« Transmettre à ma fille un outil fonctionnel à taille humaine »
Au choix de l’agrandissement, Clément Cleenewerck a toujours préféré la maîtrise technique et financière d’un troupeau à taille humaine. Une stratégie qui facilite aujourd’hui le projet de transmission à sa fille Héloïse.
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Àla tête d’un troupeau de 38 vaches laitières sur 33 hectares de SAU, Clément Cleenewerck, 57 ans, aborde les cinq dernières années de sa carrière avant la retraite avec la perspective de pouvoir transmettre sa ferme à sa fille Héloïse. Dans le contexte flamand d’une très forte pression foncière, c’est son choix de ne pas s’engager dans une logique d’agrandissement à tout prix qui permet aujourd’hui d’envisager plus sereinement la concrétisation de ce projet.
D’autant plus que l’éleveur a su anticiper cette échéance, en continuant d’investir pour maintenir un outil de travail fonctionnel. « Je suis confiant quant à la capacité d’Héloïse à gérer seule un troupeau à taille humaine de 38 vaches laitières, explique Clément. Dans cinq ans, tous les emprunts seront remboursés de façon à pouvoir transmettre un outil stable financièrement et capable de dégager suffisamment de revenus pour une personne. »
« Limiter l’agrandissement à mes capacités de travail et au potentiel fourrager »
En 1983, alors que le frère de Clément reprend l’exploitation familiale, lui s’installe seul à quelques kilomètres, sur la ferme de son oncle : 20 hectares, une étable entravée et 18 vaches rouges flamandes entre 4 500 et 5 000 litres de lait. À l’heure de la mise en place des quotas, sa dotation JA fixe son droit à produire à 130 000 litres. Il convertit alors un hangar à paille en stabulation avec salle de traite et monte un troupeau de 25 vaches flamandes. En 1989, il investit dans une stabulation de 26 places en logettes. Son quota restera en effet longtemps figé, sans réelle possibilité d’évolution. Quelques reprises de terres permettent néanmoins de monter à 25 ha en 1986, puis à 31 ha au milieu des années 1990. Très tôt, son adhésion à la Cuma contribue à limiter l’endettement, tout en bénéficiant d’un matériel performant pour conduire des rotations intégrant du légume de plein champ (chicorée, petits pois ou haricots), des céréales et de la betterave, dans des limons profonds à fort potentiel de rendements.
C’est seulement à partir de 2004-2005 qu’il saisit les opportunités de rachat de quota pour augmenter son droit à produire de 5 000 à 10 000 litres/an. Clément se résout alors à abandonner la rouge flamande au profit d’une race plus productive, afin de maximiser le lait par hectare sur une surface limitée. Son choix se porte sur la pie rouge des plaines, « juste pour ne pas faire comme tout le monde », sourit l’éleveur. Il achète en Bretagne cinq génisses amouillantes, expérimente une pose d’embryons et enclenche le croisement d’absorption. Fin 2014, à la fin des quotas, il produit l’équivalent de 225 000 l et obtient de sa coopérative (Sodiaal) 100 000 l de volume B supplémentaires. Dans ces conditions, il n’hésite pas à agrandir le troupeau et investit 110 000 € afin de prolonger de 16 places la stabulation, avec deux racleurs, une fosse à lisier et trois silos. « Je savais où j’allais en faisant ce choix. Cet agrandissement a été réfléchi dans la limite de mes capacités de travail : j’ai besoin de maîtriser tous les paramètres de l’exploitation. C’est pourquoi je n’aurais jamais repris 30 ou 40 ha de plus. Un petit troupeau permet d’être plus précis, presque maniaque, donc de bien faire son travail et d’aller chercher de la marge. » Ce plafond de 42 places correspond aussi au potentiel fourrager et au plan d’épandage de la ferme, tout en maintenant la rotation des cultures.
