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« GAGNER SA VIE AUTREMENT QUE PAR LES VOLUMES »

PHOTOS : CHRISTIAN WATIER

LONGTEMPS BLOQUÉS PAR LEUR DROIT À PRODUIRE, NATHALIE ET LAURENT GALPIN ONT CHOISI LA MIXITÉ POUR DÉVELOPPER LEUR REVENU.

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DANS LE BASSIN LAITIER DU GRAND OUEST, la mixité se conjugue bien souvent avec la race normande. Pourtant localisés à 15 km de la région éponyme, Nathalie et Laurent Galpin ont préféré miser sur une pie rouge venue de l'Est. « Je connaissais trop bien les limites de la normande qui était présente sur l'exploitation de mes parents, et aussi pour l'avoir longtemps côtoyée au cours de mon expérience de vacher, se souvient Laurent. À trop vouloir miser sur la productivité laitière, je pense qu'elle a perdu en valeur bouchère. C'est pourquoi nous avons préféré choisir la seule vraie race mixte à nos yeux : la simmental. » Une décision qui n'est pas le fruit du hasard mais l'aboutissement d'une réflexion stratégique mûrement réfléchie.

« PAS QUESTION DE CRÉER UN ATELIER HORS SOL »

Laurent s'installe hors cadre familial en 1989 sur 62 ha avec 189 000 l de quota, alors que son frère reprend l'exploitation des parents située à 30 km de là, à Sillé-le-Philippe. En 1996, il est rejoint par son épouse Nathalie qui apporte à l'EARL 85 ha de SAU, issus de la reprise de la ferme de ses parents, et 30 000 l de quota supplémentaire. Jusqu'en 2006, le droit à produire reste figé à 228 000 l de lait, réalisés par un troupeau d'une vingtaine de vaches holsteins hautes productrices. « Avec 147 ha de SAU pour 2 UTH, nous étions au-delà des coefficients départementaux pour prétendre à l'attribution de volumes supplémentaires. » Pourtant, les éleveurs s'engagent dans une démarche de mise aux normes volontaire dès 2000 (Dexel régime B, c'est-à-dire hors aides PMPOA). Les nouvelles installations sont achevées deux ans plus tard.

Elles incluent la construction d'une stabulation à aire paillée dimensionnée pour 50 vaches, une fumière, une fosse, une nursery et une installation de traite par l'arrière de huit postes. Montant des investissements : 205 000 €, avec une aide du Conseil général de 1 500 €, accordée pour le montage du dossier. « À l'époque, cet investissement venait en remplacement de l'étable entravée. Bien que le nombre d'UGB présents sur la ferme ne nous imposait pas cette mise aux normes, il nous permettait d'améliorer les conditions de travail. Nous avions alors volontairement surdimensionné l'ensemble dans la perspective d'augmenter la production laitière. »

En 2006, le couple envisage de recruter un salarié afin d'améliorer les conditions de travail et la qualité du suivi des cultures et du troupeau. « Mais la prise en charge de la main d'oeuvre, en plus du coût de la mise aux normes, était difficile à amortir avec seulement 228 000 l de lait. » Tout l'enjeu consiste donc à développer le revenu d'activité dans un contexte de quota figé, pour rester à deux sur la ferme avec un salarié, « sans se lancer dans la création d'un atelier hors sol qui ne correspondait pas à nos aspirations, précise Laurent. Dans ce contexte, la conduite d'un troupeau de 20 holsteins à plus de 10 000 l ne convient plus à l'économie de notre structure d'exploitation. Pour améliorer le revenu autrement que par les volumes de lait, nous avons choisi de redonner de la valeur ajoutée à l'atelier bovin à travers l'autonomie, la qualité du lait et le produit viande, grâce à la constitution d'un troupeau de race mixte. »

« LA VARIABILITÉ GÉNÉTIQUE S'APPRÉCIE À L'ÉCHELLE EUROPÉENNE »

