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« NOUS CONCILIONS PRODUCTIVITÉ ET RESPECT DE L'ENVIRONNEMENT »

De gauche à droite : Jérôme et Philippe Collin, les deux associés du Gaec de Grivée.PHOTOS : © SYLVAIN BEUCHERIE

PHILIPPE ET JÉRÔME COLLIN VIENNENT D'INVESTIR DANS UNE UNITÉ DE MÉTHANISATION. LEUR TROUPEAU LAITIER EST GÉRÉ DE MANIÈRE INTENSIVE ET LEURS CULTURES AVEC PEU D'INTRANTS.

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EN INAUGURANT LEUR UNITÉ DE MÉTHANISATION EN NOVEMBRE DERNIER, Philippe et Jérôme Collin ont ajouté une dernière pierre à leur démarche autour de l'environnement. L'investissement est de taille et se chiffre à 1,8 M€ pour une puissance de 250 kW. La marge nette espérée est elle aussi conséquente puisqu'elle s'élève à 60 000 € par an. Cette nouvelle activité traduit entièrement la philosophie de ces deux associés : produire tout en respectant la nature. Mais surtout, en ne sacrifiant rien à la rentabilité.

« Dès 1998, nous avons voulu montrer notre engagement en adhérant à Farre, le Forum de l'agriculture raisonnée respectueuse de l'environnement, confie Philippe, 43 ans, le plus âgé de ces deux cousins. Nous avions peu d'efforts à faire pour répondre aux exigences du cahier des charges. » Pas question pour autant de se tourner vers le bio. Une démarche trop compliquée selon Jérôme, 39 ans : « Elle exige un haut niveau de technicité et peu de marge d'erreur. Avec l'agriculture raisonnée, nous utilisons des techniques alternatives et, en dernier recours, nous pouvons nous servir des produits chimiques. Les performances techniques et donc économiques restent élevées. » Un point très important car, jusqu'en 2005, le Gaec devait faire vivre quatre foyers. « Nos pères étaient encore associés de la société. »

UN COÛT DE CONCENTRÉ DE 69 €/1 000 L

Aujourd'hui, environnement ne signifie en aucun cas extensification de l'atelier laitier. Le troupeau est conduit à plus de 10 500 kg de lait. Les 75 vaches n'ont accès qu'à 15 ha d'herbe et la ration complète est composée pour moitié de maïs-ensilage. « On n'exclut pas de passer à un système à zéro pâturage dans le futur », ajoute Jérôme. Un contresens sur le plan écologique pour cette exploitation de la Haute-Marne, située en pleine zone herbagère, à la frontière avec les Vosges ? Pas forcément comme le rappelle Didier Petit de la chambre d'agriculture de la Haute-Marne : « Sur le plan environnemental, l'impact d'un élevage intensif est essentiellement lié aux pratiques culturales pour produire les fourrages. »

« Jusqu'en 2008, on plafonnait à 9 000 kg de lait, argumente Jérôme. Cela ne nous convenait pas car nos résultats de reproduction et nos frais vétérinaires étaient mauvais. » Les deux cousins décident alors d'introduire de la graine de lin extrudée, du foin de luzerne, de la luzerne déshydratée ainsi que du bicarbonate de sodium pour sécuriser la ration des laitières. Proche de zéro, la Baca grimpe alors à 180 meq par kg de MS. Résultat : non seulement l'état sanitaire du troupeau s'améliore. Mais en plus, le niveau d'étable bondit de 1 500 kg. Reste que ce changement a un prix. Le coût de concentré, incluant aussi des drêches de brasserie et des pulpes de betteraves, s'élève dorénavant à 69 €/1 000 l contre 50 € pour le groupe. « Cette intensification a occasionné une dépense d'aliment supérieure aux autres exploitations ayant le même niveau de production », regrette Didier Petit. Mais lorsque l'on s'intéresse au coût alimentaire, les chiffres du Gaec sont identiques au groupe (108 €/1 000 l contre 109). « Nous nous rattrapons sur le coût des fourrages. Les rendements en maïs ensilage sont très bons et atteignent 15 à 16 t de MS/ha », précise Jérôme.

Productivité rime aussi avec d'importants moyens préventifs pour maintenir de bons résultats. Un suivi de la reproduction est réalisé chaque semaine par le vétérinaire.

