« SEUL POUR 366 000 L ET 85 HA DE CULTURES, JE N'HÉSITE PAS À DÉLÉGUER »
ROBOT, DÉSILEUSE EN CUMA ET DAL : À 48 ANS, C'EST LE CHOIX QUE FAIT BERTRAND HEURTEAUX POUR POURSUIVRE DANS DE BONNES CONDITIONS L'ACTIVITÉ LAITIÈRE
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LES JOURNÉES DE BERTRAND HEURTEAUX SONT BIEN REMPLIES. Seul pour conduire ses 87 ha de cultures et ses 55 vaches laitières, voilà une dizaine d'années qu'il s'efforce de simplifier son travail dans chaque domaine de l'exploitation. Le tournant a été véritablement pris en 2005, avec l'achat d'un robot de traite.
« Jusqu'en octobre 2004, j'étais associé avec mon voisin. Après cinq années en SCEA, nous avons décidé d'un commun accord de mettre fin à notre collaboration. Après un hiver à assurer seul la traite, j'ai décidé d'investir dans le robot A2 de Lely. » Bertrand préfère cette solution à l'embauche d'un salarié ou la recherche d'un nouvel associé. « L'emploi d'un salarié oblige à proposer continuellement du travail. C'est une contrainte. De plus, il ne résout pas l'astreinte de la traite le week-end, avance-t-il. Quant à accueillir un jeune en constituant un Gaec, je ne m'en sentais pas capable. Partager les responsabilités sur une ferme familiale n'est pas une démarche facile. » Plus que la suppression de l'heure et demie de traite matin et soir, il apprécie la souplesse que lui apporte le robot dans son organisation. C'est que dans une ferme de polyculture- élevage, travaux des champs et astreintes d'élevage se télescopent certains mois. « J'aborde ces périodes dans de meilleures conditions. Je peux intervenir au bon moment. »
« IL FAUT CONCILIER TRAVAIL ET FAMILLE »
« Par exemple, au printemps, je traite les cultures en l'absence de vent, en pulvérisant tôt le matin. De la mi-septembre à la Toussaint, la période la plus difficile de l'année, il faut faire face aux vêlages, ensilage de maïs, semis de blé. Dégagé de la traite, je la gère plus aisément et le soir, je suis à la maison à 19 heures. »
La robotisation de la traite n'aide pas seulement à une meilleure adéquation entre les activités cultures et lait. Elle facilite l'organisation globale de la famille. « Mon épouse, Sylvie, assure son travail de secrétaire comptable trois jours par semaine. Lorsque nos trois filles étaient en écoles maternelle et primaire, j'attendais le bus scolaire avec elles, le matin. À 8 heures, la traite devait donc être finie. Si je commençais un quart d'heure en retard, c'était la course. Il fallait que je me libère de cette contrainte horaire. » Aujourd'hui, Bertrand emmène sa fille lycéenne à l'arrêt du bus scolaire, situé à 1 km de la ferme, tous les matins à 7 h 15. Il confie aussi que l'activité salariée de Sylvie en dehors de l'exploitation l'incite à planifier son travail en cohérence avec la vie familiale.
« Mon épouse est fille d'éleveurs. Elle comprend que l'activité laitière exige une présence sept jours sur sept. Elle le comprend d'autant mieux qu'elle assure la comptabilité de l'exploitation et le suivi des factures en tant que conjointe collaboratrice sur son temps partiel restant. Malgré tout, à moi de faire en sorteque cette contrainte ne soit pas pesante », dit Bertrand C'est dans cet esprit qu'il assume pleinement le surcoût du robot par rapport à une salle de traite. L'investissement de 119 000 € génère une annuité de 13 200 € jusqu'en 2017, sans compter la maintenance de 5 800 € par an (six visites annuelles préventives, visites de dépannage et remplacement des pièces) et l'actualisation régulière de l'équipement.
« Ce surcoût est au bénéfice de la simplification du travail », considère l'éleveur.
