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« POUR FAIRE FACE À LA VOLATILITÉ, JE JOUE L'INTENSIFICATION »

REPORTAGE PHOTOS : © DENIS PAILLARD

COLLECTÉ PAR UNE COOPÉRATIVE BELGE, NICOLAS CHOMBART FAIT LE DOUBLE PARI DE L'INTENSIFICATION ET DE LA MAÎTRISE DES CHARGES POUR AMORTIR LES CONTRECOUPS D'UN PRIX DU LAIT BEAUCOUP MOINS LISSÉ QU'EN FRANCE.

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C'EST DANS UN CONTEXTE PÉRIURBAIN, À 15 KM DE LILLE, entre l'autoroute A25 et la ligne TGV que Nicolas Chombart conduit seul un troupeau de 51 laitières, sur 68 ha de terres bien regroupées autour du site d'exploitation. Cet environnement se caractérise par une forte pression foncière liée à l'urbanisation croissante et à des montants de reprise difficilement amortissables pour des cultures fourragères (des chiffres de 15 000 à 20 000 €/ha hors rachat du foncier sont évoqués). De fait, le pâturage est progressivement abandonné au profit d'une intensification des pratiques permise par le fort potentiel agronomique des terres qui autorise, par exemple, des rendements en maïs de 18 t de matière sèche par hectare sans irrigation. « C'est un territoire de polyculture-élevage, avec un emblavement important en cultures industrielles, betteraves sucrières, pommes de terre et céréales, explique Nicolas. La concurrence avec l'élevage est réelle, mais nous avons aussi des surfaces en herbe non retournables qu'il faut savoir valoriser. »

C'est sur ce territoire qu'il s'installe en Gaec avec ses parents à l'automne 1990. À l'époque, la SAU est de 33 ha et le quota laitier de 330 000 litres est livré à l'usine Danone de Bailleul. « Je n'ai pas obtenu de rallonge lors de mon installation car le droit à produire était supérieur à la référence départementale. D'ailleurs, mon quota n'a pas évolué jusqu'en 2007. Pour conforter mon installation, j'ai cependant eu l'opportunité de reprendre 12 ha de terres, portant la SAU à 45 ha, ce qui a permis de développer les cultures de blé, de colza (4 à 5 ha/an) et un atelier de 30 taurillons intégrant la construction d'un bâtiment. Enfin, nous avons développé l'activité de transformation et de vente de yaourts au détail », explique Nicolas En 1998, le départ à la retraite de ses parents signe la fin de la vente directe et la diminution de l'activité d'engraissement. Aujourd'hui, seuls les mâles nés sur la ferme sont engraissés.

« LA PHASE D'ÉLEVAGE DE 0 À 6 MOIS EST DÉTERMINANTE »

Du côté des investissements, l'année 2003 correspond à la mise aux normes , avec la construction d'une fumière couverte sur fosse à purin. Dans le même temps, une nouvelle salle de traite 2 x 6, avec une aire d'attente sur caillebotis, est installée.

En 2008, un propriétaire « raisonnable » lui permet de porter sa surface totale à 68 ha. Le dernier investissement de taille a consisté, en 2011, à créer trois silos couloirs sur une aire bétonnée de 1 800 m2 facilitant l'accès aux bâtiments (56 000 €). Sur le plan stratégique, en 2000, Nicolas a décidé de quitter l'usine Danone de Bailleul pour livrer sa production à la coopérative belge Milcobel. « J'ai choisi de rejoindre la coopérative àune période où elle prospectait directement les élevages du secteur avec des prix plus attractifs. Le montant des parts sociales s'élevait à 50 €/1 000 l. À l'époque, les éleveurs qui, comme moi, ont suivi cette démarche ont souvent été perçus comme des opportunistes, se souvient Nicolas. Mais jusqu'à la crise de 2009, je n'ai pas eu à regretter cette décision. Les prix restaient comparables, voire supérieurs à ceux pratiqués en France et la volatilité des prix était modérée. » Parallèlement, l'augmentation de 1 % annuelle et les attributions de quotas successives ont porté le droit à produire à 384 000 litres de lait. Seul sur l'exploitation, Nicolas s'oriente alors vers une plus grande spécialisation laitière et la recherche d'un niveau d'intensification élevé, autorisant la mise en culture d'une trentaine d'hectares de céréales. Cette option passe tout d'abord par des vêlages précoces, grâce à l'attention accordée à la conduite des génisses, comme en témoignent ces résultats : l'âge moyen à la première IA est de 15,7 mois et au premier vêlage de 25,5 mois. « La phase d'élevage de 0 à 6 mois, en particulier le suivi de la période d'allaitement, est déterminante pour la conduite de vêlages précoces. » Au cours de cette période, les veaux sont nourris au lait reconstitué, avec un aliment floconné dans un premier temps, de la paille propre à volonté et de l'eau dès les premiers jours de vie. Le lait est réchauffé et les quantités distribuées sont mesurées pour bien respecter le programme d'allaitement.

