Marché mondial, les industriels affinent leur stratégie
Le Sommet mondial du lait s’est tenu à Paris, du 15 au 18 octobre, avec des industriels du monde entier et quelques producteurs. Évolution des stratégies des acteurs internationaux et nouvelles tendances de consommation ont été au cœur des échanges durant ces quatre jours.
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« Le lait d’hier ne sera pas le lait de demain », avance sans détour Serena Aboutboul, cheffe du pôle Nutrition Strategic Business chez Nestlé, lors de l’ouverture du Sommet mondial du lait, le 15 octobre. En quelques mots, elle vient de résumer les enjeux laitiers de demain notamment autour de la valorisation du lait. Car, pour comprendre l’évolution du marché laitier français à l’avenir, il est impératif de comprendre où les grands industriels placeront leurs pions sur l’échiquier mondial et l’évolution de la demande des consommateurs. « Les producteurs sont les derniers maillons de la chaîne mais les industriels ont besoin d’eux », rappelle avec force Christophe Lafougère, directeur général du cabinet de conseil et prospective Gira, avec une pensée pour les producteurs de Lactalis.
À l’avenir, le prix du lait français, y compris européen, restera élevé et « les industriels devront le payer plus cher ». Concernant le manque de matière première laitière, il cite en exemple les récents flux de lait entre la Belgique, la Hollande et la France : « Le lait peut être collecté sur une zone de 300 km. Et une usine de fromage, c’est de la grosse cavalerie ! Cela doit tourner 24 heures sur 24, sinon les coûts de fabrication montent trop haut. Aussi, les industriels sont prêts à payer le lait plus cher et à faire des kilomètres. »
À la recherche de la valorisation
Sur le plan international, Jean-Marc Chaumet, agroéconomiste au Cniel, évoque une croissance de la production limitée (+ 2 %) et une croissance de la collecte également limitée (+ 1,7 %). « Cela va avoir inévitablement un impact sur le commerce », souligne-t-il, car la demande pour les produits laitiers ne devrait pas faiblir. Sur le plan de la collecte, Christophe Lafougère observe déjà une Europe séparée entre l’Ouest et l’Est. « En Irlande, en France, aux Pays-Bas, la production décline, alors qu’en Pologne elle augmente. Pour autant, les pays de l’Est commencent à être confrontés à des difficultés comme la hausse du niveau de vie, des charges salariales plus élevées et un manque de main-d’œuvre, continue-t-il. En France, produire du lait dans certaines régions va devenir plus compliqué. » Réchauffement climatique, manque de main-d’œuvre, défaut de collecte, les départements du sud et du centre de la France sont clairement en ligne de mire. Alors, s’il reste la vente directe et la consommation locale pour ces zones, se pose cependant la question de la France exportatrice.
« L’Eldorado de la Chine, c’est fini ! » affirme Christophe Lafougère. « Les Chinois n’auront pas besoin d’importer autant de lait que par le passé », projette également Yifan Li, responsable de la zone Asie et Océanie chez Stone X. Avec des fermes de plusieurs milliers de vaches, la production de lait dans le pays avait bondi de 33 % entre 2018 et 2022. Yili, le plus gros industriel laitier chinois, revendique ouvertement sa volonté de trouver sa place parmi les leaders mondiaux. Le groupe a d’ailleurs remporté le prix de l’innovation délivré par la Fédération internationale du lait, le 18 octobre, pour le lait biologique Satine Active Lactoferrin. Son argumentaire : la stimulation du système immunitaire de l’organisme et une conservation à température ambiante (Tetra Pak).
