« NOUS AVONS FAIT LE PARI RAISONNÉ DE TRIPLER NOS LIVRAISONS EN NEUF ANS »
LES ASSOCIÉS DU GAEC DE LA COUMIÈRE, TOUS PASSIONNÉS D'ÉLEVAGE, SONT PARTIS SUR DE BONNES BASES POUR GAGNER LEUR PARI : PASSER DE 730 000 L EN 2007 À PLUS DE 2 ML LIVRÉS EN 2016.
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LES ASSOCIÉS DU GAEC DE LA COUMIÈRE font partie de ces éleveurs haut-marnais qui, en zone de polyculture-élevage, ne cèdent pas à la facilité des grandes cultures et continuent mordicus de croire au lait. Il est vrai que cette exploitation a la chance d'être située dans la zone AOP brie de Meaux, un gage d'assurance quand il s'agit de bâtir un projet. Non seulement ce lait bénéficie d'une plus-value sur le prix standard, mais la demande de l'industrie, soucieuse de conforter sa collecte pour continuer de fabriquer du brie de Meaux, reste forte.
Créé en 1972 entre Ulysse Varnier et son fils Jean-François, ce Gaec n'a cessé de se renforcer au fil des années. D'abord avec Daniel, frère de Jean-François, et Geneviève Chaulot, sa belle-soeur. Puis avec l'installation d'Alban, le fils de Jean-François en 2007. L'élevage compte alors une centaine de prim'holsteins pour un quota de 730 000 litres qui gonflent encore les années suivantes après quelques opportunités d'achat.
« UN PROJET QUI A MÛRI PENDANT DEUX ANS »
En janvier, avec l'arrivée de Quentin, un nouveau jeune agriculteur, cousin d'Alban, ce sont 90 000 litres qui sont venus conforter la référence à 1 330 000 litres. Et ce n'est pas fini. Cette installation s'intègre en effet dans un projet global d'accroissement conséquent de la production enclenché en 2011. Ce sont près de 2 millions de litres que le Gaec s'apprête à produire en 2016, fort d'une rallonge espérée importante de leur laiterie. Une rallonge seulement espérée pour l'instant, car la laiterie, Lactalis, n'a pas pris d'engagement ferme. Mais la prise de risque est mesurée, la situation particulière de la zone AOP brie de Meaux expliquant cela (lire « Parole d'éleveur »).
Les deux frères, Daniel et Jean-François Varnier expliquent les raisons qui ont provoqué le déclic d'engager ce projet ambitieux : « En 2009, nous étions bloqués dans le village entre les rivières et les voisins, avec un bâtiment de 105 logettes pourtant mis aux normes en 1998, sans aucune possibilité de nous agrandir alors que nous pouvions acheter du quota tous les ans. Notre cheptel était performant avec une production de plus de 10 000 kg/VL. Par contre, notre salle de traite, une 2 x 10 en épi, était inconfortable et gourmande en main-d'oeuvre pour nos 100 laitières. Nous étions à plus de deux personnes pour traire dans des conditions difficiles. En 2010, notre quota atteignait les 900 000 litres et notre bâtiment était saturé. Il fallait choisir entre changer de salle de traite tout en restant dans l'impossibilité d'évoluer, ou revoir globalement notre projet d'exploitation avec la construction d'un nouveau bâtiment hors du village. »
Malgré 485 ha de SAU à plus de 90 % labourables, avec un bon potentiel pour les cultures de vente, la famille Varnier n'a jamais envisagé de cesser le lait. La réflexion du projet a mûri pendant deux ans, de 2009 à 2011, pour aboutir à la décision d'opter pour un développement significatif de la production laitière sur l'exploitation. Pour Jean-François, « les jeunes ont poussé » à cette décision. Pour Alban, « c'est venu des parents ! » Peu importe, les deux générations, éleveurs dans l'âme, ont adhéré unanimement au projet. Une question s'est rapidement posée sur le nombre de places à prévoir dans le bâtiment. Deux possibilités s'offraient : soit un projet évolutif, avec l'obligation de reprendre régulièrement les travaux à mesure de l'évolution du quota et de la saturation des équipements en place, soit un bâtiment surdimensionné prévu pour 240 vaches avec des capacités de stockage des fourrages et des effluents adaptées. « Nous avons choisi une solution intermédiaire, avec la volonté de surdimensionner le bâtiment pour accueillir 240 vaches, mais avec l'obligation que toutes les places soient occupées », explique Alban. Traduisez : les vaches taries, les génisses à inséminer et les gestantes sont logées provisoirement sous le même toit que les trayantes en attendant la construction, prévue plus tard, d'un bâtiment qui leur sera dédié.
