« LA MUTUALISATION DE NOS COMPÉTENCES FAIT NOTRE FORCE »
AVEC AUDACE, MAIS EN CALCULANT LES RISQUES, LE GAEC DES MOULINS DE KEROLLET A DÉVELOPPÉ LE LAIT ET INVESTI DANS LES ÉNERGIES RENOUVELABLES. UN PARCOURS RÉUSSI, NON SANS EMBÛCHES.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
POSE DE PANNEAUX PHOTOVOLTAÏQUES, MÉTHANISATION et séchage de bois, installation de deux robots, puis trois, développement de la production laitière : cette évolution fulgurante, qui s'est étalée sur sept ans, est à l'image de l'énergie des trois associés du Gaec des Moulins de Kerollet. « Si on n'avance pas, on recule », affirment-ils.Nous avions rencontré les deux frères, Erwan et Bruno Calle, en 2004, quatre ans après leur installation sur la ferme familiale à Arzal (Morbihan). La tête pleine de projets, ils se disaient alors prêts à s'adapter en permanence à un monde qu'ils sentaient en forte mutation. Mais ils n'avaient pas imaginé autant de bouleversements.
La dimension humaine de l'exploitation, d'abord, a beaucoup bougé. Les parents ont pris leur retraite. Aujourd'hui, Bruno et Erwan ont respectivement 43 et 42 ans. Ludovic Jarligant, 38 ans, s'est installé avec eux en 2010, après avoir travaillé deux ans comme salarié sur l'exploitation. Il n'avait pas d'origine ni de formation agricoles, et a beaucoup appris durant cette période. Le courant est bien passé avec les deux frères et sa motivation pour s'installer a mûri. Il a obtenu son BPREA et effectué son parcours à l'installation en un an, à distance, avec la chambre d'agriculture du Morbihan. Ludovic s'occupe du matériel et des cultures avec le salarié, Jean Fréour, ancien apprenti du Gaec. Erwan est l'animalier de l'équipe, avec Erwan Galudec, apprenti BTS et salarié depuis le 1er septembre. Bruno a une fonction plus transversale et gère les relations avec l'extérieur. Un autre apprenti, Jordan Baras, seconde Bruno et Ludovic.
« NOUS AVONS SAISI LES OPPORTUNITÉS »
Les évolutions majeures qu'a vécues l'exploitation depuis dix ans s'inscrivent pleinement dans la logique de chef d'entreprise des trois associés. Et aussi dans la diversité et le haut niveau de leurs compétences.
Les panneaux photovoltaïques sont arrivés en 2009, un peu par opportunisme. Leur bâtiment orienté plein sud attirait des investisseurs prêts à le louer pour y poser des panneaux. Ces sollicitations les ont interpellés : « S'ils pouvaient gagner de l'argent avec notre bâtiment, nous devions être capables d'y arriver nous-mêmes ! » lance Bruno. Ils ont donc investi 1,3 M€ dans 1 600 m2 de panneaux pour une puissance de 250 kW. « Nous n'avions pas de cash. Il a fallu convaincre le banquier pour qu'il nous suive. » Le temps de retour sur investissement a été évalué à dix-onze ans. Car si à l'époque, les tarifs de rachat étaient plus élevés, le coût des installations l'était aussi. Depuis, la production d'électricité dépasse les prévisions de 10 %.
La réflexion sur la méthanisation a débuté en 2010. À l'époque, aucun élevage laitier n'était équipé dans le Grand Ouest. « Nous étions convaincus du potentiel méthanogène de nos déchets d'exploitation : fumier, lisier, refus de ration, fourrages de mauvaise qualité, raconte Bruno. Nous voulions sécuriser la production laitière et être le plus autonome possible. »
La méthanisation est très complémentaire de l'élevage laitier. Elle offre une voie intéressante de valorisation des effluents et permet de tirer profit des mauvais fourrages, de façon à ne garder que les bons pour le troupeau. Le digesteur est alimenté à 80 % par des produits de l'exploitation.« Pour le reste, nous n'utilisons que des produits végétaux », précise Bruno.
Pour une unité de 350 kW et un séchoir, l'investissement se montait à 2,5 M€. « Nous avons pris un risque », reconnaît Bruno. Le temps de retour sur investissement était annoncé à sept-huit ans. Mais encore fallait-il que cela fonctionne. Il a fallu six mois pour atteindre un bon niveau. « C'est bien d'être pionnier, mais la transformation du fumier et du lisier s'est révélée plus compliquée que prévu. Nous avons travaillé d'arrache-pied pour maîtriser le process. »
Les éleveurs sortent convaincus que sur des investissements de cette ampleur, il est essentiel de collaborer avec des professionnels aguerris. « Avec quatre ans de recul, nous voyons que la méthanisation fonctionne très bien en élevage laitier. »
La chaleur est utilisée pour sécher des plaquettes de bois et du fourrage. Au total, cette activité a permis la création d'un emploi à temps plein, celui de Jean.
