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« Garder un outil attractif pour préparer la transmission »

En Mayenne, l’exploitation de Véronique et Michaël Cousin ne sera sans doute pas reprise par leurs enfants. À 48 ans, le couple veut continuer à améliorer son outil de production et ses conditions de travail, tout en préparant la sécurisation de ses revenus pour l’avenir.

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Quand nous nous sommes mariés, nous avions deux souhaits : fonder une grande famille et s’installer ensemble. » À 48 ans, Véronique et Michaël Cousin peuvent se réjouir d’avoir réalisé leurs projets. La photo de leurs quatre filles âgées de 15 à 22 ans est encadrée dans la cuisine, et Véronique fête cette année dix ans d’installation auprès de son mari. Fille d’éleveurs laitiers elle aussi, elle l’a rejoint sur l’exploitation au départ à la retraite de ses beaux-parents, après vingt ans de salariat. « À mon installation en 1993, j’ai repris 23 ha à 7 km d’ici, raconte Michaël. Nous avions investi dans une salle de traite de 2 x 5 postes et doublé le volume à 425 000 litres. Mais à l’arrivée de Véronique en 2008, nous sommes redescendus à 375 000 litres car c’était le maximum autorisé pour un couple en Mayenne, à l’époque. »

Utiliser au maximum les ressources disponibles

Dix ans plus tard, la production a augmenté de nouveau, de façon progressive, par l’achat de droits à produire et par l’attribution de volumes supplémentaires par la laiterie. De plus, le couple s’est adapté au mieux au contexte plus volatil du marché. « Depuis deux ans, notre trésorerie est vraiment tendue. Grâce à la qualité de notre lait, nous avons été payés 330 €/1 000 litres en 2017, soit environ 30 € de plus que le prix de base, mais il manque encore 20 € pour atteindre l’équilibre. Nous ne sommes pas les plus mal lotis, mais c’est impossible de faire un budget de trésorerie et de se projeter. En octobre, le prix a perdu 15 € alors qu’il devait se maintenir. Et nous ignorons quel sera notre prix de vente en 2018. »

Véronique et Michaël vont néanmoins souffler un peu cette année. Le prêt réalisé pour la mise aux normes de l’exploitation en 2005 s’est achevé en 2017, soit 9 000 € d’annuités en moins. D’un montant de 200 000 € (subventions déduites), l’investissement dans un bâtiment de 63 logettes avec fosse et fumière avait alors été raisonnable. « Nous avions récupéré le matériel de la salle de traite construite en 1993, en y ajoutant simplement deux postes. » Conseillère d’entreprise à la chambre d’agriculture de la Mayenne, Isabelle Hayau voit parmi les forces de l’exploitation cette façon de maîtriser les investissements et les dépenses. « Tout est très ajusté », résume-t-elle. En effet, les éleveurs ont pour objectif d’utiliser au maximum les ressources disponibles sur l’exploitation et de limiter les achats extérieurs, pour produire un lait riche en taux et sans pénalité. Il y a trois ans, une luzernière de 3 ha a été implantée pour renforcer l’autonomie protéique face à la cherté des tourteaux. Trois coupes d’enrubannage et une de foin sont réalisées par une ETA. « Nous n’avons pas opté pour la déshydratation, car c’est trop coûteux, estime Michaël. Je commence à être au point sur cette culture pour obtenir une bonne teneur en protéines. » La richesse en protéines est recherchée aussi dans la récolte du ray-grass italien cultivé en dérobé avant maïs. C’est pour cette raison, et pour ne pas pénaliser le maïs, que l’ensilage est réalisé le plus tôt possible. En 2017, la récolte fin mars a donné 2,5 t/ha d’un fourrage de bonne valeur, qui a permis de maintenir une production laitière élevée pendant tout l’été.