« UN INVESTISSEMENT DE 5 000 €/PLACE »
Le bâtiment, opérationnel début 2013, a demandé vingt mois de travaux dont une partie importante d'autoconstruction : maçonnerie, bardage, pose de la couverture, des caillebotis, des logettes, des tapis dans les allées et des portes. « Nous ne le regrettons pas, car l'autoconstruction nous a permis de gagner plus de 1 000 € par place. Nous avons pu financer des équipements importants pour le confort des animaux comme des tapis dans les allées, des murs Isocell gérant la ventilation », note Daniel. Au final, ce sont 1 240 000 € HT, soit une dépense de 5 000 €/place, qu'aura coûtés ce bâtiment de 4 800 m2 avec 240 logettes paillées, équipé d'un roto de traite intérieure de 28-32 places. Ce prix inclut une fumière couverte en contrebas de 670 m2, une aire d'exercice extérieure sur caillebotis de 470 m2, une fosse de 1 900 m3 et un silo de 2 100 m3.
« La conception du bâtiment est adaptée à un agrandissement en cas de besoin, précise Alban. Nous ne sommes plus limités par des contraintes extérieures, nous avons prévu la possibilité de construire un nouveau silo ainsi qu'un bâtiment pour les génisses de plus de 15 mois et les vaches taries. » Curieusement, Jean-François, le plus âgé, aurait volontiers imaginé un projet plus ambitieux : « Nos finances étaient saines. Nous aurions pu prévoir un bâtiment d'une capacité de 300 vaches, mais les autres associés, plus frileux, m'ont freiné. »
L'effectif est passé de 100 à 160 laitières sans achat extérieur. « On grandit comme prévu avec le troupeau », confie Daniel. Le renouvellement est d'ores et déjà pensé pour être dans la capacité de réaliser une production supplémentaire de 600 000 litres en deux ans. « L'organisation n'a pas été modifiée. En revanche, le travail est plus confortable et simplifié. Aujourd'hui, avec le roto de traite, nous passons 140 vaches à l'heure à deux personnes. Nous n'oublions pas les deux années pénibles que nous avons passées lorsqu'il fallait participer activement à la construction, en assurant à la fois le quotidien de l'élevage dans des installations obsolètes et la culture des céréales, que nous avons d'ailleurs dû ressemer en 2012. »
« LA CHARTE BRIE DE MEAUX ASSURE UN BONUS DE 10 À 20 €/1 000 L »
Lorsque l'on aborde la prise de risque inhérente à un tel développement, les associés renvoient à l'étude conduite par les conseillers d'entreprise de la chambre d'agriculture qui ont travaillé sur l'élaboration du projet et la robustesse du système. « Je suis confiant car notre élevage est situé dans une zone où le lait est rémunéré 10 à 20 €/1 000 litres de plus dans le cadre de l'adoption de la charte brie de Meaux et ce, sans contrainte supplémentaire, explique Alban. Nous appliquons déjà le cahier des charges pour l'alimentation et le logement des animaux, et notre lait répond aux critères stricts en matière de bactériologie et germes pathogènes. » Autre élément de confiance pour ce producteur de lait âgé de 30 ans : « Pour l'instant, la laiterie n'a pas pris d'engagement formel, mais l'élevage bénéficierait d'un prix du lait unique sur l'ensemble du droit à produire sans différenciation de lait A ou B. »
Pour les trois années à venir, il n'y a pas d'évolution prévue dans la structure du Gaec. Les associés les plus âgés sont très impliqués par ce nouveau challenge et n'ont pas l'intention de prendre leur retraite avant 2019. Le problème se posera lors de leur départ. Alban et Quentin analyseront la situation en fonction de la conjoncture et notamment du prix du lait et des céréales. « Tout va dépendre de la position de la laiterie concernant l'octroi de litrage supplémentaire et du prix du lait. Cela nous poussera ou non à augmenter la production laitière ou à nous stabiliser à 240 vaches, effectif sur lequel nous avons bâti le projet. Tout est prévu, tant l'agrandissement du bâtiment que la gestion des effluents, que nous avons anticipée. Nous avons la volonté de nous agrandir. Cela se fera en priorité avec notre laiterie Lactalis, mais nous étudierons toutes les possibilités et opportunités qui se présenteront. » Et Quentin d'ajouter : « Nous avons veillé à ne pas reproduire les erreurs du passé, quand nos parents ont construit le bâtiment dans le village, il y a trente ans. Trois cents vaches et leur suite pourront être logées. Nous avons anticipé toutes les situations possibles et retenu la leçon de nos parents. »