La production laitière reste néanmoins prioritaire sur l'exploitation. Le troupeau se compose de 190 vaches majoritairement prim'holsteins, pour une livraison de 1,687 million de litres. Jusqu'en 2012, l'élevage travaillait avec une salle de traite. Parce qu'ils avaient besoin de souplesse dans l'organisation et pour améliorer le management du troupeau, les associés ont décidé d'automatiser la traite.
« NOUS JOUONS SUR LA QUANTITÉ ET LA QUALITÉ DE LA RATION »
Dans la perspective de la fin des quotas, la laiterie Eurial avait demandé à ses adhérents de l'informer de leurs souhaits de croissance pour l'avenir. L'exploitation disposait alors d'un volume de référence de 1,08 million de litres. « Nous avons demandé et obtenu 300 000 litres pour 2015-2016, et autant pour la campagne suivante », explique Erwan. Ce volume supplémentaire a permis d'investir dans un troisième robot, de diluer les charges de structure, et surtout d'optimiser le système.
Les vaches sont désormais séparées en deux lots. Les plus fortes productrices (100) ont accès à deux robots produisant chacun autour de 600 000 litres. Elles peuvent recevoir jusqu'à quatre aliments différents au robot. La ration de base se compose d'ensilage de maïs, d'herbe, d'ensilage d'herbe ou de foin, en proportion variable selon la saison. S'y ajoutent 2 kg de maïs épi pour améliorer la digestibilité, et 1 kg de correcteur azoté.
Le deuxième lot, dit low-cost, accède à la troisième stalle. Il reçoit une ration semi-complète (moitié herbe, moitié maïs) et 700 g de correcteur azoté premier prix, exclusivement distribué au robot. « Nous jouons à la fois sur la quantité et la qualité de la ration pour réduire les coûts », précise Erwan. Cette conduite en lots a aussi permis de réduire la durée du tarissement. « Auparavant, les vaches en fin de lactation avaient une moins bonne persistance. Comme elles avaient une ration de base assez riche, on leur donnait moins de concentré au robot. La fréquentation et donc la production baissaient plus rapidement à l'approche du tarissement. »
« La stratégie est de produire beaucoup de lait à pas cher. Aujourd'hui, nous vendons 8 900 litres/vache avec 1,7 t de concentré et un coût alimentaire à 63 €/1 000 l », poursuit l'éleveur. Grâce au robot, il dispose d'une masse importante d'informations nouvelles. Il les utilise pour améliorer le management du troupeau, notamment en calculant ses propres critères de suivi. Par exemple, il regarde chaque mois le rapport entre quantités et prix du concentré et du lait. Il calcule vache par vache le lien entre le lait produit et le volume de concentré consommé. « C'est l'avantage de la spécialisation avec ce type d'outil. On peut affiner beaucoup plus la conduite. »
« PRODUIRE DES FOURRAGES POUR ÊTRE PLUS AUTONOMES »
Par ailleurs, l'exploitation cultive un partenariat avec Neovia (anciennement InVivo) depuis quinze ans en conduisant des expérimentations sur le troupeau. Outre l'intérêt technique pour le suivi des animaux, ils apprécient l'ouverture apportée par des visiteurs venant du monde entier. L'assolement est progressivement modifié pour aboutir à un haut niveau d'autonomie alimentaire, toujours dans une optique de réduction des coûts. La méthanisation constitue un atout pour y parvenir. « Avec 200 ha pour 420 animaux, nous avons décidé de maximiser la production fourragère. » Seulement 15 ha de pois de conserve ont été maintenus, notamment parce qu'ils améliorent les rotations et dégagent une marge intéressante. Les éleveurs ont abandonné les céréales. « On en a fait jusqu'à 40 ha, mais nos sols ne permettent pas de bons rendements et les marges plafonnent à un niveau bas. Même si nous sommes en zone séchante, nous avons décidé de privilégier l'herbe et le maïs », précise Ludovic. 100 ha de maïs sont implantés chaque année pour produire de l'ensilage. Les rendements varient de 8 à 15 t de matière sèche par hectare. « Nous voulons être sûrs de disposer toujours de stocks suffisants et de bonne qualité. » Le méthaniseur entre parfaitement dans cette logique puisqu'il peut valoriser les fourrages les moins bons.
