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Fièvre Q La lutte passe par la déclaration des avortements

Dépistage. La fièvre Q est répandue dans les élevages. La première étape pour la maîtriser est de déclarer les avortements. Sauf que très peu d’éleveurs le font dès le premier cas constaté. Cela handicape son dépistage et celui des autres maladies.

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Fait rare dans le monde de l’élevage, le 28 octobre dernier, des vétérinaires de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), de GDS France, de l’Institut de l’élevage et d’Oniris (école vétérinaire de Nantes) publiaient un communiqué de presse exprimant leur inquiétude concernant la fièvre Q. « La circulation de cette infection constitue une menace pour la santé humaine et animale et pour les performances des animaux », justifie Raphaël Guatteo, d’Oniris, et l’un des signataires du communiqué. Il pointe du doigt la sous-estimation de la zoonose, liée à un défaut de diagnostic, et des mesures de maîtrise sanitaire appliquées de façon hétérogène sur le territoire français. Pourtant, la plateforme d’épidémio-surveillance animale avait déjà tiré la sonnette d’alarme il y a six ans. Une étude menée dans dix départements (1) publiée en 2015 montrait que dans un élevage bovin sur trois (lait et viande), un animal au moins était porteur d’anticorps. « Au sein d’un même élevage, 22 % des vaches laitières étaient porteuses », ajoute-t-il.

Le premier écueil au diagnostic de la fièvre Q est la sous-décla­ration des avortements par les éleveurs français. Pour rappel, un avortement correspond à l’interruption de la période fœtale, qui débute à 45 jours chez les bovins. « Cette sous-décla­ration n’est pas cantonnée à la fièvre Q. Elle concerne toutes les maladies. On estime que seuls 15 % des éleveurs font une déclaration dès le premier avortement, alors que tous devraient en avoir un au moins une fois par an. Les avortements souvent espacés dans l’année minimisent la perception du risque sanitaire. »

Déclarer la guerre aux avortements

Raphaël Guatteo invite les éleveurs à les déclarer systématiquement et à solliciter leur vétérinaire pour des analyses. Depuis 2017 existe un dispositif de dépistage et de recensement, appelé Oscar (2), qui complète celui obligatoire de la brucellose. En plus de cette dernière, Oscar propose la recherche des agents pathogènes de la fièvre Q, de la néosporose et de la BVD, à partir d’un protocole établi par des experts. Vingt-six départements en sont adhérents. L’Orne ne l’est pas mais est « Oscar-compatible ». « Je dispose d’un kit pour des prélèvements à l’écouvillon sur les délivrances placentaires et le mucus vaginal (PCR), et pour des prises de sang[NDLR : recherche d’anticorps] », dit Bruno Pertant, vétérinaire à Tinchebray, dans l’Orne (photos pages suivantes). « L’État prend en charge ma visite et les analyses liées à la brucellose, le GDS de l’Orne la recherche des fièvres Q, chlamydiose, ehrlichiose et BVD, voire d’autres, comme la salmonellose. »

Ce protocole complémentaire est déclenché lorsque deux avortements ou plus ont lieu en un mois ou lorsque trois avortements ou plus s’étalent sur neuf mois, quelle que soit la taille du troupeau. « Si le dépistage n’a rien donné, d’autres maladies sont alors recherchées en fonction de la situation locale, reprend Raphaël Guatteo En 2019, en seconde intention de recherche, l’ehrlichiose est la maladie la plus fréquemment retrouvée. » Il regrette que la totalité des grands bassins laitiers n’ait pas encore adhéré au dispositif Oscar (Normandie, Pays de la Loire, Grand Est, Sud-Ouest). Et quand c’est le cas, le protocole de prélèvements n’est pas toujours bien appliqué, ce qui amène à des analyses non conformes. « C’est ainsi pour la fièvre Q. Pour y remédier, un comité d’experts vient d’être créé pour diffuser les bonnes pratiques et communiquer davantage sur le sujet, via des fiches pratiques par exemple. »

