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Prix du lait Les Allemands laissent la parole au marché

La majorité des acteurs de la filière laitière allemande défend un mode de fonctionnement libéral dans lequel le prix du lait suit les fluctuations du marché. Dans un tel contexte, des producteurs n’hésitent pas à donner leur préavis s’ils jugent la performance de leur laiterie insatisfaisante. Enquête exclusive.

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Le prix du lait est un sujet sensible. En Allemagne peut-être encore plus qu’ailleurs. Début 2024, 500 producteurs de DMK, première coopérative du pays, lui ont donné leur préavis, annonçant leur intention d’aller livrer ailleurs à partir de janvier 2025 leurs 700 millions de litres (lire aussi l'article « Quitter DMK ou rester ? »). Leur choix est principalement motivé par le prix du lait payé en 2023 : 395 €/1 000 l (386 € en 38/32 dans l’observatoire de prix du journal Top Agrar, voir l’infographie ci-dessous).

Ce niveau place DMK à la traîne du prix moyen annuel allemand de 436 €/1 000 l et encore plus loin du mieux-disant à 547,5 € de la coopérative Goldmilch, en Bavière. Un recul plus important que ses concurrents, à 332 € en milieu d’année suivi d’une remontée moins forte ensuite, a renforcé, chez une partie de ses 4 700 producteurs, le sentiment que la laiterie dirigée depuis Brême n’est décidément plus dans le coup. Cette nouvelle vague de départs annoncés est la troisième après celle de 2017 (400 Ml) et 2018 (900 Ml)(1). Lors de sa création en 2011, DMK, née de la fusion de Nordmilch et de Humana, transformait quelque 7 milliards de litres. En 2024, ce potentiel dépasse à peine les 5 milliards. « Ces départs ne nous laissent aucune marge de manœuvre. La seule solution est d’optimiser notre gamme de produits et nos structures de production », a réagi Ingo Müller, directeur général du groupe, en annonçant une restructuration préventive qui passe par la fermeture de deux fromageries et d’une installation de séchage.

DMK n’est pas la seule à faire face à ce type de décision. Début 2024, 24 des 850 producteurs de Schwarzwaldmilch, en Forêt-Noire, ont fait part de leur volonté de plier bagage fin décembre prochain avec 28 Ml. Seize autres producteurs livrant 26 Ml auraient prévu de suivre la même voie en janvier 2026. Si toutes ces intentions se concrétisent, la laiterie verrait sa collecte dégringoler de 266 à 212 Ml... Ces volumes se répartiraient entre l’allemand Hochland, le groupe belge La Vache bleue et Omira, filiale de Lactalis (580 Ml).

La filiale de Lactalis accueille de nouveaux producteurs

Dans le sud de l’Allemagne (où est implanté Lactalis), les entreprises ouvrent leurs bras à tout transfuge prêt à leur apporter son lait, poussées par la crainte qu’un nombre conséquent d’éleveurs n’arrête la production dans un proche avenir. L’Allemagne, qui comptait encore 138 500 exploitations laitières en 2000, n’en dénombrait plus que 51 674 en novembre 2023. Le projet du ministre écologiste de l’Agriculture, Cem Özdemir, d’interdire les vaches à l’attache en 2029 ne va rien arranger. Cette conduite est encore pratiquée, à l’année ou durant la seule période hivernale, par 11 000 élevages bavarois. Une laiterie comme Hochland les a déjà exclues de sa collecte. « Très peu construiront une stabulation. La majorité cessera la production », pronostique Jörg Uysmüller, président de l’OP de Feuchtwangen, en Bavière, 22 producteurs et 12 millions de litres.

Jörg Uysmüller participe aux négociations sur le prix du lait avec la laiterie bavaroise Zott à 700 Ml) : « Notre OP fonctionne avec beaucoup de souplesse. » (© DR)

Un œil sur le prix des concurrents directs

En Allemagne, les éleveurs sont libres de produire autant qu’ils le souhaitent tout en ayant la garantie d’être collectés. Que leur feuille de paie soit établie par une coopérative (70 % de la collecte et 65 % du lait transformé) ou par un privé (30 % de la collecte et 35 % du lait transformé), le marché et le mix-produit de chaque entreprise restent l’alpha et l’oméga du mode de calcul. Les marchés à terme, sur lesquels certaines laiteries comme DMK misent pour sécuriser les prix, restent globalement peu utilisés. « Quand le prix est élevé, ils ne se justifient pas, et quand le marché est bas, cela ne règle pas le problème du niveau de rémunération », juge l’économiste Albert Hortmann-Scholten. « Les volumes vendus et les prix du marché sont les seuls critères pertinents. Sur la base de nos analyses, nous informons chaque mois nos 2 000 éleveurs sur la situation du marché et leur envoyons (confidentiellement) en mars une prévision de prix pour les neuf mois restants », indique Swantje Harms, chez Ammerland, la coopérative du nord-ouest de l’Allemagne vers laquelle lorgnent des producteurs de DMK, car elle a payé en moyenne 441,45 €/1 000 l sur 2023. Sauf que les possibilités se limitent chaque année entre 40 et 50 nouveaux adhérents, soit peu ou prou le nombre de cessations enregistrées.

