Paiement du lait : penser qualité plutôt que quantité face à la réduction de la collecte
La collecte de lait français baisse régulièrement, de façon structurelle, mais pas la qualité, qui, elle, a bien progressé. Réfléchir les marchés en termes de matière sèche utile s’avérerait donc pertinent pour l’industriel avec un juste retour pour l’éleveur.
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« En mai, la collecte a affiché une progression de 0,4 % par rapport à 2023. Ramenée en MSU [matière sèche utile], la hausse était de 0,7 % grâce à l’amélioration des taux de matières protéiques », écrivait l’Institut de l’élevage (Idele) en juillet. Et, depuis plusieurs mois, la question de la collecte ramenée en MSU devient un vrai sujet. En effet, si la tendance de la collecte française est à la baisse en nombre de litres – une baisse d’ordre structurelle –, elle diminue moins vite ramenée en MSU, du fait de l’amélioration nette des taux (TP et TB). Même l’Observatoire des prix et des marges, dont le dernier rapport date de juillet, n’hésite pas à travailler avec cette MSU pour analyser les marchés laitiers : « Compte tenu de leur teneur en matière sèche utile (MSU), protéique et butyrique, les fromages constituent le 1er poste de fabrication, avec environ 35 % de la MSU. Les matières grasses solides – beurre, MGLA (matière grasse laitière anhydre) – nécessitent, quant à elles, un peu plus de 21 % de la MSU mise en œuvre dans les fabrications. […] Les produits ultrafrais utilisent environ 12 % de la MSU et le lait conditionné un peu moins de 10 %.
Les fabrications de crème nécessitent près de 8 % de la MSU. » Or, actuellement, sur les marchés mondiaux, un peu comme en 2017, un écart grandissant s’installe entre les cours du beurre et ceux de la poudre maigre, d’où l’importance grandissante de « penser » cette MSU, surtout au niveau de sa valorisation. En effet, aujourd’hui, produire de la protéine (TP) a moins d’intérêt que de produire de la matière grasse (TB). « La matière grasse du lait a désormais plus de valeur que la matière protéique », affiche ouvertement un document du Cniel du 27 juin, qui précise : « En février 2024, sur 1 000 l de lait transformés en beurre poudre, 52 % de la valeur venait de la matière grasse, c’était 36 % en 2014. »
Des habitudes de consommation qui évoluent
La demande pour le beurre s’est d’ailleurs envolée à l’international depuis le début de l’année surtout du fait des États-Unis, en lien avec la forte hausse de la consommation domestique.
Déjà pour 2023, l’Idele constatait « un marché du beurre […] moins tendu du fait de fabrications relancées, mais [qui] est resté relativement ferme grâce à une demande internationale croissante, notamment en Asie ». La matière grasse qu’est le beurre, comme la crème, a donc le vent en poupe. C’est ce que précisait encore Gérard You, chef du service économie des filières à l’Idele, le 10 juin. Selon lui, « la matière grasse d’origine animale retrouve ses lettres de noblesse face à la matière grasse d’origine végétale comme la margarine ». Et Benoît Rubin, chef du service économie de l’exploitation à l’Idele, de rappeler en avril : « C’est le rapport à la cuisine, la place dans l’assiette, la place dans les plats, dans les recettes qui va être déterminant [sur l’évolution des marchés, NDLR], malgré un taux d’inflation assez similaire [sur l’ensemble des produits laitiers, NDLR]. Les habitudes de consommation et les modifications de ces habitudes vont expliquer certains évènements. » Si le beurre est un bon exemple de ce phénomène, il est intéressant de se pencher sur la matière grasse laitière plus largement, car la crème fait aussi partie des produits qui se tiennent bien sur les marchés malgré l’inflation, notamment en France.
Produire pour exporter tout en important
À ce sujet, le Cniel constate que, « en 2022, la France a consommé l’équivalent de 25 millions de tonnes de lait pour sa consommation de matière grasse et de 18,4 millions de tonnes de lait pour sa consommation de matière protéique ». De plus, en 2023, « les ventes de produits laitiers en GMS ont demandé l’équivalent de 11,58 milliards de litres équivalent lait de matière grasse, mais seulement de 8,82 millions de litres pour la matière protéique ».
Finalement, « la France conserve de lourds excédents de matière protéique : elle produit 30 % de plus de protéine laitière qu’elle n’en consomme (toutes utilisations) ». Dès lors, pour répondre à sa consommation, la France importe de la matière grasse laitière. Elle a perdu sa souveraineté sur ce secteur en 2017. Mais elle continue d’en exporter… à un prix élevé, comme le rapporte le Cniel : « Parmi les grands pays exportateurs de beurre de l’UE, la France est en moyenne le pays qui vend le plus cher son beurre à l’export. C’est surtout la valorisation du beurre conditionné qui est supérieure sur les exports français, mais la valeur du beurre vrac industriel français s’est également plus appréciée que les autres pays depuis dix ans. Aussi, en janvier 2024, en moyenne, le prix du beurre exporté de France était 1 400 € supérieur au prix moyen du beurre importé, soit près de 25 %. »
Souveraineté alimentaire et MDD
Si la question de la souveraineté alimentaire revient régulièrement dans les débats, « dans le cas de la filière laitière française, est-elle vraiment utile ? » s’interrogeait Pierre Claquin, directeur Marchés, études et prospective à FranceAgriMer, en 2023, au Salon de l’agriculture.
Au fond, la balance commerciale de la France bénéficie plutôt de la mondialisation des marchés. « La balance commerciale des produits laitiers est excédentaire de 3 Mds d’euros, derrière les céréales, les vins et spiritueux, donc ils sont des éléments stratégiques dans le commerce mondiale », rappelait d’ailleurs François-Xavier Huard, président-directeur général de la Fnil, au micro de BFMTV, le 22 août. Il imagine déjà demain un marché chinois non plus intéressé par la poudre de lait infantile mais plutôt par des produits hyperprotéinés pour personnes âgées, là encore un savoir-faire industriel.
À noter également, le dernier rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), du 15 juillet portant « sur les menaces, de plus en plus palpables, d’éviction de la matière première agricole française dans l’offre alimentaire à bas prix ».
Le contexte inflationniste de ces derniers mois conduit le consommateur à descendre en gamme et à s’orienter vers des produits alimentaires moins chers, comme les MDD et premiers prix ; un constat également valable pour le marché des produits laitiers. Aussi, le CGAAER, face à des PME et ETI qui ont du mal à rentrer dans la concurrence prix, liée à une question d’économie d’échelle, incite à « relancer en urgence une politique industrielle interministérielle […] visant à promouvoir la diversité de l’offre alimentaire depuis les premiers prix jusqu’au haut de gamme » en aidant au développement des industriels.
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