« VIVRE ET REMBOURSER LES CHARGES AVEC LA TRÉSORERIE »
Disposer de 327 ha de cultures de vente est un atout majeur quand il s'agit d'investir aussi lourdement sur l'activité laitière. Certes, toutes les années ne se ressemblent pas pour les rendements de blé ou de colza. Mais sur la durée, cette activité végétale a permis au Gaec d'engranger des bénéfices et de disposer d'un matelas conséquent pour faire le grand saut en 2011. L'année 2012 précédant l'impact des premières annuités liées à ces investissements laitiers est, à ce titre, atypique. Le ressemis obligatoire des céréales, victimes de gel, a plombé l'EBE, tombé à 247 000 € (26 % d'EBE/produit brut) pour un résultat courant de 111 000 €. 2011, bien plus représentative de la rentabilité de l'exploitation, faisait apparaître un EBE deux fois plus important, soit 508 000 € pour un résultat courant de 313 000 €.Sur la base de 2 Ml produits par 217 vaches à 8 900 l/VL, vendus à 320 €/1 000 l (des hypothèses volontairement prudentes) et de rendement des cultures dans la moyenne, le budget prévisionnel fait apparaître un chiffre d'affaires de 1,130 ME pour 2019. Soit, au final, un EBE de 367 800 € pour un résultat courant de 46 000 €. Dans l'hypothèse d'un départ des deux associés remplacés par un salarié, l'EBE serait de 335 000 €. De quoi octroyer une rémunération de 28 000 € par personne aux trois associés qui resteront alors et de rembourser les annuités de 251 000 €. Ce montant correspond pour 37 % à l'emprunt qu'il sera nécessaire au Gaec de contracter pour rembourser l'effort d'autofinancement important consenti pour la mise en oeuvre du projet par Jean-François et Geneviève. Cela grâce aux bénéfices capitalisés au fil des ans sur leurs comptes associés. Le reste intègre pour 45 % le renouvellement de matériel, jusqu'alors retardé, pour 7,5 % un bâtiment de stockage et pour 5,5 % le bâtiment programmé pour loger les génisses et les vaches de réforme quand plus de 200 laitières seront en production (et pour 5 % des prêts existants). Ces 251 000 € d'annuités correspondent à un endettement de 34 %, dans la norme d'une exploitation en bonne santé financière. Elles tomberont à 195 000 € en 2022. « Compte tenu du faible endettement de départ, proche de 20 %, ce projet est équilibré avec peu de risques », estime Marie Geoffrin, ingénieur à la chambre d'agriculture de Haute-Marne, qui a conduit l'étude économique du projet. « Cette exploitation dispose d'un outil de production neuf et opérationnel, et d'un parc matériel renouvelé qui permet d'assurer un niveau de revenu supérieur à celui de la plupart des associés en Gaec de 20 000 €. » Démonstration est faite que dans le contexte actuel, il faut au départ des résultats économiques performants, un endettement maîtrisé et un parc matériel correct pour s'engager dans ce type d'opération.
DENIS SCHANG
La stabulation mise en service début 2013 se veut évolutive. Elle est prévue pour 240 laitières avec 2 couloirs d'alimentation. Elle héberge actuellement les génisses et les taries qui, à terme, auront leur propre bâtiment.
Daniel, tout comme Jean-François, est spécialisé dans la gestion des 327 ha de cultures de vente.
Les veaux naissants sont conduits en niche individuelle dans un espace dédié, pour l'instant non cloisonné, dans la stabulation des laitières.
Le robot de traite intérieur de 28-32 places, représente le quart des 1,24 M¤ investis dans le bâtiment. Il est capable de passer 140 vaches à l'heure hors lavage, à deux personnes, le plus souvent Alban et Quentin.
La paille des céréales de l'exploitation fournit les 4 kg utilisés par vache et par jour. Le paillage a lieu chaque matin avec la pailleuse. Les éleveurs passent tous les jours pour dégager la paille souillée à la fourche.
La ration complète, distribuée par une mélangeuse automotrice, se compose (matière brute) de 30 kg d'ensilage de maïs, 10 kg d'ensilage de luzerne, 2 kg de pulpes de betterave, 2 kg de farine de maïs et 3,7 kg d'un complément azoté à 47 %. Elle couvre 35 litres de lait. Actuellement, les vaches en lactation sont toutes réunies dans un même lot.
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