« UN DAL POUR LES VEAUX »
L'an passé, Bertrand a franchi une nouvelle étape dans l'automatisation des tâches. Il a installé, en octobre, un distributeur automatique de lait à deux stalles. Il nourrit les vingt à trente génisses conservées tous les ans, qui naissent entre septembre et février. Montant de l'acquisition : 8 000 € remboursables sur sept ans. Il y trouve deux intérêts : un gain de temps de 20 à 25 minutes par jour l'hiver et un meilleur suivi de l'alimentation lactée. « Auparavant, pendant la période de pointe à l'automne, je donnais une seule buvée par jour et le plus rapidement possible, préoccupé par le travail de la journée qui m'attendait. Ce souci est levé. »
Pour autant, Bertrand n'est pas un adepte du tout « high-tech » dans la délégation des tâches. Pour preuve, en 2008, il répond présent au projet de constitution d'une Cuma de désileuse automotrice proposé par ses collègues. Il hésite d'autant moins que l'accès à la ferme, à la stabulation laitière semi-ouverte et aux silos est déjà conçu pour une circulation aisée et optimisée des matériels agricoles et des camions. Une Storti de 17 m3 est commandée en octobre 2008. Elle débute son service en février 2009. Jusque-là, il distribuait la ration des vaches et des génisses avec un télescopique équipé d'un godet désileur de 2,5 m3. Un godet acquis en 1996 qu'il avait l'intention de renouveler. Responsable de la machine, il l'héberge, gère les réserves de fuel, les dépannages d'urgence et les relations avec le service après-vente du constructeur.
« UN MÉLANGE DE BONNE QUALITÉ AVEC LA DÉSILEUSE AUTOMOTRICE »
Le Bas-Normand ne fera pas marche arrière. Outre 30 minutes de distribution économisées l'hiver et 15 minutes l'été, là encore il gagne en souplesse. « Quand je m'absente pour un week-end prolongé ou une semaine de vacances, je n'ai pas besoin d'un remplaçant pour soigner le troupeau, ajoute-t-il. Des collègues voisins, équipés eux aussi d'un Lely A2, assurent la surveillance du robot. »
Néanmoins, après deux ans de fonctionnement, ce n'est pas l'aspect du travail qu'il met le plus en avant mais la qualité du mélange.
« Le godet désileur ne permettait pas d'incorporer des fibres. J'ai aujourd'hui moins de problèmes métaboliques. A coûts quasiment équivalents (voir tableau p. 87), le service est supérieur. »
Ces délégations du travail innovantes ne doivent pas masquer les autres moins « tape-à-l'oeil » : semis du blé sans labour, moisson réalisée par la Cuma avec chauffeur, caméra de surveillance des vaches pendant les vêlages, contention adaptée, taureau après la période d'inséminations, aménagement d'une chute de 2 m pour déverser le produit de raclage plutôt qu'une reprise-tracteur en bout de couloir vers la fumière, etc. « Je ne vois pas d'autres simplifications, hormis réduire la taille de mon troupeau », confie-t-il. Depuis trois ans, il accouple les laitières avec des prim'holsteins via l'insémination artificielle ou le taureau. Objectif : accroître le niveau d'étable pour descendre sous la barre des 50 vaches.
« IL FAUT ÊTRE RÉACTIF AU MARCHÉ »
Après une augmentation de sa référence de 75 000 l ces dix dernières années, Bertrand estime avoir atteint sa productivité maximale. Il vise désormais la conduite d'un système suffisamment réactif pour répondre à la demande du marché. Son taux élevé de renouvellement du troupeau (40 % en 2010-2011) lui apporte la marge de sécurité nécessaire pour produire plus s'il le faut. En contrepartie, afin de réduire les frais d'élevage et les consommations fourragères, il se lance dans les vêlages « deux ans ». De même, il teste le vêlage des génisses au printemps pour produire plus de lait l'été, comme l'encourage la grille de prix interprofessionnelle bas-normande. 12 génisses ont vêlé fin mai et début juin. Est-il prêt aussi à avancer le démarrage de sa principale période de vêlage à la mi-août contre la fin août actuellement ? « Non, je ne veux pas courir le risque d'un télescopage avec la moisson. »
Selon lui, l'adaptation au marché passe par un approvisionnement en concentrés ajustable. « Il faut un système de stockage simple – des cellules bétonnées pour être réactif sur le type d'aliments et sur le prix. » Ainsi l'an passé, il n'a pas hésité à acheter 25 t de tourteau de colza à 145 €/t en juillet pour une livraison en septembre. La conduite économique de l'exploitation repose sur la complémentarité lait-cultures. D'ailleurs, Bertrand la raisonne globalement par un EBE des associés à atteindre de 80 000 €. Cette complémentarité trouve tout son intérêt cette année avec la flambée du prix des céréales. Leur vente amortit la hausse du prix des aliments. Le prix moyen de la récolte de blé 2010 s'élève à 148 €/t (contre 133 €/t estimés à la clôture comptable en octobre 2010). En 2011, 150 tonnes (la moitié d'une récolte habituelle à 75 q/ha) sont engagées sous contrat pour un prix moyen de 180 €/t. Cette stratégie de diversification trouvera peut-être aussi son intérêt dans la gestion des stocks fourragers cet hiver. Une partie de la paille habituellement vendue pourra être valorisée par l'élevage. L'hiver dernier, 30 t de fanes de pois ont été consommées par les génisses, libérant ainsi de l'ensilage d'herbe pour les vaches (voir p. 87).
