L’intelligence artificielle pulvérise les rumex
Une solution de désherbage localisé grâce à l’intelligence artificielle a été adoptée avec succès par un groupement de 23 Cuma de la Manche sur plus de 1 200 ha de prairies. L’emploi de désherbant a été divisé par dix.
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Pulvériser l’herbicide sur le rumex et uniquement le rumex. Ce qui n’était encore qu’un rêve il y a dix ans devient aujourd’hui une réalité qui a trouvé un modèle opérationnel auprès d’un groupe d’éleveurs principalement laitiers de la Manche. Sous la houlette de la Cuma La Pratique, au Teilleul (Manche), près de 1 200 hectares ont ainsi été traités à la fin août pour la première saison de la mise en service de la machine ARA d’Ecorobotix. « Le succès est au rendez-vous, se félicite Guillaume Martel, éleveur laitier et allaitant et adhérent de la Cuma. Nous avons largement dépassé l’objectif minimal de 750 ha que nous nous étions fixé dans l’étude de faisabilité. » L’investissement, dont le montant n’a pas été dévoilé, a été réparti entre 23 Cuma et plus de 200 fermes adhérentes dans un rayon d’action de 30 km.
Les premiers traitements ont commencé le 14 mars 2024. « Dès les premiers essais, nous avons tous pu constater l’efficacité de la machine, assure l’adhérent de la Cuma du Teilleul. Il nous restait cependant tout un travail à mener pour créer notre modèle d’organisation et aussi tester les conditions d’application qui garantissent une efficacité maximale dans la destruction. Nous sommes les tout premiers à nous lancer dans ce système sur prairies et avec autant d’hectares. Il était donc normal qu’il y ait des calages à prévoir. » Les 23 Cuma adhérentes sont engagées pour une durée de sept ans avec prise de parts sociales. Une commission est prévue tous les ans avec les référents de chaque Cuma afin de faire le point et de préparer les saisons à venir.
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Changement de modèle
Les Cuma adhérentes ont cependant pu évaluer une économie de produits de l’ordre de 91 %, d’après leur bilan à la suite des six premiers mois d’utilisation avec un taux de succès qui dépasse les 90 %. « On divise par dix ou douze les volumes de bouillie. Nous sommes à 17 l/ha en moyenne, en comparaison des 200 l/ha pour un traitement en plein à la même dose de produit », se félicite Guillaume Martel. L’efficacité de destruction du rumex serait également meilleure du fait que l’on peut mieux concentrer la matière active sur la cible en localisé. Cette précision et l’économie de produit se manifestent également de façon très concrète dans la conception de l’outil. La cuve la plus grosse, de 600 l, est ainsi consacrée à recueillir l’eau claire tandis que la petite cuve de 300 l reçoit la bouillie de traitement. « On change complètement de paradigme, le volume de bouillie n’est plus du tout un problème », complète l’éleveur.
Malgré la prudence inhérente au lancement de cette innovation, le groupe de la Cuma La Pratique s’est rapidement trouvé victime de son succès avec la difficulté d’assurer toute la demande. Un deuxième groupe dans le secteur est ainsi déjà en cours de réflexion pour investir dans cet outil de centaines de milliers d’euros. « Toute la difficulté pour se lancer est là : il s’agit de sécuriser les hectares nécessaires pour amortir le coût de l’équipement et d’achat des licences en maintenant un prix du service raisonnable. C’est ce qui freine de nombreux projets », constate l’exploitant. De son côté, la Cuma du Teilleul estime qu’elle pourrait facturer le service à la fin de la saison de 2024 à 60 €/ha hors taxe, hors achat de produit, tracteur et main-d’œuvre inclus. Ce coût comprend une subvention des collectivités qui est encore très longue à venir. Guillaume Martel insiste également sur le fait qu’ils ont pu bénéficier d’une offre de lancement du constructeur ainsi que d’un partenariat avec le concessionnaire Blanchard pour la location du tracteur sur trois ans. Il estime ainsi plus probable pour un nouveau projet de viser un coût de 70 à 90 €/ ha.
