« EN ZONE BEAUFORT, PARI OSÉ D'UN BÂTIMENT HAUT DE GAMME »
LE GAEC ALPIN A INVESTI 2,1 MILLIONS D'EUROS DANS UN BÂTIMENT DE 170 LOGETTES, CAPABLE DE PRODUIRE PRÈS D'UN MILLION DE LITRES DE LAIT. UN PARI UN PEU FOU RENDU POSSIBLE GRÂCE À LA TRANSFORMATION DU LAIT EN BEAUFORT, LA VENTE DIRECTE ET LA VALORISATION DE L'ALPAGE D'ALTITUDE.
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POUR CONSTRUIRE LE BÂTIMENT AU-DESSUS DU VILLAGE de Peisey-Nancroix, à 1 500 m d'altitude, il a d'abord fallu déplacer 30 000 m3 de terre. « Un concasseur a été installé sur place et nous avons vendu la terre végétale, explique Pierre Poccard, producteur de fromage beaufort AOC et l'un des quatre associés familiaux du Gaec alpin. Un chemin d'accès a dû être construit aux frais du Gaec et il a fallu se battre pour faire arriver l'eau. » Mise en service en octobre 2008, la stabulation à logettes sur caillebotis intégral impressionne par ses dimensions et ses équipements : 110 m de long, 170 logettes matelas (posés sur 4 cm de polyuréthane), 170 places au cornadis, roto de traite 26 places avec alimentateurs, Dal deux stations pour les veaux, séchage en grange, séparateur de lisier et système automatique de chargement (3 000 m3 épandus par an).
DU BEAUFORT D'ALPAGE VALORISÉ 1 000 EUROS LA TONNE DE LAIT
Dans une région où les vaches sont encore souvent à l'attache, la démarche des familles Poccard et Scalia illustre spectaculairement les mutations en cours dans cette région de haute montagne. « Nous avons voulu réaliser une étable avec un équipement moderne en vue d'assurer une pérennité pour les générations futures, qu'elles soient familiales ou non, explique Pierre Poccard. Si l'on veut une agriculture vivante, il faut lui donner les moyens de se développer en assurant des conditions de travail attractives et des marges suffisantes. »
Tout en bois, le bâtiment a été dimensionné par rapport à la capacité de l'alpage de l'exploitation, le vallon des Rossaix. C'est en effet avec le lait produit entre mi-juin et fin octobre, entre 2 000 et 2 600 m d'altitude, que les éleveurs fabriquent le beaufort Chalet d'alpage. Un produit rare* qui valorise particulièrement bien le lait (1 000 €/t contre 700 à 750 € pour le beaufort d'hiver**). Indispensable au fonctionnement de l'exploitation, l'alpage constitue le moteur de l'exploitation. En effet, cette dernière ne possède dans la vallée que 65 ha de pâture et de prés de fauche. Cette année, les éleveurs espèrent transformer 320 000 à 340 000 l de lait en beaufort Chalet d'alpage, soit 40 % de la production annuelle escomptée, contre 300 000 l habituellement. « Avec le nouveau bâtiment qui héberge l'hiver actuellement 200 vaches, nous n'avons plus besoin l'été de prendre des animaux extérieurs en pension. Les marges réalisées en alpage sont donc entièrement conservées dans l'exploitation. »
La création du Gaec a constitué un préalable à la construction du bâtiment. Le Gaec est né en 2006 du regroupement de deux exploitations familiales : d'un côté, le Gaec du Vallon des Rossaix constitué de Pierre Poccard, de son père Jean et de sa mère Marthe, avec une centaine de traines complétées, en été, par 90 bêtes en pension avec transformation du lait en beaufort toute l'année ; de l'autre côté, l'EARL La Croix des Bozons, composée de Catherine, la soeur de Pierre, et de son mari Serge. Confrontés à la mise aux normes de leur étable entravée, enclavée dans le village, Catherine (39 ans) et Serge (47 ans) s'interrogeaient sur la pérennité de leur exploitation (une centaine de tarines et d'abondances avec 90 bêtes en pension en alpage et 80 brebis). « Avec un alpage difficile et tardif, exploitable deux mois et demi seulement, et une salle de fabrication en estive à mettre aux normes, nous envisagions l'arrêt de notre activité », explique Catherine.
