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« DANS LES ALPES DU SUD, LE PARI DU LAIT, MALGRÉ LES INCERTITUDES »

Mélanie, Maé, Mikaël et Jean-Louis Dans son projet, le jeune père de Maé est soutenu par sa famille. Alors que son père Jean-Louis lui donne encore un bon coup de main, sa femme Mélanie travaille au Conseil général et rapporte chaque mois un salaire régulier. Un atout précieux en période d'installation.PHOTOS : © JEAN-FRANÇOIS MARIN

ALORS QUE D'AUTRES DANS LES HAUTES-ALPES HÉSITENT, FREINÉS PAR L'AVENIR INCERTAIN DU LAIT EN MONTAGNE SANS AOC, MIKAËL BOREL A FRANCHI LE PAS. IL A INVESTI 220 000 € DANS UNE NOUVELLE STABULATION.

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DE SON NOUVEAU BÂTIMENT, MIKAËL VOIT LES PISTES DE SKI de deux des stations de sport d'hiver du Champsaur. Mais depuis son installation en 2007, il n'y a pas mis les pieds, trop pris par le chantier de sa stabulation et par sa nouvelle fonction de papa. En construisant en dehors du bourg de Saint-Julienen- Champsaur un bâtiment permettant d'abriter l'ensemble de son troupeau sous un même toit, Mikaël s'est donné les moyens de développer sa production dans de bonnes conditions, et de travailler seul à terme. Son objectif est de produire 250 000 l de lait avec une quarantaine de vaches, des abondances pour l'essentiel.

« PAS DE PRODUCTION DE LAIT SANS CONSTRUCTION NOUVELLE »

Avec du lait industriel (sans valeur ajoutée particulière) et à quelques années de la suppression des quotas, cette démarche constitue un vrai pari. Soutenu par ses parents et par sa femme qui travaille à l'extérieur, le jeune éleveur de 27 ans y croit.

Pour Mikaël, s'installer signifiait forcément faire du lait. Mais sans construction nouvelle, reprendre le troupeau familial était impensable. En effet, les dix-sept abondances et trois montbéliardes étaient hébergées au centre du village dans trois anciennes étables entravées, dont la plus ancienne datait de 1780. Une stabulation paillée avait été aménagée pour une quinzaine de génisses. Dans les vieilles écuries, les conditions de travail et de confort des animaux n'étaient plus adaptées. « L'enrubannage stocké sur le plancher au-dessus des vaches était réparti dans des bassines et distribué dans leurs auges par gravité, précise Jean-Louis, le père de Mikaël, qui a trait pendant quarante ans au pot et sorti le fumier à la brouette jusqu'en 1994*. Avec la chaleur, c'était l'enfer, les vaches souffraient de problèmes de pieds. Néanmoins, avec ces conditions difficiles et un quota de 112 000 l sur 25 ha, nous vivions malgré tout. »

Jean-Louis n'avait pas investi davantage car il n'était pas sûr que Mikaël reprendrait un jour l'exploitation.

« À 14-15 ans, je le voyais plus souvent bricoler qu'à l'étable. Je pensais qu'après moi, il n'y aurait personne pour reprendre. Quand Mikaël nous a fait part de son souhait de s'installer, nous n'avons pas hésité : un nouveau bâtiment s'imposait. » Installé au 1er janvier 2007, le jeune agriculteur a consacré ses premières années à auto-construire sa stabulation à ossature bois. Aidé par sa famille et celle de sa femme, il a tout fait (à l'exception du gros oeuvre) : les fondations, la dalle, la pose des cornadis, l'aménagement de la salle de traite, de la laiterie, de la nurserie, le carrelage, la peinture… Bien épaulé par son père, à la retraite mais toujours très actif, il n'a ménagé ni sa peine ni son plaisir. Bricoleur dans l'âme, Mikaël a en effet toujours rêvé de construire son bâtiment. Dans toutes les exploitations où il est passé au cours de son parcours de futur agriculteur (BEP et BPREA), il avait observé et engrangé des idées. C'est ainsi, par exemple, qu'il a dessiné lui-même les plans de sa nurserie et mis au point un système ingénieux pour brasser le lisier paillé dans la préfosse. Une telle implication valait la peine : Mikaël estime qu'il a économisé plus de 100 000 €.

« LES LAITIÈRES RENTRÉES EN MARS 2010 DANS LE NOUVEAU BÂTIMENT »

Le nouveau bâtiment a été mis en service il y a un an. Il était temps. Dans la perspective du développement de la production, le maximum d'animaux avaient été gardés. Les anciens bâtiments étaient surchargés.