« Nous incorporons du bêtacarotène dans le minéral pour améliorer nos résultats. » Le taux de réussite en première IA est tout de même relativement bas et plafonne à 44 % sur la dernière campagne. Quoique comparé au groupe (47 %), les associés n'ont pas à rougir de ce chiffre. « Au final, le nombre d'IA pour féconder une vache est égal à la moyenne : 2,1. »

FAIBLE CONSOMMATION DE FIOUL GRÂCE AU LISIER

Les associés tentent de réduire a minima leur consommation d'antibiotiques. Pour cela, ils s'appuient sur la vaccination : BVD, grippe, entérotoxémie, rota et corona virus… Les veaux font l'objet de beaucoup de soins. Un système de brumisation d'huiles essentielles (eucalyptus, pin, géranium…) a été installé dans la nursery afin de prévenir les problèmes pulmonaires et lutter contre les mouches. Depuis deux ans, Philippe et Jérôme ont créé une banque de colostrum. Ils stockent le lait de la première traite des vaches après le vêlage et le distribuent systématiquement durant les trois à quatre premiers jours de vie des nouveau-nés. Cette pratique leur a permis d'éliminer les diarrhées.

Difficile selon eux de répondre aux exigences de leur laiterie Bongrain qui souhaite des livraisons de lait régulières sur l'année. Les vêlages sont groupés d'août à décembre. « Nous ne voulons pas les étaler pour continuer à faire des vides sanitaires dans la nursery. Mais peut-être allons nous réaliser deux périodes de vêlage », s'interroge Jérôme.

L'étalement de la production pourrait avoir un effet positif sur le prix du lait, moins bien rémunéré que le groupe (309 €/1 000 l contre 322 sur la campagne 2010-2011). Cette différence s'explique par des taux relativement bas (35,1 de TB et 31,1 de TP) liés au haut niveau de production et à la génétique. Aucun problème de qualité du lait n‘est à signaler, les comptages cellulaires sont bien maîtrisés (179 000 sur la dernière campagne). Malgré tout, les associés doivent faire face à un nombre élevé de mammites chroniques sur quelques vaches. Un germe d'environnement est à l'origine de cette pathologie. Il provient d'une mauvaise ventilation de la stabulation en logettes sur caillebotis.

Construite en 1990, elle est entourée d'un côté par le bâtiment abritant les génisses et de l'autre par le roto intérieur de vingt-deux places. « Les entrées d'air ne sont pas suffisantes. Nous venons d'installer des ventilateurs à l'intérieur pour résoudre ce problème. »

2 000 T DE DÉCHETS EN PROVENANCE D'IAA

Le système lisier est un atout pour réduire l'impact de l'exploitation sur l'environnement. « Le fait qu'il n'y a pas de paille à ramasser et à stocker ni d'aire de couchage à pailler… permet de réduire la consommation de fioul. » Les génisses sont, elles aussi, dans des logettes sur caillebotis. Au total, avec celle des vaches, les deux fosses représentent 2 000 m3. Ces effluents servent à alimenter l'unité de méthanisation. Ces effluents ne représentent qu'un tiers de la ration du digesteur. L'autre tiers est constitué par de la biomasse : gazon de déchetterie (1 200 t/ an) mais aussi ensilage d'herbe (900 t/an). Le restant, soit environ 2 000 t, est alimenté grâce à des déchets de l'industries agroalimentaires (pâtes à pizza, sauces alimentaires, soupe déshydratée…). Les associés souhaitent rester discrets sur ces produits. « Les contrats sont sur le point d'être signés, confie Philippe. En cas de difficulté à s'approvisionner, nousavons aussi stocké une dizaine d'hectares de maïs ensilage qui peuvent éventuellement être introduits dans le digesteur. »

DES VARIÉTÉS DE BLÉ RÉSISTANTES AUX MALADIES

La méthanisation trouve tout son sens puisqu'elle permet aux associés d'aller encore plus loin dans la réduction des intrants. Cette installation a la particularité d'être équipée d'un séparateur de phase. Seule la partie liquide, nommée éluat, est épandue dans les champs. Elle contient seulement 3 à 4 % de MS et chaque mètre cube apporte 8 unités d'azote. L'autre partie est acheminée dans un séchoir (voir encadré). Le blé comme l'orge reçoivent 20 m3/ha d'éluat en un seul passage. À cela s'ajoutent 120 unités d'azote chimique. Le colza : 40 m3 fractionnés en deux apports ainsi que 60 unités d'azote. Quant aux prairies, deux apports sont réalisés de 25 m3 chacun après la première et la seconde coupe. Grâce au biogaz, l'exploitation devient plus autonome et peut réaliser d'importantes économies. Philippe et Jérôme Collin pensent réduire leurs achats d'ammonitrate de 20 tonnes et de sulfate d'ammoniaque de 8 t. Le gain espéré est estimé à 10 000 €.