Il reste donc 85 ha de prairie. Seules les génisses et les taries pâturent. Pour les vaches en production, les éleveurs ont adopté l'affouragement en vert. Avec l'agrandissement du troupeau et l'arrivée des robots, le pâturage a été abandonné. Pour les éleveurs, l'affouragement en vert offre de multiples avantages en matière de productivité de l'herbe et de temps de travail : « L'herbe est récoltée au bon stade et la fauche favorise la repousse. Il n'y a pas de perte liée au piétinement inévitable avec un troupeau de cette taille et même les parcelles éloignées sont valorisées. Nous estimons le gain de rendement des prairies à 30 %. »
« NOUS POURRIONS PRODUIRE PLUS DE LAIT À L'HECTARE »
Les éleveurs jouent sur les espèces pour enrichir la ration tout en allongeant au maximum la saison de production d'herbe. Entre l'affouragement en vert et l'ensilage, tout ce qui pousse dans les prairies est valorisé, qu'il s'agisse de ray-grass hybride, trèfle, fétuque ou luzerne. Erwan cherche constamment à améliorer la productivité des surfaces en prairies. Jugeant la qualité du RGH insuffisante, il va réduire son poids dans l'assolement. « Nous pourrions produire plus de lait par hectare. Avec Ludovic, on envisage d'implanter 8 ha de mélanges suisses. »
La luzerne, associée au trèfle et à la fétuque, est récoltée en ensilage pour la première coupe, puis en foin. « Nous cherchons à faire un maximum de foin pour son appétence et sa richesse en PDI. L'enjeu est d'améliorer l'autonomie protéique. Mais nous sommes parfois limités par la météo », explique Erwan.
L'obstacle de la météo vient d'être contourné grâce à la méthanisation et à l'ingéniosité de Ludovic. Il a construit un séchoir à fourrages fonctionnant avec la chaleur du méthaniseur. Cela permettra de faucher au bon stade et de produire du foin de qualité, même en période humide.
Les éleveurs espèrent donc parvenir à l'autonomie recherchée grâce à la cohérence entre le méthaniseur, l'assolement et les besoins des animaux. La diversification dans l'énergie a certes augmenté la charge de travail. Mais les associés n'en perdent pas moins l'objectif de bien vivre. Tous trois pères de famille, ils abandonnent l'exploitation chaque matin à huit heures pour retrouver leurs enfants et les conduire à l'école. Ils font de même à midi. Un seul associé reste de garde du samedi midi au lundi matin. Ils prennent deux semaines de vacances en été et quelques jours à Noël. Sur le plan économique, malgré la lourdeur des investissements, la rentabilité est au rendez-vous. « C'est indispensable, précise Bruno. Si chacun gère son atelier, les décisions stratégiques sont collégiales. Quand l'un veut modifier quelque chose, les autres veulent savoir pourquoi, combien ça coûte et combien ça rapporte. »
« LES ÉNERGIES SONT UNE DIVERSIFICATION RENTABLE »
Pour lui, les énergies renouvelables offrent une vraie opportunité de diversification comme les ateliers hors sol auparavant. Ces produits supplémentaires améliorent la résistance de l'exploitation à la volatilité des prix. « La clé du succès, c'est l'anticipation. Nous essayons d'être visionnaires, d'adapter notre système aux hommes et à notre environnement », affirme Bruno.
Résolument opportuniste et réaliste, le trio poursuivra certainement ses évolutions. Bien malin qui pourrait dire à quoi ressemblera l'exploitation dans dix ans.
PASCALE LE CANN
Les panneaux photovoltaïques ont été posés sur l'étable. © BALANCA ERWAN
La méthanisation, installée en 2012, fonctionne à 80 % avec des produits issus de l'exploitation. © BALANCA ERWAN
L'essentiel de la surface de l'exploitation est utilisé pour la production de fourrage dans un souci d'économie et de réduction des coûts. © BALANCA ERWAN
Bruno a pris en charge la conduite de la méthanisation. Il s'est beaucoup investi pour parvenir à maîtriser le process. © BALANCA ERWAN
Ludovic possède beaucoup de connaissances en mécanique et assure l'entretien du matériel. © BALANCA ERWAN
Erwan a suivi une formation pour apprendre à parer les pieds.Un soin indispensable depuis que les vaches ne sortent plus en pâture. © BALANCA ERWAN
Pour accéder à l'ensembles nos offres :