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« PAS QUESTION DE RÉINVESTIR AVANT QUE LE PRIX DU LAIT REMONTE »

PHOTOS : REPORTAGE JÉRÔME CHABANNE

ALORS QUE LA FAMILLE BESANÇON ESPÉRAIT ENFIN AMÉLIORER SES CONDITIONS DE REVENU ET DE TRAVAIL, LA CHUTE BRUTALE DU PRIX DU LAIT PLONGE LES ÉLEVEURS DANS LE DÉSARROI.

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SI LES PRIX DU LAIT NE S'ÉTAIENT PAS EFFONDRÉS, 2009 aurait été l'une des meilleures années de la famille Besançon, à Melay (Saône-et- Loire). Au plan fourrager, en effet, l'année a été exceptionnelle. Très difficiles à travailler, les sols, des limons battants sur argile, ont donné de belles récoltes. « En herbe, nous avons fait jusqu'à quatre coupes en ensilage et trois en foin, se félicite Daniel, en Gaec avec sa femme Bernadette et son fils Rodolphe. Les céréales ont bien rendu et le maïs a fait jusqu'à 15 t de MS/ha. » Une belle satisfaction après les deux années humides qui avaient compromis les récoltes d'herbe et les semis d'automne. En 2007, il avait fallu se contenter d'un maïs à 8,7 t de MS/ha et en 2008, seuls cinq des douze hectares de céréales avaient pu être implantés. Après avoir dû contribuer à renflouer les comptes de leur ancienne coopérative, l'UCR(1), les éleveurs se réjouissaient enfin d'être payés à un prix rémunérateur en 2008.

PRÉLÈVEMENTS PRIVÉS BLOQUÉS À 750 EUROS

« Avec du lait à 360 , on gagnait notre vie, souligne Rodolphe, installé depuis 2004. La vente directe de fromage fonctionnait bien. Après avoir doublé le troupeau et investi dans un bâtiment pour loger les 70 laitières, nous envisagions enfin d'augmenter nos prélèvements, bloqués à 750 par mois. Nous projetions aussi de finir la mise aux normes de l'exploitation. » Pour récupérer les effluents peu chargés de l'aire d'exercice du bâtiment des génisses, il manque en effet 50 m3 de capacité de stockage.

Brutale, la chute des prix du lait remet en cause tous ces projets. Désorientée, la famille Besançon s'interroge. Alors que le coût de revient du lait est chiffré par les éleveurs à 285 € les 1 000 l (hors rémunération), comment tenir le coup avec un prix du lait en berne ? « La transformation fromagère et la vente directe initiée depuis 1987 ont permis de nous en tirer mieux que d'autres, expliquent les trois associés. Sans elles, nous n'aurions pas pu financer la stabulation aire paillée caillebotis ». Pour sa construction, les éleveurs n'avaient reçu en effet que 27 000 € de subventions sur un coût total de 250 000 €, alors que leurs collègues allaitants percevaient à l'époque 45 000 €. Mais aujourd'hui, les éleveurs sont arrivés au maximum de leurs capacités tant en termes d'équipement (la fromagerie est saturée) que de travail. Les fins de semaines sont particulièrement lourdes. Les vendredis, samedis et dimanches, jours de marché, il faut se lever entre 3 h 30 et 4 h 30, en pleine saison à 2 h 30. « Si en mai, on a du beau temps, souligne Daniel, les fromages blancs frais partent comme des petits pains (jusqu'à 700 par jour). Il ne faut donc pas se louper. » La surcharge de travail pénalise également les résultats du troupeau qui plafonnent (6 200 l de lait vendus par vache et par an). Malgré la salariée employée 20 heures par semaine à la fromagerie, il est difficile d'etre disponible en permanence pour le troupeau, la fabrication des fromages et la commercialisation. L'installation de Rodolphe s'est aussi faite dans des circonstances un peu difficiles. « Quand l'opportunité de reprendre 40 ha avec 180 000 l de quota s'est présentée, fin 2002, il a fallu se décider en quinze jours », explique la famille. Rodolphe, à 19 ans, était encore en école d'agriculture où il terminait un bac pro.