Une première recherche sur internet de l'éventail des races laitières mixtes a d'abord retenu l'attention du couple sur la simmental. À l'occasion du Space, ils prennent des contacts qui les conduiront à visiter des exploitations du Jura et de Haute-Marne. « Nous avons pu échanger en toute franchise avec les éleveurs sur les atouts et les contraintes de la race. Ces visites ont su nous convaincre et c'est à cette occasion, en novembre 2006, que nous avons acheté nos sept premières génisses pleines chez le président de l'OS dans le Jura. » En quatre ans, ils renouvellent totalement leur cheptel en misant sur l'achat de génisses pleines et, en parallèle, la revente du troupeau holstein. « La seule difficulté, c'était une disponibilité parfois limitée en génisses de bonnes origines sur le marché français. Mais si, chez nous, la simmental est encore une petite race, elle est heureusement une grande race au niveau européen, ce qui offre un vrai potentiel en termes de variabilité et de progrès génétique. J'utilise d'ailleurs 80 % de taureaux étrangers pour inséminer mes laitières. »

Cette réalité, Nathalie et Laurent ont pu la mesurer lors d'un voyage organisé par l'OS en Autriche et en Tchécoslovaquie où la race occupe une place prépondérante : « Pouvoir constater que des investisseurs misent sur de grands troupeaux simmentals m'a rassuré quant à la pertinence économique de notre choix. Parce qu'il y a une certaine forme de stress à casser un bon troupeau pour partir plus ou moins dans l'inconnu. Il faut savoir se remettre en cause, notamment techniquement, car la simmental ne se conduit pas comme une holstein. »

« La problématique du rationnement consiste à ne pas engraisser les laitières, explique Laurent. Par rapport à une ration pour holstein, il faut réduire la densité énergétique, c'est-à-dire passer de 0,97 à 0,92 UFL/kg de MS et, dans le même temps, augmenter les apports protéiques pour viser 105 à 110 g de PDI/UFL. »

« ADAPTER LA DENSITÉ PROTÉIQUE DE LA RATION »

L'éleveur met en application ce principe à travers une ration complète, distribuée une fois par jour, qui se compose de 13 kg de MS de maïs, 4 kg d'enrubannage de dactyleluzerne, 0,5 kg de betteraves fourragères, 1 kg de paille et 3 kg de correcteur azoté (soja à 60 %, tournesol et colza). Pour couvrir les besoins protéiques supérieurs d'une race mixte, il a introduit la luzerne enrubannée dans l'alimentation. Dans un secteur où le potentiel agronomique des sols permet d'obtenir des maïs très riches en amidon, la luzerne présente l'intérêt de diluer cet apport énergétique, d'améliorer l'assimilation du maïs et de réduire les risques métaboliques. Sur les terres argilo-calcaires de l'exploitation, les rendements du mélange luzerne-dactyle sont de 14 t de MS/ha, répartis en cinq coupes, réalisées avec une faucheuse-conditionneuse et un retourneur d'andains. Désormais, l'éleveur compte remplacer le mélange légumineuses-graminées par l'implantation de luzernières pures, « car le dactyle peut s'avérer trop concurrentiel dans nos terres. Par ailleurs, cela correspond à notre recherche d'une plus grande autonomie, qui nous permet déjà de ne plus acheter pour nos laitières que le correcteur azoté ».

« UNE MONTÉE EN LAIT PROGRESSIVE »

La ration hivernale est équilibrée à 28 kg de lait pour un troupeau qui affiche, à cette période, un potentiel moyen de 26 kg de lait à 4,9 mois de lactation. « L'intérêt de la ration complète est de réduire les à-coups de pH dans le rumen et de favoriser la production de lait permise par les fourrages La conséquence est un pic de production moins marqué, mais une meilleure persistance de la lactation. » La recherche d'une courbe de lactation plus régulière correspond d'ailleurs aux caractéristiques de la race. « Après le vêlage, les vaches montent beaucoup plus lentement en lait », constate l'éleveur. En moyenne, les multipares expriment un pic de lactation à 35,1 kg de lait et les primipares à 24,9 kg.

« Tout découle de ce démarrage en douceur : les vaches délivrent seules et reprennent rapidement de l'état. il n'y a donc pas de problèmes de retour en chaleurs ni de fécondité. » Les erformances de reproduction remarquables de l'exploitation au contrôle laitier témoignent de ces qualités maternelles : intervalle vêlage-1re IA = 70 j ; taux de réussite en 1re IA = 81 % ; vache à 3 IA et plus = 8 % ; IV-V = 374 jours. « En fin de lactation, ce n'est pas un problème d'avoir une ration complète trop riche. Les vaches s'autorégulent en diminuant leur consommation de matière sèche et la ration est adaptée pour la finition des réformes qui sont vendues sur cette base à un poids moyen de 440 kg de carcasse. » Les laitières conservent toujours une part de maïs dans la ration.