Ici, le tracteur ne tourne que vingt-cinq minutes par jour
Seul sur la ferme – son épouse est aide-soignante –, Clément a bâti un système d’exploitation simple, efficace et surtout parfaitement maîtrisé (voir l’infographie). Pour cela, il investit beaucoup dans le temps de travail, plus que dans le matériel ou le monitoring : distribution des concentrés, nettoyage des logettes et paillage manuels, mesure du poids des génisses à chaque étape, parage dès les premiers signes de boiterie… « Je connais chaque vache par son prénom, sa production, son stade de lactation ou si elle est revenue en chaleur. » Ici, le tracteur ne tourne que vingt-cinq minutes par jour, pour la distribution de la ration au godet, soit 200 heures par an avec la manutention de la paille et du fumier.
L’alimentation des laitières repose sur le pâturage et une ration semi-complète riche en UF : maïs ensilage + 2 kg de MS d’enrubannage de RGA + 1 à 2 kg de MS de betterave fourragère distribuée d’octobre à mai. Pendant la saison de pâturage, les laitières ont accès 10 ares/VL, soit 4 ha divisés en 4 paddocks gérés au fil avant, avec des temps de repousse de 21 à 25 jours au printemps et une fauche des refus après chaque cycle. Les vaches taries sont également conduites au pâturage, avant une phase de préparation au vêlage de trois semaines. Cette pratique assure l’équivalent d’une demi-ration pendant la pleine pousse de l’herbe. Ainsi, la production ramenée en lait standard est supérieure à 9 000 kg de lait/VL, avec un coût alimentaire des vaches laitières de 105 €/1 000 l. « Depuis trois ans, le coup de sec estival est de plus en plus marqué, avec un arrêt de la pousse de l’herbe qui n’existait pas auparavant et qui oblige à apporter 100 % de l’alimentation à l’auge. Le réchauffement nous amène aussi à sortir plus tôt – soit une mise à l’herbe le 21 mars –, et à prolonger le pâturage jusqu’en novembre, même deux heures par jour, pour le confort et la santé des animaux. » Fort de rendements de maïs quasiment garantis de 18 tMS/ha, l’éleveur ne veut pas prendre le risque de pénaliser la récolte en implantant des dérobées de type RGI ou méteils.
38 vaches et leur suite sur seulement 22 ha de SFP
Ainsi, la qualité des sols et un taux de renouvellement maîtrisé à 30 % au maximum assurent l’autonomie fourragère sur seulement 21 ha de SFP (+ 1,3 de pâtures louées en saison pour les génisses de deuxième année) : c’est-à-dire un chargement de 2,55 UGB/ha comprenant 38 vaches et leur suite + 5-6 taurillons/an (seulement 10 t de paille sont achetées chaque année). « Dès mon installation, j’ai adhéré au contrôle laitier et au Geda. Les parcelles d’essais, les conseils en conduite des cultures, l’échange avec d’autres éleveurs, ou l’entraide en Cuma m’ont permis d’évoluer et d’améliorer mes performances. » Clément évalue son travail d’astreinte à près de six heures par jour en hiver, avec un pic en novembre, décembre et janvier, où se concentrent les vêlages. Il a néanmoins toujours pu prendre 8 à 10 jours de vacances en été : depuis trois ans, c’est d’ailleurs Héloïse qui le remplace. Actuellement en année de spécialisation marketing post-BTS ACSE, à la MFR de Rollancourt (Pas-de-Calais), elle s’apprête à entrer dans la vie professionnelle avant de succéder à son père : « Dans un premier temps, l’idée est de reconduire un système qui a fait ses preuves. Comme mon père, j’ai un tempérament à travailler seule pour garder ma liberté, tout en restant ouverte sur l’extérieur et à l’échange avec les autres éleveurs : travailler seule ne veut pas dire être isolée. » La jeune femme ne redoute pas la charge de travail, mais davantage le bétonnage de la campagne et les risques d’expropriation dans un secteur très urbanisé. Au fil de sa carrière, son père a su mobiliser ses capacités de financement pour se rendre acquéreur du foncier (70 % en propriété) et il a racheté tout le corps de ferme il y a trois ans. De quoi faciliter les conditions financières de son installation.
Jérôme PezonPour accéder à l'ensembles nos offres :