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« MAXIMISER L'EBE PAR LA VOIE FOURRAGÈRE »

PHOTOS: RAPHAËL HELLE/SIGNATURES

INSTALLÉS HORS CADRE FAMILIAL, RACHEL ET ÉRIC FÉVRIER N'ONT PAS CHÔMÉ CES SIX DERNIÈRES ANNÉES : APRÈS LA REPRISE SUCCESSIVE DE DEUX FERMES ET LA CONSTRUCTION D'UNE MAISON D'HABITATION, ILS SOUHAITENT OPTIMISER LEUR OUTIL DE TRAVAIL EN RENFORÇANT LEUR AUTONOMIE. « MAXIMISER L'EBE PAR LA VOIE FOURRAGÈRE »

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DEPUIS 2010, RACHEL ET ÉRIC FÉVRIER SE SONT ENGAGÉS dans une démarche d'extensification avec un objectif : faire ingérer un maximum de fourrages à leurs vaches. Le potentiel fourrager de leur exploitation, située sur le second plateau jurassien entre 700 et 1 000 m d'altitude, les y autorise. En effet, depuis la reprise d'une seconde ferme en 2009 (+ 83 ha), le couple dispose de 140 ha tout en herbe (prairies permanentes) pour un quota de 405 000 l de lait AOP, soit 2 830 l/ha de SAU. Avec un chargement de 0,74 UGB/ha de SFP, un potentiel de pâturage important (0,97 are/VL) et des conditions pédoclimatiques favorables, ils ne craignent pas d'être justes en fourrages.

« Au printemps, nous ne redoutons pas de sortir les vaches, précise Éric. En 2012, elles ont été lâchées le 26 avril, trois semaines environ avant l'explosion de l'herbe. » Plus qu'au niveau de production individuel de leurs laitières, Rachel et Éric s'intéressent à leur résultat économique. Faire du lait avec un minimum de concentré et maximiser l'EBE, telle est la préoccupation de ces jeunes installés hors cadre familial.

« UN EBE DE 398 €/1 000 L EN 2011 »

En 2011, avec une conduite animale moyennement intensive (les primipares débutaient à 24,6 l au premier contrôle, les multipares à 30,7 l avec une durée de tarissement de 56 jours), le troupeau a produit 6 800 l de lait à 39,8 de TB et 34,9 de TP, avec 1 130 kg de concentré (soit 180 g/l), bien en dessous des limites fixées par le cahier des charges des AOP comté et mont d'or (1 800 kg/an).

L'année précédente, 1 400 kg de concentrés par vache avaient été distribués pour une moyenne économique de 6 500 l de lait (soit 218 g/l). Alors que la démarche est également en cours avec les génisses, le couple ne compte pas en rester là. L'objectif en 2013 est d'arrêter le concentré au pâturage entre mai et juin, et de passer, en moyenne annuelle, à 900 kg de concentré par vache. En tenant compte, bien sûr, de la météo et de la qualité de l'herbe.

En 2011, dans un contexte de bonne pousse d'herbe et de temps sec et beau, seul du maïs concassé a été distribué au pré (2 kg maximum aux meilleures vaches). Après un bon pâturage l'été dernier et une bonne valorisation du fourrage cet hiver, le troupeau à 5,6 mois de moyenne de lactation, affichait mi-janvier une production journalière de 21 l/vache laitière avec 195 g de concentré par litre. L'effet concentré observé au tank (+ 2 à 2,5 l/kg apporté) conforte Rachel et Éric dans leur choix de privilégier la voie fourragère. « Notre but est de mettre les animaux sous contrainte pour qu'ils ingèrent le maximum de foin et de regain et, par conséquent, le minimum de farine. » Cette stratégie peut paraître provocante dans un département connu pour la passion de ses éleveurs pour la race montbéliarde et sensibles à la performance animale. Mais elle est payante économiquement : en 2011, le niveau d'EBE dégagé par l'exploitation s'est élevé à 398 €/1 000 l.

