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« 2009 A ÉTÉ DIFFICILE, PRÉPARONS-NOUS À D'AUTRES CRISES »

REPORTAGE : © J.-B. LAFFITTE

SYLVIE ET THIERRY SÉGOUFFIN, ÉLEVEURS DANS LE SUD-OUEST, ONT INVESTI DANS UN BÂTIMENT NEUF JUSTE AVANT LA CRISE. LE CHOC A ÉTÉ VIOLENT. DEUX ANS APRÈS, TOUT VA MIEUX ET DES LEÇONS ONT ÉTÉ TIRÉES.

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SI LA DÉPRISE DU LAIT DANS LE SUD-OUEST EST UNE RÉALITÉ, elle ne doit pas occulter le dynamisme des éleveurs qui se sont engagés dans cette production. Sylvie et Thierry Ségouffin sont de ceux-là. Certes, ils sont les seuls producteurs de lait de leur commune (il en reste six dans le canton), mais ils ont plusieurs atouts en main. Le Sud-Ouest a la réputation d'avoir été l'eldorado des quotas laitiers. Il suffisait, dit-on, de demander des droits à produire pour se créer une belle structure que le reste de la France pouvait envier. Ce ne fut pas aussi simple pour Thierry. Quand il s'installe avec son père en 1991, ils produisent 260 000 l. « À l'époque, je n'étais pas prioritaire. Ce n'est qu'en 2002, grâce à un CTE, que j'ai pu récupérer 30 000 l. Contrairement à d'autres départements du Sud-Ouest, les Hautes-Pyrénées n'ont eu d'importants volumes disponibles qu'à partir des années 2000. La priorité d'alors était de fournir les JA et de façon massive : 150 000 l en cinq ans. Cela ne laissait pas grand-chose pour les autres. On nous l'a parfois reproché. Aujourd'hui, il suffit de faire 95 % de la référence pour recevoir les quantités demandées », explique Thierry, responsable JA de 1995 à 2001. Pour lui, arrêter le lait n'a jamais été envisagé. La structure était trop modeste (50 ha) pour permettre une spécialisation céréalière et l'intérêt pour l'élevage laitier lui a été transmis par ses parents. « C'est une production passionnante où il y a toujours quelque chose à améliorer. On est jamais au bout, même si en contrepartie, on ne sait pas ce qui nous attend le matin au réveil. »

« UN BÂTIMENT ENTIÈREMENT AUTOCONSTRUIT »

Sa croissance, Thierry la fera en reprenant l'exploitation d'un oncle (180 000 l et 40 ha de SAU) et avec l'installation de Sylvie, son épouse, en 2007. Elle gardera cependant un mi-temps de salarié. Ce sera important pour la suite. Un changement d'échelle extrêmement rapide qui voit doubler le quota et la SAU. « Nous avons logé plus de 50 vaches dans une stabulation de 40 places. La traite se passait dans l'ancienne étable entravée : trois heures matin et soir à deux. » Un nouveau bâtiment est alors indispensable. Il sera entièrement autoconstruit et pour cela, Thierry embauche un salarié. « Pendant un an, jusqu'en avril 2008, j'ai travaillé de 5 heures du matin à 21 heures et le week-end dans les champs. C'est dans ces périodes que l'on apprécie l'entraide et le travail en Cuma. » Avant d'investir, Thierry avait envisagé de s'associer avec un voisin et donc d'installer une salle de traite équipée d'un roto. Le projet a échoué. « Je regrette qu'il n'ait pas abouti. C'est le seul moyen de se libérer vraiment de l'astreinte. Je le vois autour de moi. Ce sont souvent les exploitations individuelles qui arrêtent le lait. » À défaut d'associé, il est convaincu de la souplesse d'organisation que permet le robot de traite. Ce sera d'ailleurs le premier robot du département. « C'était le bon choix, même si l'astreinte est toujours là. Aujourd'hui, même mon père, qui a commencé sa carrière en trayant à la main, s'y est mis. » Le bâtiment de 80 places a été conçu pour accueillir ce robot : c'est un système tout lisier avec 70 logettes équipées de matelas, racleurs hydrauliques et fosse géomembrane.