Une nouvelle gestion du pâturage très appréciée

Pour la ration de printemps, les éleveurs s’efforcent de tirer parti au maximum du pâturage grâce à un parcellaire groupé autour du siège d’exploitation. « En 2017, nous nous sommes lancés dans le pâturage tournant dynamique. Cela demande une réorganisation importante : découper la surface en herbe en paddocks réguliers, adapter les clôtures et les points d’eau. Nous avons acheté 2 000 € de matériel et nous allons investir dans des abreuvoirs, car l’accès à l’eau est l’aspect le plus compliqué. » Une fois le travail de préparation réalisé, Véronique et Michaël ont apprécié cette nouvelle gestion du pâturage. « Les vaches comprennent vite qu’elles ont de l’herbe fraîche tous les jours : c’est facile de les déplacer et de les rassembler le soir. Théoriquement, le pâturage tournant permet une meilleure valorisation de l’herbe. C’est trop tôt pour en juger, mais nous avons quand même observé moins de refus. » Les vaches sortent au pré le plus longtemps possible, mais la part du pâturage dans la ration est réellement significative entre mars et juin. Il est complété par l’ensilage de maïs et l’enrubannage de luzerne, puis remplacé dès l’été et pendant tout l’hiver par l’ensilage de ray-grass italien.

Délégué de secteur au CERFrance, Michaël a proposé en 2015 la création d’un groupe de progrès orienté sur la production laitière. « Nous avons travaillé sur nos prix de revient, et cela m’a poussé à modifier mon approvisionnement en tourteaux. Désormais, j’achète deux à trois camions de 30 t de colza par an, plutôt que de me faire livrer un mélange colza-soja par 5 t. »

Pour stocker ses tourteaux, l’éleveur a aménagé des murs en paille bâchés dans l’un de ses bâtiments. Excepté un aliment tanné au Dac en début de lactation (pour les vaches à plus de 28 kg de lait/jour), il n’utilise pas d’autres concentrés de production. L’économie sur l’achat d’aliment s’élève à 8 000 €.

« Il nous faut reconstituer notre trésorerie »

Pour renforcer la compétitivité de leur élevage, Véronique et Michaël ont mis en place il y a quelques années un suivi de reproduction avec leur vétérinaire. Des visites régulières sont programmées dix fois par an. « Il fouille les vaches vêlées pour prévenir les métrites, contrôle les gestations, et nous aide à adapter la conduite pour la préparation au vêlage. C’est une démarche préventive : il y a moins de problèmes de santé, nos vaches vêlent sans assistance, et le démarrage en lactation est meilleur. Le coût du service est de 140 €/mois mais on s’y retrouve. Nous sommes passés de deux inséminations par vêlage à une et demie, et l’âge au premier vêlage est de 26,5 mois. »

La fin du remboursement du bâtiment en 2018 permet à Véronique et Michaël d’envisager de nouveaux investissements. « Oui, mais notre priorité est de reconstituer notre trésorerie car nous avons dû contracter 30 000 € de prêts à court terme. » La deuxième priorité sera la construction de nouveaux silos, et leur déplacement, pour améliorer l’aménagement et la circulation dans la cour de ferme centrale. Une nurserie de plein air à base de niches individuelles et d’igloos collectifs est également envisagée afin de libérer de l’espace dans le bâtiment des génisses (ancienne étable). Celles encore logées sur le site distant de 7 km pourront ainsi être rapatriées afin de simplifier le travail. Ils ont aussi en tête d’autres installations telles qu’un chien électrique pour l’aire d’attente, un équipement de détection des chaleurs, un taxi-lait pour la nurserie, un outil de nettoyage et de paillage des logettes…

« Il est difficile d’imaginer ce que sera le monde agricole dans quinze ans »

« Pour le moment, nous sommes en bonne santé, mais nous réfléchissons à une meilleure organisation pour réduire la pénibilité et le temps de travail. Aucune de nos filles ne semble intéressée pour prendre la suite, mais nous devons garder un outil fonctionnel et attractif pour préparer la transmission. Il est difficile d’imaginer ce que sera le monde agricole dans quinze ans. Nous craignons que la valeur des exploitations diminue. De plus, nous ne sommes pas propriétaires des terres que nous cultivons. Il est trop risqué d’attendre notre cessation d’activité pour tirer des capitaux de la ferme. Nous devons commencer à constituer notre capital pour la retraite au cours de notre carrière. »

Nathalie Tiers

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