Une organisation à trouver
L’organisation des plannings de travaux est l’un des facteurs clés de succès à bien appréhender sachant que le service s’adresse à plus de 200 exploitations. Pour cela, chaque Cuma dispose d’un référent qui positionne les parcelles des adhérents dans un ordre optimisé. Cela permet à Guillaume Martel d’organiser des tournées de six à sept jours afin d’amortir au mieux le déplacement de la machine. Chaque tournée peut servir un territoire comprenant deux ou trois Cuma.
À charge aussi aux coopératives de matériel de s’organiser pour mettre à disposition une voiture qui servira aux chauffeurs à rentrer chez eux le soir et revenir sur le chantier le matin. L’organisation de ce service mobilise deux chauffeurs attitrés qui sont également éleveurs et adhérents. « Leur disponibilité et leur engagement font une grande partie du succès de l’opération. Ils apportent de la souplesse dans la gestion des plannings et de la réactivité », éclaire Guillaume Martel. Pour des raisons réglementaires, c’est l’agriculteur qui reste l’acheteur de son produit phytosanitaire et responsable de son traitement. En outre, la Cuma n’accepte qu’une seule matière active pour également simplifier les aspects réglementaires et le travail des chauffeurs. Il s’agit d’une molécule de traitement systémique dont il existe une multitude de spécialités commerciales homologuées pour les prairies, ce qui évite d’imposer un distributeur.
Intervenir au bon stade
Le débit de chantier espéré au démarrage était de 2,5 ha par heure tracteur ou heure chauffeur. Cet objectif a été revu à la baisse avec une moyenne réalisée de 2 ha/h. L’objectif de débit à l’hectare doit en effet prendre en compte le fait que la demande est d’autant plus importante pour les petites parcelles qui sont les plus infestées. Cela pénalise forcément le débit de chantier. Cette relative sous-performance du débit a cependant été largement compensée grâce à la bonne disponibilité des chauffeurs qui permet d’amortir l’investissement sur plus d’hectares qu’escomptés dans l’étude de faisabilité.
Pour garantir l’efficacité de l’intervention, une des clés est de viser le bon stade des rumex, lorsqu’ils ne sont pas trop développés c’est-à-dire à partir du stade trois feuilles jusqu’à la sortie des hampes florales. Les périodes les plus favorables vont de février à mai et, à l’arrière-saison, de fin septembre à novembre. Les périodes les plus délicates sont celles de la montée à graine en juillet et août notamment car la plante n’est alors plus sensible à l’herbicide. Le risque d’organiser une tournée à ces périodes est de voir les stades de la plante devenir défavorables au fil des jours. Il est à noter que la machine est plus efficace sur une population homogène de rumex afin de préserver au mieux la hauteur optimale de traitement à la cible pour un recouvrement le meilleur possible. Il peut ainsi être préférable de débrayer une parcelle, de la faucher et d’attendre la repousse.
Une machine polyvalente
Selon les licences achetées, l’équipement peut permettre d’intervenir dans différents types de cultures et sur différents types de consignes. La machine a une sensibilité de détection à partir de 2 mm en général et de 5 cm en particulier pour les rumex. Il est envisageable de traiter à la fois les chardons et les rumex au cours du même passage sachant que l’algorithme est plus efficace pour une consigne à 100 % rumex. La machine est également programmable pour détecter des cultures comme la carotte ou les oignons et peut fonctionner « en négatif » afin de traiter tout ce qui n’est pas la culture. Cette polyvalence a été réfléchie également dans la conception du matériel. « La liaison tracteur-outil est extrêmement simple.
La machine dispose d’ailleurs de sa propre génératrice électrique. C’est un équipement qui peut s’accoupler et se découpler facilement d’un tracteur agricole à un tracteur maraîcher », insiste Geoffroy Houette, directeur général de Werschuren, concessionnaire Ecorobotix. À noter que, pour le moment, ce type de machine n’est pas encore reconnu pour ses effets bénéfiques sur l’environnement. Elle est considérée comme un pulvérisateur classique et n’est donc pas agréée pour les zones de non-traitement (ZNT). Elle reste interdite dans le cadre de certaines mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec).
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