S'il avoue parfois sa lassitude face à un métier accaparant et aux années désormais plus fluctuantes, pas question d'arrêter le lait avant le remboursement total du robot en 2017.
« ASSURER LE REMBOURSEMENT DES 55 000 € D'ANNUITÉS »
L'inquiétude qu'il exprime ne se traduit pas concrètement sur l'exploitation. À 48 ans, Bertrand pourrait lever le pied. Il n'en est rien. « S'il parle de retraite, il n'en ralentit pas pour autant ses investissements, constate amusée, son épouse Sylvie. Les annuités sont calées sur 55 000 €. » Après le renouvellement de matériels en 2007, 2008 et 2009 (un tracteur de 170 ch, un télescopique et une benne de 21 t), son mari vient d'investir en copropriété dans un déchaumeur de 6 m et un plateau de paille de 12 m, en plus du Dal. Ils comblent la réduction d'annuités de 4 880 € en 2010-2011. L'éleveur projette l'installation d'un prérefroidisseur de lait et d'un tank tampon pour éviter l'heure d'arrêt du robot pendant le passage du camion. Montant prévu : 9 500 €. Cette politique dynamique ne pèse pas sur la situation économique globale. La structure a suffisamment d'assises pour autofinancer l'achat des intrants. Un atout indéniable en période de crise. « En 2009, notre trésorerie n'a pas souffert du poids des emprunts à court terme. Notre principal fournisseur a accepté un report du règlement de nos factures sans appliquer d'intérêts de retard, apprécie Sylvie. L'épargne des années précédentes a permis de maintenir le niveau des prélèvements privés. » Ils espèrent renouveler cette démarche cette année grâce aux prix du lait et du blé élevés, si la sécheresse ne pénalise pas trop les résultats.
Conscient que la variation du prix des céréales et du lait peut désormais perturber l'équilibre de l'exploitation, le couple s'achemine vers l'abandon d'un suivi comptable global pour une gestion plus affinée par production.
CLAIRE HUE
Un préparc avec barrière antiretour permet de faire patienter plusieurs vaches l'été. Il est agrandi l'hiver par un jeu de barrières. Pour encourager les huit réfractaires à fréquenter le robot durant cette période, deux nouveaux abreuvoirs y ont été installés et l'abreuvement est supprimé en stabulation.
Hébergée dans un bâtiment de la ferme, l'automotrice démarre la matinée en désilant le troupeau de Bertrand. Un point indispensable pour la bonne marche du robot.
Si Bertrand est satisfait du logiciel Lely de suivi de troupeau, la comparaison avec d'autres élevages lui manque. Il adhère depuis dix-huit mois au suivi Lactoplan proposé par sa coopérative. Il va aussi affiner sa conduite en calculant la marge de chaque atelier.
Les 11 ha de prairies autour de la stabulation sont valorisés en pâturage. Leur sol calcaire autorise une mise à l'herbe des laitières dès la fin février ou début mars. 6 ha les accueillent le jour et 3 ha la nuit. Des points d'eau en sortie d'herbage et à l'entrée du bâtiment les incitent à retourner au robot.
À partir du robot, les vaches à soigner ou à inséminer sont envoyées dans un parc d'isolement, ancienne sortie de la salle de traite. Un box d'insémination y est installé. Un box de contention est aussi aménagé sur un quai de l'ex-salle de traite.
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