« En incluant l'achat d'une pelle mécanique de 20 000 €qui a servi au terrassement, le bâtiment nous a coûté 450 000 €, dont 140 000 €pour le robot et les portes intelligentes. Nous avons tout fait, sauf le montage du hangar, l'installation du robot et l'électricité. J'estime avoir économisé plus de 100 000 €. »

Le bâtiment a été construit à l'écart du hameau et offre un accès à 12 ha de pâture dont 6 ha sont réservés aux vaches. « Cela représente peu dans la ration, même au printemps, mais je voulais que les vaches puissent sortir pour leur confort et la santé du troupeau. » Les génisses quant à elles sont logées dans l'ancienne stabulation à aire paillée des vaches.

« UNE OUVERTURE DE CRÉDIT DE 50 000 EUROS »

Début 2009, l'éleveur est encore dans l'euphorie de la construction et les réglages d'adaptation du troupeau au robot quand le prix du lait chute brutalement. Une sale période quand on vient tout juste d'investir. En outre, Thierry doit faire face à plusieurs difficultés. Les animaux, habitués à l'aire paillée, souffrent pour s'adapter au sol en béton du nouveau bâtiment. D'autres refusent le robot. Il y a de la casse et naturellement l'éleveur conserve des vieilles vaches qui plombent le niveau de cellules.

« Au total, j'ai dû réformer une vingtaine d'animaux et racheter des génisses car je n'avais pas assez de renouvellement. Et j'étais loin de faire mon quota. Fin mars 2009, il manquait 80 000 l. » Frais financiers en hausse, ennuis sanitaires, cellules et sous-réalisation, le cocktail est détonnant. « J'ai souvent entendu dire qu'il ne fallait pas nécessairement produire son quota quand le prix du lait est bas. C'est une hérésie et je l'ai payée cher sans le vouloir. Bien sûr, il ne faut pas acheter de l'aliment à n'importe quel prix, mais même à 220 €/1 000 l, si les charges opérationnelles sont couvertes, il faut produire au maximum », assure Thierry. En attendant des jours meilleurs, la famille Ségouffin a dû « se serrer la ceinture ». « En un an, entre 2009 et 2010, nous avons prélevé seulement 6 000 €sur l'exploitation. Nous avons vécu avec le mi-temps de Sylvie. » En mars 2009, l'EARL Ségouffin a dû demander à la banque une ouverture de crédit de 50 000 €. « Cela ne m'était jamais arrivé, mais je n'avais pas le choix. C'était le ballon d'oxygène indispensable. » En octobre 2009, le couple a aussi utilisé le plan d'aide gouvernementale de 30 000 € sur cinq ans. « Avec le recul, j'ai fait l'erreur d'autofinancer trop largement le bâtiment. En 2007 et 2008, le prix du lait se tenait. J'avais donc de la trésorerie et je n'ai emprunté que 300 000 €sur les 450 000 €d'investissement, alors que je n'avais quasiment pas d'annuités. Cette trésorerie m'a cruellement manqué en 2009 et j'ai dû faire des courts termes au lieu d'avoir emprunté davantage sur dix ans. »

Il est vrai que l'EARL a très peu d'annuités (36 000 € en 2011), la banque n'a donc pas hésité à apporter son soutien.

« SAVOIR METTRE DE LA TRÉSORERIE EN RÉSERVE »

Mais le coup a été brutal. La première victime fut le salarié. Impossible de continuer à payer un salaire dans une telle conjoncture. Heureusement, il a retrouvé un travail rapidement. Pendant ces mois difficiles, Thierry a-t-il douté de son choix d'investir dans l'élevage laitier ? « Je n'avais pas à me poser cette question, le bâtiment était là. En outre, le maïs grain se vendait à 120 €/t en 2009 et les céréaliers qui venaient d'acheter du foncier n'étaient pas dans une situation plus brillante. Le maire de notre village est un éleveur de porcs d'origine bretonne. Il connaît les fluctuations des cours. Il est toujours là et la France produit toujours du porc. Il faudra nous aussi apprendre à s'adapter, car si la conjoncture s'est améliorée aujourd'hui, je reste persuadé que tout peut basculer rapidement. » Mais comment les éleveurs laitiers peuvent-ils s'adapter à cette nouvelle volatilité ? « Il faudra construire une gestion financière un peu plus sérieuse que ce que je faisais, notamment savoir mettre de la trésorerie en réserve pour les coups durs. Ensuite, la connaissance du coût de production et de ses composantes devient essentielle pour comprendre qu'il faut saturer au mieux l'outil de production. Enfin, jouer à fond la qualité du lait. Au contrôle laitier, je constate des écarts de 70 €/1 000 l entre les paies de lait sur ce critère. Là-dessus, ni Bruxelles ni la laiterie ne sont en cause. » À propos de coût de production, le Sud-Ouest a un atout majeur : le maïs. Dans l'hypothèse où l'irrigation n'est pas limitée, les 20 t/ha de MS sont accessibles, soit plus de 18 000 UF/ha. « Cette année, nous avons atteint 22 t. » Cela offre une grosse capacité d'intensification à l'hectare dont Thierry profite. Ainsi, des surfaces sont disponibles pour les emblaver en maïs grain, en blé ou mieux, obtenir des contrats de semences en tournesol et en colza. La consommation d'eau sur ces cultures est plus faible que pour un maïs et la marge brute très intéressante (1 800 €/ha). Deux ans après le choc de 2009, la situation économique de l'EARL Ségouffin s'est nettement améliorée, que ce soit sur le lait ou les céréales. Thierry a pu embaucher un salarié à mi-temps pour le seconder sur les 107 ha de cultures. « Mon temps de travail sur le troupeau pour une journée normale, sans problème, c'est deux heures le matin, une heure à la mi-journée et une heure le soir, et c'est Sylvie qui a en charge l'élevage des veaux et des génisses », précise Thierry.

