. Il faut alors tout ouvrir pour ventiler.
« JE CHOUCHOUTE LES FRAÎCHES VÊLÉES »
La table d'alimentation est équipée de barres horizontales, les cornadis coûtant trop cher. Seule une petite zone en dispose dans chaque bâtiment. « Quand on doit isoler une vache, on ne la sépare pas de son groupe car cela génère du stress. » Les logettes en béton sont creuses. Deux fois par semaine, elles sont chargées en compost issu du digestat du méthaniseur après séparation de phase. « Nous avons adopté cette pratique en décembre. J'ai vu des éleveurs américains le faire. C'est très confortable. Mais il faut renouveler au moins deux fois par semaine. En couche fine, le produit sèche vite sous les vaches. Si on réduit la fréquence, il faut en mettre davantage avec le risque qu'il reste humide. »
En moyenne, les bâtiments offrent une logette par vache. Mais en réalité, Hans-Peter chouchoute les fraîches vêlées. Elles ont 10 à 15 % de logettes de plus pendant le premier mois. « C'est important que ces vaches bénéficient d'un confort maximal. En fin de lactation, et alors qu'il y a toujours un tiers du troupeau à la traite, il est moins pénalisant de ne pas disposer d'une place de couchage par vache ».
Le troisième bâtiment, sur le même modèle, accueille l'infirmerie et l'espace vêlage. Les taries y sont hébergées quatre semaines avant le vêlage. Elles font l'objet d'une surveillance 24 h/24 et restent dans ce logement jusqu'à dix jours après le vêlage. « Il est pratique de regrouper les animaux qui nécessitent une surveillance particulière. Ces vaches passent par une petite salle de traite aménagée dans ce bâtiment pour éviter de contaminer les vaches saines. Et c'est par là que passe tout le lait qui doit être écarté. » Les vaches sont conduites par lots en fonction de l'âge.
« UN NUTRITIONNISTE ÉTABLIT LA RATION »
La ration est la même pour toutes les vaches en production. Elle est calculée avec un nutritionniste indépendant qui vient chaque mois. Elle doit répondre aux besoins de vaches produisant en moyenne 10 800 kg de lait par an ou 28 kg par jour, en trois traites par jour. Le fourrage se compose pour deux tiers d'ensilage de maïs et pour un tiers d'ensilage d'herbe. Le concentré est fabriqué sur place. Chaque vache reçoit 2 kg de soja, 4 kg de canola, 1 kg de pulpe de betterave, 1 kg de blé, 2 kg de grain de maïs et 400 g de minéraux. L'ensemble est distribué en ration complète une fois par jour. Les vaches taries sont au pâturage avec un peu d'ensilage de maïs durant quatre semaines avant de rentrer. Ces soins rapprochés prodigués nuit et jour aux animaux qui en ont le plus besoin portent leurs fruits.
Le taux de mortalité des veaux n'est que de 3,5 % et celui de réforme de 19,2 % les douze derniers mois. En moyenne, les vaches ont effectué quatre lactations lorsqu'elles partent. Les motifs principaux sont l'infertilité, les mammites ou les taux cellulaires, les membres et l'âge.
La réussite à la reproduction est difficile. L'intervalle entre deux vêlages est de 400 jours, ce que Hans-Peter juge correct. Mais 3,5 paillettes sont nécessaires pour produire un veau, ce qui est beaucoup. La gestion de la reproduction est laissée à un salarié d'Alta Genetics qui intervient directement sur l'élevage. Il se charge de la surveillance des chaleurs, fournit et met en place les paillettes. Il perçoit 80 € par gestation. Deux évolutions récentes pourraient permettre une amélioration des performances. « Désormais, nous utilisons un bolus spécifique (Nutral) sur toutes les vaches qui délivrent mal. Et nous enrichissons la ration des fraîches vêlées avec 300 g de MG/jour durant cent jours. » Il est encore trop tôt pour en tirer le bilan. La sélection du troupeau s'accentue également et Hans-Peter mise sur les caractères fonctionnels.
« LA RENTABILITÉ LIÉE À LA MAÎTRISE DES COÛTS »
Depuis quatre ans, toutes les vaches sont inséminées avec des taureaux génomiques choisis sur ces critères. Le troupeau vient seulement de se stabiliser à 1800 vaches. Il était encore en croissance il y a quelques mois et les réformes en tenaient compte. Les génisses qui arrivent ont un niveau génétique plus élevé que leurs aînées. Hans-Peter veut donc leur faire de la place.