26 HA DE VIEILLES PRAIRIES RESSEMÉS

Dans cette région où le foncier est convoité, l'occasion de récupérer une telle structure (en trois parcelles avec 32 ha de terres) était inespérée. « Toutefois, avec du recul, nous n'étions pas prêts. En 2003, nous avons subi la sécheresse. Pour passer l'hiver, il a fallu acheter 100 t de maïs. Et puis nous avons manqué de vaches. » L'exploitation de Daniel et de Bernadette (60 ha pour un quota de 200 000 l, dont 80 000 l de vente directe) n'avait que 35 laitières à l'époque. Une vingtaine de vaches et de génisses ont dû être achetées en 2005. « Faute de places suffisantes en bâtiment, une partie des génisses est restée dehors. »

Aujourd'hui, face à la baisse du prix du lait, les éleveurs essaient de comprimer leurs charges encore un peu plus.

Pour réduire les coûts de concentré et les achats de soja, ils ont décidé de mieux valoriser leur herbe. 26 ha de vieilles prairies envahies de fétuques sauvages ont été retournés ces deux dernières années pour être ressemés en raygrass anglais-trèfle blanc ou ray-grass hybride-trèfle violet. Avec de meilleures repousses, les premiers résultats sont prometteurs. « L'objectif est de réduire le maïs de 26 à 20 ha et d'augmenter la part d'herbe d'une dizaine d'hectares. Si les BCAE (bonnes conditions agroenvironnementales) édictées dans le cadre du bilan de santé de la Pac, et les conditions climatiques nous le permettent. » L'ensilage d'herbe avait été arrêté par Daniel, car jugé trop contraignant à réaliser seul à une période déjà chargée. Il a été repris ce printemps. Par malchance, 20 mm d'eau avec de la grêle se sont abattus sur 6 ha endainés, le 13 mai dernier. « En première année, le RGA-trèfle blanc n'avait pas poussé suffisamment pour être ensilé plus tôt. » Alors que la ration hivernale composée jusqu'à présent de maïs-céréales devait être modifiée cet hiver pour tendre vers un tiers d'ensilage d'herbe et deux tiers de maïs, il faudra donc se contenter de 3 kg d'enrubannage (compte tenu des stocks disponibles). « Particulièrement riche en trèfle, ce dernier va nous permettre toutefois d'économiser 300 g de tourteau de soja par vache et par jour », souligne notre interlocuteur. Calculée pour 25 kg de lait, la ration hivernale comprendra également 30 kg d'ensilagemaïs, 3 kg de bon foin fibreux distribué sec avant la ration mélangée, 2 kg de soja, 1,5 kg de triticale et 200 g de CMV. L'objectif d'incorporer l'ensilage d'herbe reste valable pour les années prochaines. Cela permettrait d'économiser près de 8 t de tourteau de soja. Avec l'automotrice de l'entrepreneur, substituée à la petite ensileuse de la Cuma, les éleveurs comptent passer plus facilement entre les gouttes.

PAS DE PÂTURAGE AU-DELÀ DU PRINTEMPS

Avec une trentaine d'hectares seulement autour des bâtiments et des parcelles sensibles au piétinement, renforcer le pâturage au-delà du printemps semble moins évident. Valorisé dès la mi-mars, il est plus aléatoire à partir de juin. « Nos pâtures manquent d'ombre en été. On rouvre les silos et la stabulation dès que l'herbe monte. Cet été, les vaches sont ressorties une quinzaine de jours. À l'automne, tant que les sols sont secs, les vaches ont accès jour et nuit à 2,5 ha contigus aux bâtiments. »

Dans ce contexte tendu, la mise aux normes à terminer cette fin d'année passe mal. Des travaux ont été réalisés en 2008 pour collecter l'ensemble des effluents de la fromagerie et des jus de silo dans la petite fosse contiguë au bâtiment des génisses. Mais ils sont insuffisants. Il faudrait 50 m3 de plus pour respecter les quatre mois de stockage imposés aux installations classées en zone vulnérable. « Alors qu'on stocke trois mois facilement en plein hiver, on est coincé pour un mois de stockage avec l'interdiction d'épandre des effluents liquides entre le 15 novembre et le 15 janvier », déplorent Rodolphe et son père.

Pour respecter les normes en vigueur, une solution serait de couvrir les aires raclées extérieures de la stabulation des génisses et de la fosse attenante. Mais outre la difficulté technique du chantier et son coût (23 000 €), cela l'assombrirait et nuirait à son fonctionnement.

Plus coûteuse (60 000 €) mais plus intéressante, une autre solution serait d'agrandir le bâtiment des laitières pour y regrouper tous les bovins.