La Chine, friande de crème
L’enjeu maintenant porte principalement sur l’importation de soja et de fourrages pour l’alimentation des vaches, des importations qui conduisent à une baisse de la marge brute au kilo. « La Chine a serré la vis sur les normes de qualité de son lait maternisé, observe Yifan Li. La demande aujourd’hui porte surtout sur la crème. […] Globalement, les consommateurs voient les produits laitiers comme une source de gras et de protéines saines. »
La population devient vieillissante en Chine, et l’Asie du Sud-Est, malgré la fragmentation du marché, sera davantage porteuse sur le marché du lait infantile, d’autant plus que le lait local se conserve mal, entre les températures élevées et le taux d’humidité. À noter que, « dans certains pays asiatiques, le lait de buffle est plus intéressant que le lait de vache, mais pas encore en Chine », selon lui.
Les économistes s’accordent tous pour dire que la demande de fromage va continuer à progresser sur le plan mondial, avec son pendant, la production de lactosérum. Et qui dit lactosérum, dit aussi cracking du lait, c’est-à-dire la valorisation des nano-composants du lait, mais aussi de concentré de protéines sériques (WPC) ou d’isolats de protéines sériques (WPI).
Après l’infantile, les seniors
Ces protéines sont alors réintégrées dans des produits alimentaires pour sportifs ou pour personnes âgées, à l’image du lait infantile. « Nestlé est le premier en Chine à avoir lancé l’alimentation pour personnes âgées », souligne Christophe Lafougère, qui précise bien que le marketing et les allégations santé sont particulièrement importants dans ce créneau car « personne ne se dit âgé ».
Serena Aboutboul insistera, elle aussi, sur l’importance de l’aspect nutrition dans le développement de Nestlé, tout comme Antoine de Saint-Affrique, directeur général du groupe Danone, rappellera, lors de l’ouverture : « Nous sommes basés sur la science. Être au service du consommateur est notre raison d’être. »En France, cette culture de concentrer fortement le lactosérum pour obtenir des WPC ou WPI n’est pas encore très développée par rapport aux États-Unis, même si certains industriels en ont déjà fait leur marque de fabrique. « Le premier usage du lactosérum était de nourrir les cochons », justifie Christophe Lafougère.
Il est aussi utilisé pour les veaux laitiers. « Les disponibilités du coproduit lactosérum devraient s’amplifier dans les années à venir, grâce à la hausse des fabrications fromagères, notamment aux États-Unis. L’Europe pourrait néanmoins perdre sa première place si les contraintes environnementales limitent la production, en particulier dans les pays les plus fromagers, et si l’offre de lactosérum ne se diversifie pas pour répondre aux attentes du marché, avec une demande en alimentation humaine qui semble être porteuse », constatait FranceAgriMer, dans sa récente étude.
Le secteur du petfood, dont certains segments de marché sont bien plus rentables que ceux de l’alimentation infantile, utilise aussi des protéines laitières dans son sourcing, pointe Christophe Lafougère. Seulement d’autres pays imaginent la même voie de développement via le lactosérum. Ainsi, Joanne Bills, directrice marchés chez Ever.Ag, explique que « Fonterra a des exigences en matière de durabilité. Il va y avoir une stabilisation de la production à dix ans, avec une recherche de valeur ajoutée. C’est une stratégie assez habituelle, comme ailleurs dans le monde, d’autant plus que la Nouvelle-Zélande ne suivra plus la demande chinoise. D’ailleurs, elle a déjà su trouver d’autres marchés que la Chine. Je pense que l’industrie néo-zélandaise ne vend pas son lait comme un produit de base mais comme un produit de haute qualité. » Par ailleurs, développer la valorisation du lait par le lactosérum impose des investissements importants pour les industriels. Entre décarbonation, adaptation au marché et approvisionnement en matière première, les enjeux sont conséquents pour les industriels européens. « Le monde a grandi avec la production laitière. Depuis deux ans, il y a un changement de paradigme. Soudain, le robinet s’est fermé alors qu’avant il coulait du lait à flot. Les éleveurs n’investissent plus. Il y a trop d’incertitudes », analyse Milica Kocic, responsable du développement chez IFCN, au sujet du marché européen. « Pourquoi être éleveur si vous pouvez faire autre chose ? » s’exclame-t-elle, soulignant l’importance de préserver le premier maillon de la chaîne, les producteurs.
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