« 2,2 UTH sur 330 000 litres grâce à l’AOP camembert »
Françoise et Jean-Luc Saltel ont choisi l’appellation d’origine il y a vingt ans. Ils ne le regrettent pas. La prime AOP, couplée à une qualité super A du lait, compense le volume limité par UTH. Ils emploient un salarié.
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L es regards se focalisent de plus en plus sur les grandes structures à 150 vaches et plus. À tel point que nombre d’éleveurs se demandent si, avec leurs 500 000 ou 600 000 litres, leur ferme a encore de l’avenir. Dans le bocage ornais à la vocation laitière forte, Françoise et Jean-Luc Saltel peuvent paraître loin de ces débats, avec 2,2 UTH pour une référence de 330 000 litres. Un volume que l’on attribue plutôt aujourd’hui à 1 UTH. Jean-Luc travaille à temps plein sur l’exploitation, Françoise à mi-temps et le salarié, Simon Davy, à trois quarts de temps.
Il faut remonter à 1983 et aux conditions d’installation du couple pour comprendre la structure 2016. « Françoise et moi avons débuté sur 18 ha et avec 18 holsteins à quelques kilomètres de là. C’était l’année de la mise en place des quotas. Nous sommes restés pendant cinq ans avec 100 000 litres. »
« Une prime AOP de 28 €/1 000 l mais avec des contreparties »
Pour compenser ce faible litrage, ils se lancent dans la vente directe de berlingots de lait cru. La reprise de 35 000 litres et 8 ha apportent une petite bouffée d’oxygène. C’est surtout celle des parents, en 1991, qui donne l’impulsion. « Nous sommes passés à 280 000 litres sur 65 ha. À l’époque, je secondais à temps plein une institutrice, raconte Françoise. Comme la vente directe se développait, nous avons embauché un salarié à trois quarts de temps. À la naissance de notre troisième fille en 1993, j’ai réduit mon travail salarié à un mi-temps. Nous avons ensuite arrêté la vente directe mais conservé le salarié. Il fait le travail que physiquement je ne peux pas assumer. » Au fil des ans, les attributions gratuites ont conforté le quota. « Nous n’avons pas racheté de quotas sans foncier. Notre objectif n’est pas le volume pour le volume. » Françoise et Jean-Luc reconnaissent que cette double stratégie « salarié + volume limité » serait plus compliquée sans l’AOP camembert de Normandie pour laquelle ils produisent. Ce fleuron normand affiche 5 000 t de camemberts pour 50 Ml transformés et le double collecté. La fromagerie Gillot, l’un des leaders de l’AOP, leur a versé 382,44 €/1 000 1 en 2014-2015 et 374,67 € cette année (prime tank comprise, clôture en août). La qualité super A (12 à 14 €) et les 22 à 28 € de primes perçues au titre du cahier des charges camembert donnent un sacré coup de pouce. De quoi faire des envieux en ce temps de crise parmi les producteurs de Basse-Normandie sur laquelle l’AOP rayonne. « La contrepartie est exigeante, défend Jean-Luc, un lait quasi sans germes pathogènes, 50 % de vaches normandes au 1er mai 2017, 25 ares par vache de prairies accessibles, du foin distribué toute l’année, etc. »
Les résultats économiques 2014-2015 reflètent ce plus pour l’exploitation. Le ratio valeur ajoutée/produits s’élève à 43,2 %, soit + 10 % que les fermes spécialisées lait de l’Orne (clôtures automne 2015). Ce pourcentage devrait même être plus élevé pour l’exercice 2016 (pas encore sorti). « L’exploitation a livré 19 000 litres de plus pour des charges a priori équivalentes, évalue Patrice Gauthier, conseiller à CERFrance Orne. La valeur ajoutée est plus pertinente que l’EBE pour juger de la performance technico-économique car elle ne comprend pas la main-d’œuvre. » En l’intégrant pour calculer l’EBE, le ratio EBE/produits tombe à 29,3 %. Sans le salarié, il se hisserait à 37 %. « Certes, nous pourrions un peu mieux organiser notre travail », admet Jean-Luc. Par exemple, mettre de la sciure une fois par jour sur les matelas des logettes plutôt que de la paille deux fois, avancer l’âge au vêlage qui est de 3 ans pour élever moins d’animaux ou traire plus rapidement. Jean-Luc énumère ces pistes… sans grande conviction. « Notre lait doit être irréprochable. Il est destiné à la fabrication de camemberts au lait cru. Il faut être minutieux. Et puis, nous aimons passer du temps avec nos bêtes. Nous travaillons aussi avec plaisir et avons la satisfaction de dégager un revenu pour un salarié et notre rémunération. » Elle est en moyenne de 28 000 € ces dernières années.