De son côté, Pierre (36 ans) souhaitait donner une nouvelle impulsion à l'exploitation familiale. Celle-ci disposait d'un alpage bien situé mais de surfaces en foin dans la vallée insuffisantes. « Bien qu'équipés de griffe à foin et de système d'évacuation du lisier, nos bâtiments amortis étaient vétustes. Nos vaches, dont une proportion importante vêlait au mois de mars, faisaient 1 000 l de lait de moins que maintenant. Avec un seul kilo de céréales à l'alpage et un coup de neige en août, les persistances de lactation n'étaient pas bonnes. »
« NOUS AVONS APPRIS À MIEUX GÉRER NOS RELATIONS »
Les deux exploitations se complétaient bien. « Nous maîtrisions la fabrication, ce qui n'était pas le cas de Serge et Catherine qui devaient embaucher, en été, un fromager sur leur alpage. L'hiver, ils ne transformaient pas, mais livraient leur lait à Entremont. » Après avoir évoqué avec Serge l'idée de construire chacun une étable dos à dos avec une grange au milieu, le projet a évolué vers un projet d'association malgré quelques hésitations. « Travailler en famille, c'est plus dur, estime Catherine. Il faut gérer l'affectif. On travaillait déjà beaucoup ensemble, mais on n'avait pas le portefeuille en commun. Mais il faut avancer. L'avantage du Gaec, c'est que chacun a sa tâche. » L'hiver, Serge gère l'alimentation, surveille les chaleurs des vaches et est responsable de l'élevage des veaux et des génisses. Il s'occupe également avec Catherine des brebis et s'investit à l'abattoir de Bourg-Saint-Maurice, un outil géré par les agriculteurs. Un jeudi par mois, il livre la viande dans les magasins locaux. Pierre fait la traite et le fromage (deux fabrications par jour à partir de fin mai) et enregistre la comptabilité avec sa femme Anne-Sophie. Pendant l'hiver, le lait n'est pas transformé le weekend, mais livré à la fromagerie de la Tarentaise (groupe Entremont). En été, chacun est sur son alpage. Sur l'alpage de la Chiauppe, au-dessus de La Plagne, Serge surveille les génisses (250 dont 100 prises en pension) et les moutons. Catherine fait la navette entre la vallée et la montagne. « En début de semaine, je m'occupe du magasin de vente de Peisey. Puis je rejoins mon mari sur l'alpage où je m'occupe des parcs et de l'entretien. » Pierre est au vallon des Rossaix avec son père. Aidé de trois salariés saisonniers, il s'occupe des laitières et de la transformation fromagère. Dans le Gaec, la rémunération des associés tient compte des responsabilités et du volume de travail effectué par chacun.
« Nous avons appris à mieux gérer nos relations, se félicite Catherine. Il faut se dire les choses quand ça ne va pas. » Un an et demi après sa mise en service, le nouveau bâtiment donne entière satisfaction. « Les animaux qui naviguent toute la journée sont beaucoup mieux qu'à l'attache. Il n'y a plus de problèmes de gros jarrets et d'enflures sur les mamelles des primipares. » Dans la stabulation plus lumineuse, les vaches expriment mieux leurs chaleurs. En entravées, par sécurité, elles étaient inséminées systématiquement deux fois. Les éleveurs ont été surpris par la propreté des animaux. Le racleur, il est vrai, est passé deux fois par jour sur les caillebotis.
Les nouvelles conditions d'alimentation et de confort des animaux se ressentent sur les performances du troupeau ainsi que sur la fromageabilité du lait dont le rapport TB sur TP s'est amélioré (de 1,08 à 1,18). « Dans les étables entravées mal ventilées, le foin se souillait et était gaspillé, explique Serge. Les animaux étaient en manque. Aujourd'hui, le foin donné à volonté est repoussé plusieurs fois par jour. Avec une ingestion améliorée et les granulés distribués en salle de traite (5 kg maximum par jour et par vache), nous avons gagné un point de TP. Les lactations démarrent mieux et les vaches lâchent mieux leur lait. » La qualité du lait s'est elle aussi améliorée : avec une moyenne annuelle inférieure à 200 000 cellules (contre 300 000 auparavant, avec des pics à 600 000), l'élevage figure parmi les meilleurs du secteur.