« Pour Noël 2009, nous n'avions rentré que les génisses, précisent les éleveurs. Nous avons attendu le mois de mars 2010 et la fin des grands froids pour amener nos 25 vaches. » « Les problèmes de pattes ont disparu, se félicite Jean-Louis, et le nombre de mammites s'est réduit à deux cas par an, contre un à deux cas par mois dans les anciennes écuries. » La production est également plus homogène. Les abondances démarrent à 23-24 kg pour monter à 28 kg de lait. Les montbéliardes passent au-dessus des 30 l. En février 2011, les réalisables se situaient à 5 981 kg avec un TB de 40,3 g par litre, un TP de 33 g/l, et une moyenne leucocytaire de 74 000 cellules par ml de lait (contre 109 000 en janvier 2010).

Au cours de cette campagne laitière 2010-2011, les 33 laitières, dont un tiers de montbéliardes, ont produit 170 000 l. Pour pallier le manque de veaux femelles abondances nées sur l'exploitation ces dernières années, une petite demi-douzaine de génisses ou de vaches montbéliardes moins chères à l'achat (200 € de moins à l'unité) et déjà écornées ont été achetées. Malgré ces achats, l'objectif de Mikaël de produire 250 000 l ne sera peut-être pas atteint l'an prochain, à cause d'un manque de fourrage. Avec dix vaches supplémentaires conduites en vêlage d'automne-hiver et qui passent six bons mois en bâtiment, il faudrait en effet 30 t de fourrage supplémentaires. Une production que les 23 ha de luzerne-dactyle ou de luzerne- fléole ne permettent pas d'assurer pour l'instant. Les 14 ha de prairies les plus proches sont ensilées, le reste est récolté en foin. Réimplantées tous les quatre à cinq ans sous couvert de céréales ou de vesce- avoine, les prairies souffrent en effet des conditions climatiques difficiles du Champsaur, où des étés assez secs succèdent à des printemps de plus en plus froids. « Sans irrigation, il faut se contenter d'une bonne coupe et d'un pâturage, précise Mikaël. Avec l'arrosage par contre, on peut espérer monter à 6-7 t de MS/ha. » Pour finir cet hiver, l'ensilage d'herbe risque d'être un peu court. « Il faudra acheter un peu de luzerne déshydratée, notent Mikaël et Ramené à la vache logée (quarante places), le coût du bâtiment se chiffre à 5 500 € (subvention de 43 000 € non déduite). Mais si l'on tient compte du fait que la stabulation abrite l'ensemble des bêtes de l'élevage (une centaine de génisses et de veaux), le coût de la place est estimé par la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes à 3 000 € par UGB. Jean-Louis qui s'inquiètent de l'envolée des prix des aliments. Le soja a doublé (200 à 400 €) et l'orge est plus chère que le maïs. Heureusement, l'automne dernier, nous avons passé un contrat d'approvisionnement sur la base de 180 /t avec un système de lissage de prix sur l'année. Il faudra sans doute ajouter 50 de plus. L'an prochain, 15 t ne suffiront pas. Il faudra plus certainement tabler sur un contrat de 20 t. »

« PLUSIEURS PISTES ENVISAGÉES POUR FAIRE PLUS DE FOURRAGE »

Alors que la pression foncière élevée localement exclut actuellement toute reprise de terrain supplémentaire, les éleveurs envisagent plusieurs pistes pour faire plus de fourrage, avec l'aide de leur technicien du contrôle laitier-EDE Jean Bernard. La première démarche consiste à veiller à la qualité du foin récolté en le rentrant plus tôt, et à rééquilibrer la fumure des prairies temporaires. Jusqu'à l'an passé, celle-ci était apportée sous forme d'engrais complet 5-12- 26 (300 kg/ha). Aujourd'hui, le lisier désormais recueilli dans la fosse non couverte est épandu sur toutes les prairies au printemps ou à l'automne. « Pour ajuster la fertilisation, conseille Jean Bernard, il serait bon de réaliser une analyse du lisier et de vérifier la richesse du sol en éléments fertilisants, le phosphore en particulier. Au prix où est l'engrais, il ne faut pas se tromper. »

L'extension du réseau d'irrigation, qui sera réalisé dès cet été sur 10 ha de prairies situées juste au-dessus du bâtiment des laitières, offre une perspective favorable. L'arrosage contribuera surtout à assurer le pâturage d'été. Ce dernier est réalisé en journée seulement sur 6 ha proches de la stabulation. En bâtiment la nuit, les vaches ont du foin. « Les pâtures déjà irriguées ont toujours de l'herbe fraîche, souligne Mikaël. L'herbe qui mûrit trop est fauchée. Pour utiliser l'eau du torrent, il suffirait d'investir 3 000 dans une pompe. » L'exploitation dispose déjà, depuis quatre ans, d'un enrouleur pour arroser les 12 ha déjà irrigués, dont 3,5 ha de pâtures.