« POUR LES BESOINS DE TRÉSORERIE , AMÉLIORER LES PRODUITS ANIMAUX »

Il y a cinq ans, un épisode de fièvre Q a conduit à mettre en place un traitement antibiotique systématique des taries. Tous les nouveau-nés reçoivent un traitement contre la grippe et un anticoccidien dilué dans le lait au cours des premières semaines. Le paillage est quotidien et, au moment du vêlage, l'éleveur n'hésite pas à se relever plusieurs fois dans la nuit pour aider la mise-bas et s'assurer de la prise du colostrum. L'astreinte liée aux soins des veaux est importante (en moyenne une heure par jour), mais les résultats sont là : 47 veaux élevés en 2014, sur 48 vêlages. En outre, les vêlages étalés d'août à mars limitent la pression infectieuse en nurserie, tout en laissant le temps de faire un vide sanitaire. Après le sevrage et jusqu'à 6 mois, les génisses sont élevées avec une part de ration des vaches laitières, du concentré et de la paille autoproduite à volonté, « plus efficace que le foin pour préparer les génisses ». Conduites à l'herbe après 6 mois, les génisses restent la nuit en stabulation où elles conservent toujours une part d'alimentation à l'auge. La mise à la reproduction commence à partir de 14 mois avec 100 % de semences sexées femelles sur les génisses. Un moyen d'assurer le renouvellement, mais aussi de développer la vente de génétique (11 femelles vendues en 2014). Le choix des accouplements se porte principalement sur des taureaux améliorateurs en lait et en mamelle, tout en restant vigilant sur les aplombs et le gabarit des animaux, qui sont logés dans des niches à vaches datant de 1973 (54 places) et dont les stalles apparaissent aujourd'hui un peu courtes pour le format holstein. Enfin, sur des vaches difficiles à remplir, Nicolas n'hésite pas à utiliser des doses mâles de race blanc bleu belge. « À partir d'un système bien calé techniquement, il est difficile de trouver des marges de progrès. L'amélioration du produit issu de la vente d'animaux est un moyen de tirer le maximum de l'atelier bovin pour répondre aux besoins de trésorerie dans un contexte de prix du lait bas. »

« PRODUIRE LE PLUS DE LAIT POSSIBLE À PARTIR DES FOURRAGES »

Un autre levier porte sur l'optimisation du coût alimentaire : d'une part, à travers une bonne maîtrise des apports de concentrés achetés par contrats d'approvisionnement, d'autre part, par la capacité à valoriser les surfaces en herbe et à tirer le meilleur parti du potentiel agronomique des terres pour produire le maximum de lait à partir des fourrages. Ainsi, les vaches laitières sont conduites en ration complète, équilibrée à 33 kg de lait. Elle comprend 9,9 kg de matière sèche d'ensilage de maïs, 3,9 kg d'enrubannage de prairie naturelle, 2,8 kg d'enrubannage de luzerne, 1,8 kg de pulpe de betterave ensilée, 1,5 kg de Betador (sous-produit industriel) ensilé à 30 % de MS, issu de l'extraction de sirops de sucre, dosant 1,3 UF, 30 g de PDIN et 40 g de PDIE), 4 kg de correcteur soja/colza, 100 g d'urée à 80 % et 250 g de minéral 4/25/5. Une pratique de rationnement qui mise aussi sur la disponibilité en coproduits pour conforter la productivité par hectare. En période estivale, les laitières ont accès à 3 ha d'herbe divisés en huit paddocks. Une surface pâturée qui ne permet pas d'envisager la fermeture des silos. Sur cette base, la consommation de concentrés s'élève à 190 g/l, soit 1 710 kg/VL. Le coût alimentaire est de 119,90 €/1 000 l, dont 75,10 € de concentrés. Il est légèrement supérieur à la moyenne du Geda des Flandres intérieures qui est de 114,50 €, dont 81,40 € de concentrés. « L'introduction de l'herbe et de la luzerne dans la ration permet à Nicolas de maximiser la production de lait à partir des fourrages en limitant le recours aux correcteurs azotés, commente Quentin Sansen, animateur technique du Geda pour la chambre d'agriculture Nord-Pas-de-Calais. De cette manière, il est plus économe que la moyenne en matière de consommation de concentrés (190 g/l, contre 220 g). Mais le coût alimentaire global est pénalisé par le recours important à l'enrubannage qui induit un coût de récolte élevé de 241 €/ha, contre 85 € en moyenne. »