Aucune fertilisation en phosphore et potassium n'est réalisée. Des analyses de terres sont fréquemment pratiquées pour mesurer la richesse du sol. Quant aux pesticides, ils sont réduits au strict minimum. En témoigne l'indice de fréquence de traitement qui traduit le nombre de doses homologuées appliquées par hectare. « En Champagne-Ardenne, cet indice s'établit en moyenne à 5,6, déclare Frédéric Berhaut, de la chambre d'agriculture. Ici, il se limite à 3,6 sur les campagnes de 2007 à 2010. » Les associés utilisent diverses techniques alternatives pour limiter les intrants : rotations avec alternance de cultures d'hiver (blé, orge d'hiver…) et de printemps (maïs, radis…), utilisation d'un pulvérisateur à bas volumes. Le colza est aussi semé associé à de la lentille afin de réduire la salissure et les apports engrais. « Tout en garantissant des rendements identiques, voire supérieurs », insiste Philippe.

Depuis 2003, des variétés de blé anciennes, plus résistantes aux maladies (Saturnus), sont implantées. Avec des rendements moyens de 65 q/ha, ces blés font environ 15 q de moins qu'une céréale classique. Le Gaec de Grivée se rattrape sur le prix en le vendant en circuit court à un meunier. Celui-ci leur verse une prime comprise entre 40 à 60 €/t selon les variétés.

L'ATELIER BIOGAZ FACILE À DÉLÉGUER À UN SALARIÉ

L'intensification de l'atelier laitier correspond à une logique de réduire la surface fourragère pour augmenter les cultures de vente. Une stratégie payante lorsque les cours des céréales sont élevés, comme cette année où les céréales ont été vendues 250 €/t (prime comprise).

« Cette intensification a aussi pour objectif de réduire le nombre d'animaux et donc de baisser le temps de travail », complète Didier Petit. Jérôme a la responsabilité de l'atelier laitier tandis que Philippe gère les cultures et la méthanisation. Ces deux cousins ne sont pas seuls sur l'exploitation. Nathalie, la femme de Philippe, est salariée à mi-temps et assure la traite du matin. Et depuis le 1er janvier, un salarié à temps plein a été recruté.

Ancien mécanicien, il s'occupe principalement de l'entretien du matériel de culture et de l'unité de méthanisation. « Ce nouvel atelier peut facilement être délégué à un salarié car le travail est assez cadré », précise Philippe. L'unité demande chaque jour un peu moins de trois heures (alimentation du digesteur, fabrication des granulés…). « En plus de ces horaires, il faut aussi passer du temps pour la maintenance et surtout la surveillance. »

Les éleveurs peuvent aussi compter sur l'aide de leurs parents. Leurs mères donnent un coup de main à la traite et aux soins des veaux et leurs pères assurent l'alimentation. À l'avenir, les deux associés songent à embaucher un vacher lorsqu'ils ne pourront plus compter sur cette main d'oeuvre bénévole. En attendant, leur engagement dans l'environnement va se poursuivre. La qualification « agriculture raisonnée » n'existant plus, ils souhaitent obtenir la certification « haute valeur environnementale ». Ils attendent pour cela la sortie du décret précisant les modalités d'application de cette nouvelle appellation. Nul doute que le Gaec fera partie des premières exploitations certifiées.

NICOLAS LOUIS

Construite en 1990, la stabulation à logettes creuses sur caillebotis peut accueillir jusqu'à 90 vaches laitières.

L'exploitation est entourée par une forêt de 2 000 ha et un terrain militaire de 300 ha.

Le Gaec est équipé d'un roto intérieur de 22 places. Trois quarts d'heures suffisent pour traire 75 vaches. La traite est souvent assurée par deux personnes. Ici, Nathalie, la femme de Philippe, salariée à mi-temps, travaille avec Jérôme.

De la graine de lin extrudée, du foin de luzerne, de la luzerne déshydratée ainsi que du bicarbonate de sodium sont introduits dans la ration pour la sécuriser.

Une nursery a été aménagée dans une ancienne étable entravée et équipée de ventilateurs pour extraire l'air. Elle dispose d'une capacité de 100 places.

Le digesteur accueille trois ressources : du lisier, de la biomasse (ensilage d'herbe, de maïs…) ainsi que des déchets d'industrie agroalimentaire (sauces alimentaires, soupe déshydratée…).

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