Ce cap vers l'extensif, Rachel et Éric Rachel ne cachent pas qu'ils ont eu du mal à le passer. « En 2009, nous avions des vaches à 40-45 l. Désormais, les plus fortes productrices sont vendues au vêlage. Aujourd'hui, nous recherchons plutôt des vaches qui débutent à 24-26 l, qui montent au plus à 30 l et sont taries à 16-20 l, avec des courbes assez plates et de bonnes persistances de lactation. Du côté de la reproduction, ce n'est pas un problème si elles ne viennent en chaleur qu'à 90 jours. Le bilan 2010-2011 fait état de 65 % de réussite en 1re IA avec 20 % de vaches à 3 IA ou plus et un IV-V de 381 jours. Nos vêlages sont étalés sur l'année. 54 % de notre lait est ainsi produit l'été à l'herbe. Le lait produit en mai dernier n'a été valorisé en comté “qu'à 493 €/1 000 l” alors qu'il aurait pu l'être à 550 € en décembre dans la filière mont d'or AOP. Mais il ne nous a quasiment rien coûté à produire (moins de 90 g de concentré par litre au pâturage en 2012). Le prix du lait, c'est une chose, mais la marge, c'est essentiel. C'est elle qui fait le revenu. » Un point déterminant pour ce couple installé hors cadre familial et qui a dû s'endetter lourdement en reprenant successivement deux exploitations attenantes.

« FAIRE INGÉRER LE PLUS DE FOURRAGES POSSIBLE »

La reprise de la première, fin 2007 (30 vaches sur 57 ha dont 4 non mécanisables avec 190 000 l en AOP comté et mont d'or AOP), a été financée à hauteur de 100 000 € par des apports personnels et 170 000 € de prêts (110 000 € de JA, le reste aux taux du marché). La seconde reprise d'exploitation, en 2009, 380 000 € (dont 50 000 € de prêts récents, et 280 000 € de bâtiment) et 170 000 € de travaux d'aménagement de la stabulation (nursery, salle de traite et ajout de douze logettes) ont été financés par des prêts (50 000 € sur cinq ans et le reste sur quinze ans). Le système repose sur une bonne valorisation du pâturage. Au printemps, les parcelles de 5 ha dédiées aux vaches sont déprimées, puis exploitées selon la pousse en parc complet ou demi-parc. Les vaches ne restent pas plus de trois jours dans la même parcelle. Un fil est déplacé matin et soir. « S'il pleut beaucoup, nous ouvrons les parcs en grand pour éviter tout risque de piétinement important sur nos sols hydromorphes, précise Éric. À l'automne, quand la pousse diminue, nous arrêtons le pâturage au fil et remettons du foin aux vaches. Mi-octobre, ce dernier représente environ 70 % de la ration hivernale, ce qui assure généralement une transition douce. Cela n'a pas été le cas l'automne dernier. Alors que le 24 octobre, les laitières pâturaient encore du trèfle bien développé, l'arrivée brutale de la neige et du froid, a fait chuter le lait. À partir de mi-décembre, nous distribuons un mélange de fourrages issus de quatre parcelles, constitué de trois quarts de foin et un quart de regain. » Le concentré, un VL 22 payé cet hiver 333 €/t, est distribué à la pelle. La ration se compose de matières simples : orge-maïs (50 %), tourteau de colza (environ 25 %), tourteau de lin extrudé (environ 10 %), le complément étant apporté par de la luzerne, betterave, et tourteau de tournesol. La formulation de cet aliment unique est défi nie en fonction des analyses des fourrages récoltés. Elle est ensuite affinée pendant la période de transition en fonction de l'ingestion des fourrages, de l'aspect des bouses et des taux TB-TP-urée. « Nous essayons d'utiliser des produits cultivés dans l'Hexagone et à proximité de notre région. C'est pour cela que nous travaillons avec une minoterie locale et familiale. »

« DES GRANULÉS D'HERBE BIENTÔT DANS LA RATION »

Avec la déshydratation d'une partie de son herbe ce printemps 2013, Éric espère réduire de moitié la quantité d'aliments achetés pour les laitières (70 t par an), ce qui renforcerait l'autonomie alimentaire de l'exploitation. À l'instar de 80 exploitations de la région de Pontarlier (20 km de distance), Éric a en effet engagé 15 ha d'herbe, 5 ha de maïs(1) et quelques milliers d'euros dans la création d'une unité collective de déshydratation de fourrages (lire article en rubrique « Chez Vous » p. 31). « Les granulés d'herbe séchée nous reviendront à 200 €/t rendue (fauche, ramassage et transport de la parcelle à l'unité de déshydratation, livraison en big-bag compris) ou 265 €/t en tenant compte du coût de la fumure, de la mise en production et du fermage. »