« 11 000 EUROS PAR HECTARE POUR DES TERRES IRRIGABLES »

À cette astreinte quotidienne s'ajoutent, dès le printemps, la mise en place et le suivi de l'irrigation qui demandent souvent trois heures par jour. Aussi Thierry a-t-il choisi, en 2010, d'adhérer à un groupe de sept éleveurs qui délèguent l'alimentation à une mélangeuse automotrice avec chauffeur. « Je devais renouveler ma mélangeuse à pales et j'ai calculé que cela ne me revenait pas plus cher. Je paie 7 000 € par an pour une distribution par jour aux vaches et aux génisses, sauf le dimanche. »

Thierry Ségouffin a la chance d'être entouré d'éleveurs allaitants et dans son canton, l'ambiance « élevage » n'a pas disparu comme dans certains secteurs du Sud-Ouest.

« Si la production laitière nous permettait de dégager sans problème 35 000 € par an pour embaucher un vacher à temps plein, le lait ne disparaîtrait pas aussi vite dans les exploitations de polyculture-élevage. Le robot de traite ne remplace pas un salarié. Il ne permet pas non plus de décompresser complètement pendant le week-end. »

Mais alors, pourquoi ne pas passer à l'échelle supérieure et doubler la production, quitte à saturer une deuxième stalle de robot et s'autoriser l'embauche d'un vacher ?

« Seul, je ne le ferai pas et mon fils Hugo de 12 ans est trop jeune pour envisager quelque chose dans un proche avenir. Si j'investis maintenant, ce sera pour améliorer les conditions de travail. D'autre part, la pression foncière est énorme ici avec des tarifs à 11 000 €/ha pour des terres irrigables. Mais je ne doute pas qu'après la fin des quotas, les producteurs de lait français ouvrent les vannes. Cela se passera davantage dans l'Ouest que dans le Sud-Ouest. »

DOMINIQUE GRÉMY

L'exploitation est dans un hameau de la commune de Guizerix. Le bâtiment neuf a été placé à l'écart des habitations et offre des possibilités d'agrandissement. Nous sommes dans le Sud-Ouest, une région de polyculture-élevage où le maïs est roi. Chez Sylvie et Thierry, il occupe 40 ha, moitié en grains, moitié en ensilage.

Le bâtiment a été entièrement autoconstruit entre 2007 et 2008. Au premier plan, le bureau qui sert de poste de contrôle pour le robot de traite.

Thierry est satisfait d'avoir chosi le robot. Avec 65 vaches en lactation et 160 traites par jour, la stalle tourne à pleine capacité. L'éleveur a installé dernièrement un chien électrique qui délivre une légère décharge quand la vache est encore dans la stalle 20 secondes après l'ouverture de la porte car certains animaux tardent à sortir.

Le bâtiment des vaches avec logettes à matelas et racleur hydraulique : « Je racle trois fois par jour en hiver ; le prochain investissement sera des ventilateurs pour les périodes de grosses

Le maïs irrigué assure des rendements de 20 t de MS en ensilage. Mais l'irrigation est un travail pénible, jusqu'à trois heures par jour.

La mélangeuse automotrice en action sur le petit silo de luzerne. Elle passe une fois par jour pendant six jours. Elle assure aussi la ration des génisses en hiver. L'été, elles sont au pâturage

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