Le premier vêlage se produit en moyenne à deux ans. Hans-Peter sous-traite l'élevage de 200 des 500 génisses dont il a besoin à un ex-producteur de lait. « Je lui vends les veaux et je rachète les génisses deux ans plus tard. Cela réduit mon capital immobilisé dont la gestion est cruciale pour une entreprise de cette taille. »
Les autres ne quittent pas l'exploitation. Dans deux ans, l'éleveur de génisses prendra sa retraite. En prévision, Hans-Peter va construire un bâtiment spécifique pour les génisses d'ici à la fin de l'année. Il investit près de 1,5 M€ pour 800 places, financés à 50 % par un prêt.
Quant à la vente de son lait, Hans-Peter tient à s'en charger lui-même. Il a signé un contrat pour deux ans avec un négociant. Celui-ci s'engage à collecter toute la production et à la payer au prix moyen allemand. S'y ajoute une prime de 0,75 c/kg au titre de la quantité. Comme tous les éleveurs européens, Hans-Peter vend depuis plusieurs mois en dessous de son prix d'équilibre. Il s'était préparé à cette crise. Les engrais et semences de l'année sont payés et il possède des stocks de maïs conséquents. Il semble serein. Ses résultats technico-économiques sont installés à un bon niveau depuis longtemps. La confiance est établie avec le banquier.
Avec neuf ans de recul, Hans-Peter est très satisfait de son parcours. Certes, il travaille soixante heures par semaine, mais il aime ce qu'il fait. Et sa vie de famille, avec sa femme et ses trois enfants, n'en pâtit pas. Il prend des jours de congés quand il le souhaite.
Travailler sur une grosse exploitation lui apporte donc les avantages attendus. Il estime que la rentabilité dépend d'abord de la maîtrise des coûts. La taille permet des économies sur les achats et une forte spécialisation, qui accroît les performances. Hans-Peter bénéficie aussi de la proximité du port de Hambourg.
« DES OPPOSITIONS AUX GROS ÉLEVAGES »
L'exploitation est bien intégrée dans l'environnement local. « Vingt-sept personnes travaillent sur l'élevage, dix sur les cultures. J'estime qu'il y en a autant qui dépendent de nous en amont et en aval. Cela représente pas loin de cent familles. » Hans-Peter organise une journée portes ouvertes lorsqu'il réalise un nouvel investissement. Une manière d'expliquer aux voisins comment il travaille.
Cependant, les opposants à ce type d'élevages existent aussi en Allemagne. Des associations défendent le bien-être animal et voudraient que les vaches pâturent, que les veaux restent avec leur mère... Hans-Peter entend ce message, mais relève aussi les contradictions. « Si l'on respectait tout ce que réclament les défenseurs des animaux et les écologistes, nos coûts seraient multipliés par deux ou trois. Or, les citoyens veulent aussi une alimentation bon marché ! » Pour lui, l'avenir est aux exploitations qui concilient le social, l'économie et l'environnement. Il ne peut pas se soucier uniquement du confort de ses animaux en oubliant celui de ses salariés. « Quand je rentre d'un séjour sur une ferme de 10 000 vaches aux USA, j'ai le sentiment de vivre ici sur une ferme familiale, avec mes 1 800 vaches et mes 27 salariés qui, pour la plupart, travaillent avec moi depuis des années. »
PASCALE LE CANN
Trois équipes de trois personnes se relaient pour assurer la traite trois fois par jour. L'installation comprend 2 x 24 postes et tourne 24 h sur 24.
Les vaches taries passent un mois en pâture avant de rentrer sur une aire paillée pour se préparer au vêlage. Les malades sont mises à l'écart dans ce même bâtiment.
La méthanisation offre une diversification intéressante en temps de crise car les tarifs de rachat d'électricité sont avantageux. De nombreux éleveurs laitiers allemands y ont recours, comme Hans-Peter Greve.
Les anciens bâtiments accueillent les génisses. Bas de plafond et équipés de cheminées pour la ventilation, ils ont suffisamment bien vieilli pour permettre à Hans-Peter d'étaler ses investissements dans le temps.
Les jeunes veaux démarrent dans des cases individuelles pendant dix jours avec du lait frais pasteurisé. Ils rejoignent ensuite des cases collectives où ils reçoivent du lait en poudre durant quatre semaines.
Dans ces étables, conçues pour 600 vaches en production, les animaux sont nourris à l'auge quodidiennement, mais la ration est repoussée toutes les deux heures.
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