La déshydratation constitue aussi une opportunité de valoriser l'herbe excédentaire de l'exploitation. « L'automne, nous ne valorisons pas suffisamment bien nos parcelles. Une trentaine d'hectares sont laissés à pâturer aux voisins. » Le type de conduite de leur exploitation a amené Rachel et Éric à se poser la question du bio. Plus par conviction que par intérêt économique. « Le bio est un mode de production qui correspond à nos façons de travailler et de penser. Techniquement, l'exploitation a le potentiel fourrager et la capacité à entreprendre une conversion. Nous n'utilisons pas un litre de Round-Up (les dessous de clôture sont entretenus à la débroussailleuse) et la fertilisation azotée se limite à deux sacs d'ammonitrate pour les 140 ha de la ferme. » Dix-sept unités d'azote minéral par hectare sont épandues sur les premières coupes. Le fumier des aires paillées des génisses et des taries, en partie composté, est épandu au printemps sur les pâtures des vaches à raison de 6 à 7 t/ha. Le lisier de la stabulation des laitières (logettes à matelas sur caillebotis) est épandu après la fauche (le 10 mai en 2011) à raison de 8 à 15 m3/ha. Les traitements parasitaires ne sont pas systématiques.

Économiquement, la simulation réalisée par la chambre d'agriculture montre qu'avec un prix du lait de 50 € en plus aux 1 000 l, le résultat de l'exploitation serait maintenu. Le couple franchira-t-il pour autant le pas ? Partir en bio supposerait de quitter leurs deux coopératives, aucune d'elles ne s'étant positionnée sur ce créneau. Mais une fruitière située à 8 km est à la recherche de lait bio. Sera-t-elle capable pour autant d'absorber leurs 400 000 l ? Pour l'instant, Rachel et Éric ne souhaitent pas prendre de décision. « Nous allons faire évoluer notre système au plus près du bio pour être prêts à une éventuelle conversion à moyen terme. Cette année, nous comptons arrêter l'engrais azoté. »

« OPTIMISER SANS PRODUIRE PLUS »

Aujourd'hui, Rachel et Éric ressentent surtout le besoin de se poser. « Nous livrons à deux coopératives en bonne santé, se réjouit Éric. Notre système fonctionne bien. Notre priorité est de l'optimiser sans produire plus, mais en renforçant l'autonomie de l'exploitation. Plus nous comprimerons nos charges mieux ça vaudra. Nous sentons bien que la politique agricole nous prépare de prochains caps à franchir avec, sans doute, moins d'aides publiques. Dans cinq à six ans, quand nos gros emprunts auront été payés, savoir que l'exploitation pourra survivre malgré une baisse importante des aides, permet d'être plus sereins. Nous souhaitons aussi profiter de notre installation et du travail réalisé ces six dernières années en mettant en place une trésorerie saine et en s'accordant plus de temps. » Cette année, l'intégralité des foins (plus de 80 ha de première coupe) mais aussi la moitié du pressage seront ainsi sous-traitées à une entreprise. Rachel et Éric ne regrettent pas les 1 200 heures de travail consacrées à l'aménagement de leur nouvelle maison. Depuis juin 2012, finis les fastidieux trajets entre l'ancienne habitation située à 3 km de là et le site actuel où sont regroupés tous les animaux ! « C'est la première année que nous prenons notre petit déjeuner ensemble. »

ANNE BRÉHIER

(1) Cultivé il y a quelques années pour être distribué en vert en septembre-octobre, le maïs avait été arrêté pour des raisons de travail.

Dans la stabulation à logettes sur caillebotis intégral, les vaches tournent autour du foin donné aux cornadis. Le silo de concentré implanté au milieu du couloir d'alimentation simplifie la distribution manuelle de granulés faite deux fois par jour à la pelle.

Le lait produit sur l'exploitation est transformé dans deux coopératives locales en fromages mont d'or AOP et comté AOP.

Éric dans la salle de traite, une épi 2 x 8 en ligne haute, en simple équipement, avec décrochage automatique et compteur à lait, conçue pour traire seul 60 vaches à l'heure.

Une grande attention est portée à l'élevage des petits veaux : foin, concentrés et eau sont renouvelés matin et soir. Nourris au lait en poudre sans huile de palme et alimentés de telle façon qu'à six mois, ils sont au foin à volonté sans concentrés.

Églantine illustre le type d'animal qu'Éric recherche. Née en janvier 2009, cette Redon sur Mohair affiche un Isu de 148 et a produit en première lactation (305 jours) 6 663 l à 41 de TB et 34 de TP. Petit format, elle est bien indexée en morphologie : 118 en taille, 115 en mamelles et en corps, 108 en aplombs.

Avec l'extension du bâtiment, tout le troupeau est logé sous le même toit. Le premier site repris en 2007 à 3 km de là n'abrite l'hiver aucun animal. L'été par contre, son aire paillée sert pour les taries et pour les génisses gestantes.

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