Les OP allemandes armées pour négocier

Un élément plus local n’est pas négligé : le prix réglé par les laiteries voisines. Lactalis, par exemple, se réfère au prix moyen bavarois constaté pour fixer le prix payé par ses filiales Omira et BMI (930 Ml). La connaissance de cette information est au cœur de l’action de Bayern MeG. Créé en 2006, cet organisme économique assiste ses 131 OP adhérentes (6 milliards de litres, 20 % de la collecte) dans douze länder (sur seize) au cours des négociations de prix avec leur acheteur, privé dans neuf cas sur dix. Reconnu par les pouvoirs publics, Bayern MeG est habilité à échanger régulièrement avec chaque OP les niveaux de prix constatés auprès d’une quarantaine d’entreprises. « Les délégués de l’OP négocient au nom de leurs adhérents le prix de l’ensemble du lait produit sur les exploitations. Les contrats courent sur deux à cinq ans, le plus souvent sans limitation de volume, mais avec parfois la demande de communiquer une prévision de production[2]. Le prix est en général fixé pour un trimestre au cours du premier mois de ce trimestre. Ainsi, le prix colle au plus près au marché et cela convient aux éleveurs », détaille Markus Seemüller, directeur de Bayern MeG.

Markus Seemüller, directeur de Bayern MeG. En 2015, son organisme fédérait 2,5 milliards de litre, en 2017 4,5 milliards. Elle approche désormais les 6 milliards. (© DR)

Le 22 avril, Dorothée Lindenkamp présidente de l’OP de Moers en Rhénanie, 103 producteurs et 96 Ml, est sortie d’une réunion infructueuse avec son acheteur, la laiterie Gropper, qui souhaitait une baisse de prix en raison de bonnes disponibilités sur le marché Spot avec lequel elle couvre ses besoins à la marge. « Bayern MeG nous avait donné la tendance de vente, l’évolution des chiffres d’affaires et l’ambiance des négociations de prix déjà actées. Devant le désaccord, le prix de base de 414 €/1 000 l en 38/32 valable pour le premier trimestre 2024 a été reconduit pour avril. Un nouveau rendez-vous a été pris fin mai pour discuter des deux mois restants », détaille-t-elle. « Nous fonctionnons avec beaucoup de souplesse. Nous nous voyons chaque mois si le marché est fluctuant, tous les trois mois s’il est stable », explique pour sa part Jörg Uysmüller. Il participe à la commission de vingt délégués qui négocie le prix des presque 700 Ml transformés par la laiterie Zott, en Bavière. « Nous discutons sur la base de l’évolution du coût de nos fourrages, du marché intérieur, européen et mondial, de la collecte, des marchés à terme, des prix payés par d’autres laiteries. Nous n’avons pas de vision de prix à plus de trois mois. » Les tensions peuvent exister dans les négociations, mais les conflits sont rares et ne se terminent jamais devant les tribunaux. « Quel intérêt ?, interroge Markus Seemüller. Si ça ne marche vraiment pas, mieux vaut chercher un autre partenaire et, si on n’a qu’un seul acheteur, mieux vaut ne pas se quereller avec lui ! »« Notre OP a été créée en 2018 à la demande de la laiterie. Nos interlocuteurs ont changé. Nous pouvons échanger avec eux sur des questions comme les fourrages par exemple. C’est positif car l’ancien propriétaire du site se désintéressait complètement de ces questions », relève Dorothée Lindenkamp.

Le projet législatif d’un contrat écrit divise

Ces relations plutôt satisfaisantes pourraient être bouleversées par un projet de la coalition gouvernementale (socialistes, libéraux et écologistes) inspiré par l’article 148 de l’OCM lait de l’UE. Celui-ci prévoit d’imposer entre l’éleveur et sa laiterie un contrat écrit mentionnant un volume et un prix d’achat préalable pour au moins 80 % des livraisons de chaque producteur. Son objectif ? Renforcer la position des éleveurs face aux industriels. Les syndicats BDM et ABL, qui fédèrent des exploitations modestes, mais aussi une OP comme Nord-MeG, applaudissent pareille perspective des deux mains. Le reste de la filière en revanche freine des quatre fers. « L’objectif est louable. Mais la mise en œuvre d’un tel contrat est si complexe que cela en devient irréaliste », estime Markus Seemüller. La fédération allemande de l’industrie laitière MIV tire quant à elle à boulets rouges sur ce qu’elle considère comme « une ingérence dans un marché libre » conduisant à un surcroît de « bureaucratie ».« Le prix du lait résulte de l’offre et de la demande et d’une discussion entre producteurs et transformateurs. Un tel système lisserait le prix du lait à la baisse pour l’ensemble des éleveurs allemands. » Au passage, le MIV cite l’exemple d’un « système français similaire [Ndlr : loi égalim] qui n’a rien apporté », selon lui. Instaurer un « prix plancher » (lire aussi l'article « Révision d’Égalim. Les producteurs de lait poussent leurs pions ») n’aurait pas davantage de sens du point de vue des laiteries allemandes. « L’Allemagne exporte environ la moitié de sa production. Fixer un prix garanti reviendrait à se tirer une balle dans le pied pour vendre sur les marchés tiers », prévient un industriel.

(1) Les producteurs qui renoncent à leur préavis diminuent mécaniquement les volumes théoriquement perdus.

(2) Une coopérative comme DMK demande deux prévisions par an : sur douze mois au printemps et cinq ans à l’automne.

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