Une incidence de 500 € à 800 € par avortement

Raphaël Guatteo évalue l’impact économique d’un avortement tardif lié à la fièvre Q entre 500 € et 800 €, soit, en plus du traitement, du fait d’une réforme précoce de la vache, soit d’une perte de production due à une involution mammaire insuffisante. « Sans compter le ralentissement de la diffusion du progrès génétique. Les avortements sont la partie émergée de l’iceberg, ajoute le vétérinaire-chercheur. La fièvre Q engendre aussi des mises bas prématurées, des métrites, une possible infertilité et la naissance d’animaux chétifs. »

La responsable est la bactérie Coxiella burnetii qui infecte les animaux et les humains principalement par voie aérienne : ils inhalent de minuscules pseudospores très volatiles. Elles peuvent être transportées sur plusieurs kilomètres.

55 % des éleveurs sont porteurs des anticorps

Même si la maladie est largement répandue dans les élevages, on n’assiste pas pour autant à une explosion de cas dans les campagnes françaises. Elle est majoritairement asymptomatique, chez l’animal comme chez l’homme. « L’absence de signes cliniques chez l’homme est rassurante. La fièvre Q apparaît à l’occasion d’un regroupement de troupeaux ou s’exprime lorsque les vaches sont fragilisées par un agent pathogène. » Côté humain, quand elle s’exprime, elle s’apparente à un syndrome grippal, avec l’émergence, de temps à autre, de cas groupés, comme en 2019 dans un lycée agricole des Pyrénées-Atlantiques.

L’expert estime qu’elle est sous-diagnostiquée par les médecins, et en premier lieu chez les éleveurs et les vétérinaires. La preuve : une étude épidémiologique menée par Oniris en 2018 dans le Finistère et en Loire-Atlantique met en évidence que 55 % des éleveurs bovins sont porteurs d’anticorps. Ce chiffre atteint 90 % chez les vétérinaires ! Logiquement, il descend à 12 % chez les donneurs de sang qui ont participé à l’étude.

Vaccination : la seule solution

Pour le vétérinaire-chercheur, le moyen le plus efficace pour lutter contre la fièvre Q est la vaccination des animaux. Il s’appuie sur le suivi de 120 élevages laitiers­ du Grand Ouest réalisé il y a dix ans. Il a démontré que Coxevac, le vaccin avec une AMM pour les bovins et les caprins, a un effet à la fois sur l’environnement et sur le troupeau. La vaccination des vaches détectées positives diminue l’excrétion de la bactérie au vêlage, période maximale d’excrétion, ce qui contribue à réduire la contamination de l’environnement. La vaccination des animaux sains, elle, les protège efficacement. « L’idéal est de vacciner toutes les vaches et génisses même si cela représente un coût : 14 € à 16 € par animal la première année (deux injections espacées de trois semaines), et 7 € à 8 € par animal les années suivantes (une injection annuelle). » Le transport des aérosols infectieux sur plusieurs kilomètres oblige en effet à maintenir la vaccination durant plusieurs années. « Les efforts doivent se concentrer sur les génisses, à défaut de tout le cheptel, pour un assainissement au fil du temps. Peut-être les éleveurs pensent-ils qu’ils s’ajoutent à ceux déjà engagés sur d’autres maladies mais c’est rentabilisé par la limitation des avortements, des métrites, et des pertes de production. » En revanche, l’administration d’un antibiotique pour prévenir les avortements en fin de gestation est totalement inefficace.

Claire Hue

(1) Hautes-Alpes, Aveyron, Finistère, Indre-et-Loire, Loire, Mayenne, Nièvre, Pyrénées-Atlantiques, Saône-et-Loire et Deux-Sèvres.

(2) Observatoire et suivi des causes d’avortements chez les ruminants (Oscar).

© C. Hue - Prise de sang. En complément de l’analyse PCR à partir d’un prélèvement par écouvillon, le 4 février (photo précédente), le vétérinaire a envoyé au laboratoire un échantillon de sang pour la recherche obligatoire d’anticorps liés à la brucellose (tube rouge). Le tube violet est un échantillon de sécurité pour d’éventuelles sérologies complémentaires.C. Hue

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