UN VRAI DÉFI ÉCONOMIQUE À RELEVER
Ces évolutions favorables sont de bon augure au regard du défi économique à relever. « Avec l'investissement qu'on a fait et des annuités annuelles proches de 220 000 € à rembourser pendant vingt ans, on n'a pas droit à l'erreur. Il faut que ça marche, que ça trait, que ça fasse du bon fromage pour valoriser le lait », analysent les associés. Outre une plus forte proportion de fromage beaufort Chalet d'alpage et donc une meilleure valorisation de son lait, le Gaec alpin compte sur une augmentation de sa production. De 2 500 l par jour en janvier dernier, les éleveurs espèrent monter à 3 000 l par jour en juin avant de redescendre en été. « L'objectif est de ne pas tomber en dessous de 2 000 l par jour à l'automne. Il s'agit de faire du lait toute l'année en optimisant la marge brute par animal et en trayant les vaches pendant trois cents jours de lactation. Ce qui n'était pas le cas auparavant quand la moitié du troupeau se tarissait à 250 jours. » En 2010, l'exploitation risque de dépasser de 100 000 l son quota de vente directe. Des dépassements jusque-là jamais pénalisés dans le département.
Conscient du défi relevé, mais motivé par la perspective d'explorer de nouvelles voies pour l'agriculture locale, Pierre relativise les risques encourus. « Avons-nous pris plus de risques que mon père en 1974, qui n'avait que quinze vaches dans l'étable du grand-père ? À l'époque pour construire son bâtiment, il avait besoin d'un million de francs que la banque ne voulait pas lui prêter. Nous, nous avons un droit à produire satisfaisant, un alpage bien entretenu, une fabrication bien calée. Et cette fois, la banque nous a prêté 1,9 M€ sans nous demander d'hypothéquer la maison. Si nous avons fait cet investissement un peu fou, c'est aussi parce que nous croyons à la pérennité de notre système basé sur la valorisation du lait en beaufort AOC et sur l'adaptation de notre race de montagne à notre territoire. Dans les instances qui gèrent la filière fromagère (Syndicat de défense AOC beaufort, Union des producteurs du beaufort), il n'y a que des producteurs. Ce sont eux qui en ont les rênes et qui gèrent la production et les stocks. Nous avons, certes, le cahier des charges le plus draconien de France, mais nous avons aussi les prix les plus rémunérateurs. » Ce contexte favorable n'exclut toutefois pas la vigilance. « Même si nous sommes dans une zone où le lait est bien valorisé, une gestion pilotée au plus serrée s'impose désormais sur l'exploitation », note Pierre. Un budget prévisionnel avec des alertes sur certains postes de charges a été ainsi élaboré. Il faudra aussi compter sur des années climatiques favorables. Le 10 juin, à quelques jours de l'alpage, avec une herbe bien touffue, la saison se présentait bien.
ANNE BRÉHIER
*Le volume annuel de fromage mis en marché par la filière du beaufort s'élève entre 4 500 et 5 000 t selon les années. Le beaufort Chalet d'alpage ne représente que 2 à 3 % de la production totale. ** Non transformé à la ferme mais livré en coopérative, le lait ne serait rémunéré « que » 750 €/1 000 l pour le lait d'alpage et 570 €/1 000 l pour le lait d'hiver.
Une vingtaine d'hectares proches des bâtiments sont pâturés au printemps. Ils sont ensuite fauchés une ou deux fois puis replâtrés.
La transformation fromagère en hiver a été lancée en 1978 par Jean. La famille faisait le fromage en alpage depuis des décennies. C'est lui qui a appris le métier de fromager à son fils.
Ouvert en 1984 dans Peisey-Nancroix, le magasin de la ferme est tenu par Marthe et Catherine. Il constitue un débouché appréciable à côté des grossistes qui écoulent 60 % du beaufort d'été et 80 % de celui d'hiver.
Le nouveau bâtiment est bien situé : 100 m au-dessus de la fromagerie et à proximité du départ vers l'alpage et des prairies sur lesquelles sont épandues le lisier (3 000 m3 par an).
Foin et regain, du vrac pour les trois quarts, sont la base du menu hivernal. Ils sont donnés à volonté, ce qui n'était pas le cas en entravée. La griffe dessert toute la longueur du cornadi
Installé dans un local isolé, le roto 26 postes avec décrochage automatique permet de traire sans souci 180 bêtes en 1 h 15, lavage compris, en faisant le post-trempage et en tirant systématiquement les premiers jets.
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