« TROUVER LE BON ÉQUILIBRE HERBE/MAÏS »

Pour réduire le coût de récolte, Nicolas envisage de passer à l'herbe ensilée, tout en conservant l'enrubannage de luzerne. « Dans tous les cas, l'herbe récoltée est gourmande en temps de travail. Mais, par rapport à ma conduite antérieure 100 % maïs, elle présente l'intérêt de valoriser les surfaces toujours en herbe, tout en réduisant le coût de la complémentation azotée et les problèmes métaboliques, en particulier les retournements de caillette. Dans un premier temps, j'ai fait l'erreur de déconcentrer la ration des vaches en production en incorporant jusqu'à 15 kg bruts de luzerne. Pour atteindre mon objectif économique de 10 000 l de lait vendu par vache, je sais maintenant qu'il faut limiter cet apport à 6 ou 7 kg bruts. » Quant aux vaches taries, elles restent en stabulation où elles reçoivent de la paille à volonté, 25 % de la ration des laitières et un minéral spécifique administré sous forme de bolus avec, là encore, beaucoup moins de problèmes métaboliques qu'au pâturage. « Le système d'élevage mis en place par Nicolas Chombart dégage un niveau de production de 12 596 kg/ha, proche de la moyenne locale de 12 835 kg/ha, souligne Quentin Sansen. Il s'agit d'un critère d'intensification important dans un contexte de prix du foncier élevé. »

« UN OBJECTIF DE 10 000 LITRES LIVRÉS PAR VACHE LAITIÈRE, »

Au regard de résultats qui atteignent jusqu'à 20 500 l/ha chez les éleveurs flamands les plus performants sur ce critère, l'individualisation de la ration pourrait offrir des marges de manoeuvre supplémentaires à l'exploitation. Or, la ration complète a été mise en place pour soulager l'astreinte (six heures et demie en hiver et quatre heures et demie en période estivale) d'un éleveur père de cinq enfants, qui aspire aussi à consacrer du temps à sa famille. Longtemps envisagée, l'embauche d'un salarié n'a jamais pu être concrétisée du fait de la pression foncière qui a figé la structure d'exploitation. « Le plan d'épandage et la menace sur la pérennité du foncier sont des contraintes fortes qui limitent l'augmentation du troupeau », explique Nicolas, qui devrait perdre 2 ha en 2016 pour la construction d'une nouvelle déviation. Ainsi, à défaut d'avoir pu atteindre la taille critique qui lui aurait permis d'embaucher, l'option du robot de traite est en réflexion à moyen terme. Il pourrait répondre à la fois aux objectifs de productivité, sans augmenter la charge de travail. « Une voie d'optimisation pourrait aussi passer par la délégation complète des travaux de plaine, mais c'est un cap que j'ai encore du mal à franchir. Aujourd'hui, à 50 ans, le robot me semble mieux adapté, d'autant que les prêts consentis pour la mise aux normes prennent fin en 2015. D'ici deux ou trois ans, le temps de reconstituer ma trésorerie, se posera alors la question, en fonction d'éventuels repreneurs, d'investir ou de finir ma carrière en roue libre en visant l'objectif de 10 000 l de lait livré par vache laitière (9 030 l actuellement) etensaturant les 54 places de ma stabulation. »

JÉRÔME PEZON

La qualité des terres autorisant de hauts niveaux de rendements et la pression urbaine croissante sont des éléments structurels qui caractérisent l'environnement de l'exploitation de Nicolas Chombart.

La stabulation de 54 places construite en 1973 sur le principe des niches à vaches est aujourd'hui couverte. L'objectif est de saturer le bâtiment en visant un niveau d'étable de 10 000 litres/vache.

La luzerne enrubannée apporte pleine satisfaction sur le plan sanitaire. « Gare cependant à limiter la quantité dans la ration des laitières, au risque de déconcentrer la ration », prévient l'éleveur.

Les génisses sont inséminées à l'âge de 15,7 mois, pour un âge moyen au vêlage de 25,5 mois. Les vêlages précoces permettent ainsi d'optimiser le lait par jour de vie : 13,67 litres/j/vache contre une moyenne départementale de 10,40.

L'autosuffisance en paille permet de pailler abondamment les niches, mais aussi les aires d'exercice en vue de produire un fumier pailleux facile à épandre et qui se tient bien dans la fumière.

La qualité sanitaire du lait était de 166 000 leucocytes en 2014. En salle de traite, Nicolas utilise un produit moussant pour le prétrempage associé à des lingettes individuelles. Seul à la traite en 2 x 6, il met environ une heure et demie.

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