Alors que l'achat de foin est aléatoire, il serait également envisageable d'introduire 2 à 3 ha de maïs dans l'assolement, quitte à réduire un peu les surfaces en céréales.

« LE MAÏS COMBLERAIT LE DÉFICIT FOURRAGER MAIS IL EST TROP EXIGEANT

Alors que la plupart des exploitations du Champsaur font de l'herbe et achètent des céréales ou des coproduits, la ferme Borel rentre chaque année 25 à 30 t d'orge de printemps et de triticale. Malgré des conditions de production limitantes (30 à 40 q sur l'orge de printemps, 40 à 60 q sur le triticale). « Il y a encore un an, explique Jean-Louis, l'exploitation n'avait qu'une vingtaine de vaches. Nous avions donc des parcelles disponibles. Par ailleurs, la culture des céréales est nécessaire à la rotation : elle permet le renouvellement des prairies temporaires. Là où il y a l'arrosage, les céréales sont valorisées. » « Adapté aux sols et au climat de la région à condition qu'il soit arrosé, le maïs comble rait le déficit fourrager, souligne Jean Bernard. Il fait en effet du rendement (12-13 t de MS/ha au lieu de 5-6 t pour l'herbe), et des UF (0,9 UFL au lieu de 0,7 pour l'ensilage d'herbe). Plante reine, le maïs permettrait de valoriser la ration de base en la portant à 13-14 l par jour au lieu de 10-12 l actuellement. Outre un gain de 500 kg de lait par vache et par an supplémentaire, une économie de concentré (1,6 t par vache et par an actuellement) serait envisageable. » Malgré ces avantages, Mikaël n'est pas trop séduit par cette option : « Outre son coût, la culture est exigeante en temps pour quelqu'un qui va se retrouver seul sur l'exploitation. »

« UNE CERTAINE ASSURANCE SUR L'AVENIR DU SITE DE GAP »

L'introduction de quelques kilos de maïs épi dans la ration pourrait constituer également une solution ponctuelle, tout en permettant de réduire l'apport de concentré. Mais sa mise en oeuvre est coûteuse : le prix du produit, indexé sur celui des céréales, s'élève aujourd'hui à 155 €/t, contre 135 €/t l'automne dernier. Pour l'instant et pour terminer l'hiver, Mikaël a décidé de tester le maïs plante entière commercialisé dans la région en balles rondes enrubannées. Il en a commandé 25 t, au prix de 103 €/t.

Malgré les incertitudes concernant la filière laitière des Hautes- Alpes, petit département excentré doté d'un quota de 27 millions de litres de lait et en sous-réalisation structurelle, Mikaël croit à son avenir de producteur laitier. Même si ces trois premières années d'installation, il ne s'est pas octroyé un salaire tous les mois. Il voulait d'abord être sûr que les annuités à sortir (17 000 € jusqu'en 2015 pour le bâtiment auxquels s'ajoutent 2 000 € pour la tonne à lisier) seraient couvertes. « Notre lait est collecté par la coopérative Sodiaal. Il est apporté d'abord à Gap, à une quinzaine de kilomètres, avant d'être transféré éventuellement à Vienne, dans l'Isère. Le site de Gap produit du lait fermenté et du fromage blanc commercialisé localement. Il n'est pas question de le fermer. »

ANNE BRÉHIER

* Année de l'acquisition de l'évacuateur à fumier. Le pipeline d'occasion n'a été installé qu'en 2001.

Bricoleur dans l'âme, Mikaël a toujours rêvé de construire son bâtiment. Il a fait les fondations, la dalle, la pose des cornadis, l'aménagement de la salle de traite, de la laiterie, de la nurserie…

La stabulation à logettes dispose de quarante places. Les génisses sont logées en aire paillée.

La salle de traite de plain-pied, une 2 x 5 actuellement équipée en 2 x 4, a une capacité de 40 vaches à l'heure. Pour l'isoler du froid venant de l'aire d'attente, Mikaël a conçu un rideau amovible.

La nurserie avec le père de Jean-Louis Après un passage en cases individuelles, les veaux vont en cases collectives dans la nurserie attenante à la laiterie. Elle dispose de deux couloirs, l'un pour dérouler les balles rondes, l'autre pour les porte-seaux.

Le curage des couloirs rainurés se fait rapidement au tracteur deux fois par jour. Les déjections sont poussées sous le portail et tombent dans la préfosse aménagée à l'extérieur. Grâce au tapis, pas besoin d'ouvrir les portes.

Pour éviter que le lisier paillé stocké une semaine dans la préfosse ne se prenne en masse et gèle l'hiver, Mikaël a conçu un système astucieux. Il a déplacé l'hélice initialement fixée en bout de préfosse pour la fixer sur une plateforme mobile. Équipée de quatre roues et d'un moteur, celle-ci se déplace rapidement en avant et en arrière.

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