Entre mars et fin juin, elles disposent néanmoins de 9 ha de pâture directement accessibles depuis la stabulation. À cette période, elles n'ont plus de betteraves ni d'enrubannage, et la distribution de correcteur azoté est adaptée à la quantité d'herbe disponible. « Le calage de la quantité de correcteur se fait à cette période essentiellement à partir de l'observation des bouses et du niveau de lait au tank. »

« LE GABARIT DICTE LA MISE À LA REPRODUCTION DES GÉNISSES »

Dès la fin juin, lorsque la pousse de l'herbe ralentie, elles n'ont plus accès qu'à 4 ha de pâture en journée et repartent sur une alimentation essentiellement à l'auge, de manière à laisser la priorité du pâturage aux génisses et aux boeufs sur les 15 ha de prairies naturelles. L'alimentation de ces derniers est exclusivement basée sur l'herbe entre mars et octobre, avec un complément d'enrubannage si besoin lors des étés secs. En moyenne, les génisses vêlent à 28 mois, en deux lots : un premier lot au printemps et un second à partir de novembre. « Certaines génisses précoces peuvent être inséminées pour des mises bas programmées à 24 mois. Pour d'autres, les vêlages précoces font courir le risque d'un retard de croissance difficile à rattraper. La période de mise à l'IA est donc dictée par leur gabarit. »

« UN SYSTÈME À L'ÉQUILIBRE JUSQU'À 400 000 L »

Le décalage des mises bas en deux lots répond à la demande des laiteries d'une meilleure répartition de la collecte. La ration hivernale des génisses de renouvellement se compose de 60 % d'enrubannage dactyle-luzerne et 40 % de maïs. « Lorsqu'on n'est pas habitué, le démarrage en lactation des génisses peut être un moment stressant, confie Nathalie. Elles retiennent parfois leur lait pendant les premières traites. Mais ce phénomène passe naturellement, sans recours à l'ocytocine, et leur production monte ensuite progressivement. »

La production des primipares en première lactation au cours du dernier exercice est de 7 101 kg de lait à 41,8 de TB et 34,4 de TP. La moyenne d'étable du troupeau (30 % de primipares) est de 7 464 kg de lait à 43,2 de TB et 34,6 de TP. Sur l'exploitation, le couple conserve toutes les génisses et mise sur un taux de renouvellement élevé (27 %). « Le troupeau est jeune. Par conséquent, il reste du travail de sélection à réaliser, explique-t-il. Mais, contrairement au précédent, il ne s'agit pas de réformes imposées pour cause de mammites ou d'infécondité. Ce sont des réformes choisies qui visent à atteindre, d'ici trois ou quatre ans, l'objectif d'un niveau de production de 9 000 kg de lait/VL, tout en maintenant le poids des réformes à 500 kg de carcasse et la production d'un veau par vache et par an. Ce travail génétique paye déjà puisqu'au cours des six derniers mois, la moyenne d'étable est de 8 300 l. »

Depuis 2009, l'EARL obtient des rallonges de quotas conséquentes chaque année de la part de sa laiterie (Sodiaal) pour atteindre aujourd'hui 322 091 l. La recherche d'une meilleure productivité laitière individuelle doit permettre d'optimiser le nombre de places en bâtiments pour stabiliser la production de l'EARL autour de 400 000 kg de lait après la libéralisation des quotas.

JÉRÔME PEZON

Le potentiel des terres autorise un rendement moyen de 90 q/ha en blé. Ainsi, les cultures (maïs grain, blé et betterave sucrière) représentent près de 50 % du produit d'exploitation.

Les chemins stabilisés facilitent l'accès aux 19 ha de pâtures directement depuis les bâtiments.

« Les vaches expriment bien leurs chaleurs. Elles sont faciles à manipuler et calmes en salle de traite », explique Nathalie. Dans le troupeau, le travail d'astreinte représente deux heures matin et soir pour deux personnes.

Les veaux sont élevés au lait entier à la tétine, pour un sevrage précoce autour de soixante jours. « Nous les sevrons dès qu'ils consomment 2 kg de concentré par jour. »

Les abords des bâtiments et des silos sont bétonnés, la cour de ferme et les chemins stabilisés pour garantir de bonnes conditions de travail.

L'augmentation du nombre d'UGB liée au changement de race a justifié l'achat d'une mélangeuse. L'auge permet de distribuer la ration complète une fois par jour tout en évitant l'astreinte de repousser le mélange plusieurs fois par jour.

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