« Nous avons cru dans l’AOP dès le départ »
Sans l’appellation, Françoise et Jean-Luc auraient conservé le salarié mais avec moins d’heures. Il fallait tout de même y croire il y a vingt ans lorsque les 1 300 producteurs des trois AOP fromagères camembert, livarot et pont-l’évêque (560 aujourd’hui) se sont fédérés et ont lancé une réflexion sur des critères de production. Très vite s’est ouvert un débat, parfois houleux, sur l’un des principaux liens au terroir : la race normande. Malgré leur 80 % de holsteins, les deux éleveurs n’ont pas hésité à s’engager. C’était la bonne décision. Les producteurs qui frappent aujourd’hui à la porte de la filière ne peuvent pas être accueillis. « La Fromagerie et l’OP Gillot créée en 2013, et la filière, souhaitent une maîtrise des volumes. » Jean-Luc est l’un des administrateurs de l’OP. Ce travail collectif de longue haleine a abouti ces trois dernières années à une revalorisation de la prime AOP. Chez Gillot, le bonus maximal est passé à 43 €/1 000 l en 2016.
« Un prix de base anticrise »
L’OP et Gillot vont plus loin puisqu’elles ont convenu d’un prix de base plancher anti-crise de 315 € en 2016. Cela se traduit chez les Saltel par un prix de base moyen de 311,84 € sur septembre 2015-2016, contre 272 à 275 € pour les leaders de la région, Lactalis et Agrial. Cerise sur le gâteau, elles se sont mises d’accord pour du lait sans OGM. Ils devraient percevoir l’an prochain une prime de 7€/1 000 l… sans modifier leurs pratiques. « C’est le cas depuis 2008. J’ai remplacé le tourteau de soja par celui de colza », souligne Jean-Luc qui s’occupe des rations du troupeau. Il va plus loin. Accompagné par le Civam Basse-Normandie, il a semé il y a deux ans 3 ha d’un mélange de pois fourrager d’hiver (40 % de la dose), triticale, blé et avoine, récolté en grains et distribué de 0,8 à 1kg par vache en ration complète. Dix tonnes de blé sont également autoconsommées, mélangées à 10 t de tourteau de colza. Le tout est distribué au printemps et en été à raison de 1 kg/vache. Le silo de maïs-ensilage est fermé trois mois. Jean-Luc reconnaît qu’il pourrait gagner 500 kg par vache en pilotant mieux le concentré à l’herbe. Le niveau d’étable sur les douze derniers mois est de 6 064 kg. « Sans doute le maïs grains ou le triticale serait-il mieux adapté. Peut-être faudrait-il aussi créer deux lots calés sur les vêlages d’automne et de printemps. »
« L’herbe pour le terroir et une conduite économe »
Sa priorité n’est pas là. Elle est sur une conduite de plus en plus économe. Après la mesure agro-environnementale SFEI, la MAE climatique va l’aider. « S’il a encore une marge de progrès sur les concentrés, il est bien positionné sur les intrants cultures, confirme Damien Odienne, du Civam Basse-Normandie. Le coût alimentaire est de 235 €/vache contre 323 € pour le groupe Civam. Les coûts des phytos et engrais sont de 42,50 €/ha de SAU contre 59,50 €. » Pour l’éleveur, cette poursuite passe par une réduction du maïs, voire sa suppression. « Le but est de produire du lait avec ce qu’il y a sur la ferme, c’est-à-dire l’herbe. Avec la race, elle est l’expression du terroir. »
L’abandon des bœufs libérera des prairies. Des prairies multi-espèces résistantes à la sécheresse pour prolonger le pâturage, la luzerne qu’il expérimente en foin cet hiver, des dates d’ensilage plus pertinentes pour améliorer les valeurs alimentaires sont les pistes envisagées avec, pourquoi pas, ensuite, une conversion à la bio.
Claire HuePour accéder à l'ensembles nos offres :