« Après avoir enlevé l'actuel bardage, il suffirait d'aménager, de l'autre côté du couloir de distribution, un auvent monopente d'une profondeur de 10 m, note Daniel. À côté des aires paillées des génisses et des taries, on pourrait abriter une partie du fourrage. En ramenant la paille et le foin, actuellement stocké dans un hangar loué à 1 km, on réduirait les temps de transport. Le bâtiment des génisses serait conservé pour abriter les chèvres, le reste du fourrage et le matériel. La corvée de raclage au tracteur de l'aire d'exercice des génisses serait supprimée. »

Outre une surveillance du troupeau facilitée et un confort des animaux amélioré, le projet aurait un impact positif sur les conditions de travail des associés, surtout le week-end. En libérant les places actuellement occupées par les taries, l'agrandissement de la stabulation offrirait par ailleurs des perspectives en terme de potentiel de production, le jour où les quotas auront été supprimés. Actuellement, en effet, le bâtiment est quasiment tout le temps plein. Grâce aux cinq places supplémentaires disponibles derrière la barre au garrot, on peut monter jusqu'à soixante-dix, mais attention aux mammites ! Pour réduire les risques de chauffage de l'aire paillée et maîtriser les cellules, la stabulation est curée en hiver toutes les cinq semaines. Avec le télescopique de la Cuma, c'est un chantier bouclé en cinq heures. Les éleveurs en profitent pour rouler le fumier à 7 km, là où est cultivé le maïs. Le paillage est effectué matin et soir à raison de 500 kg de paille par jour. Une troisième voie, validée depuis dans le département, consisterait à investir dans une fosse-citerne souple. Il en coûterait près de 6 000 € pour 50 m3 (mise à plat de la plateforme sur lit de sable compris).

L'EXTENSION DE LA STABULATION REPOUSSÉE

L'an dernier, dans une conjoncture laitière favorable, l'extension de la stabulation libre constituait la solution privilégiée. « En tenant compte des 20 000 d'investissements économisés sur la fosse et des aides possibles liées à la mise aux normes, on pourrait tomber à 30 000 , calcule Daniel. Avec l'arrêt, fin 2012, de grosses échéances liées à l'acquisition de la mélangeuse, du tracteur et de la stabulation des génisses, l'investissement serait envisageable. En négociant un différé de remboursement, on pourrait agrandir le bâtiment tout en augmentant nos salaires ». Aujourd'hui, compte tenu de la baisse brutale du prix du lait, les projets d'agrandissement sont repoussés, voire annulés. Si Daniel se projette toujours dans le nouveau bâtiment, Rodolphe, lui, ne veut plus en parler tant que les prix du lait ne seront pas remontés au moins à 360 €.

« Les annuités de la stabulation nous tiennent déjà bien chaud et les trois prochaines années seront encore dures. Aujourd'hui, je souhaite que nous augmentions d'abord nos prélèvements avant de réinvestir dans l'outil de travail. Avec mon amie, qui travaille à l'extérieur, j'ai d'autres projets. C'est une chaîne sans fin : on n'a pas fini de payer la stabulation qu'il faut déjà réinvestir. » Alors qu'un délai de deux ans vient d'être accordé à l'exploitation pour terminer les travaux de mise aux normes, celle-ci retrouvera-t-elle suffisamment de visibilité et de confiance pour se projeter à nouveau dans l'avenir ?

ANNE BRÉHIER

(1) Une réfaction de 5 à 6 € avait été effectuée sur les fiches de paie du lait des adhérents de la coopérative, heureusement reprise en 2006 par Sodiaal.

D'une capacité de 64 places, la stabulation, mise en service fin 2004 dans le cadre de l'installation de Rodolphe, pèse lourd financièrement.

Avec le swing over à 9 postes avec décrochage automatique, une heure suffit pour traire 60 vaches. Avec la 2 x 4 sans décrochage, il fallait 1 h 30 pour 50 vaches...une corvée.

L'élevage de chèvres est géré avec le minimum d'investissements : un quai de traite et un pot trayeur. La traite, arrêtée le 11 novembre, reprend en février, à la naissance des cabris.

La ration hivernale, composée de maïs, va être modifiée. L'objectif est de tendre vers un tiers d'herbe et deux tiers de maïs. 8 t de soja seraient économisées.

Dédié depuis fin 2004 aux génisses et aux chèvres, l'ancien bâtiment des laitières doit être mis aux normes dans le cadre du PMPOA 2.

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