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Courants parasites Des éleveurs saisissent la justice

Un parc d’éoliennes proche d’une exploitation laitière, près de Plouguerneau (29). © Éric Bénard.

Devant l’échec à faire reconnaître les troubles induits dans les élevages, des exploitants se mobilisent collectivement et assignent des opérateurs électriques en justice.

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À la suite du dépôt d’une plainte par deux exploitations laitières de Loire-Atlantique pour « trouble anormal du voisinage » a démarré, le 15 avril au tribunal judiciaire de Nantes, le procès du parc éolien des Quatre Seigneurs. Depuis 2013 et la mise en service des huit éoliennes entre Nozay et Puceul, Didier et Murielle Potiron ont déploré la perte de 400 bêtes. À quelques kilomètres, Céline Bouvet a perdu une trentaine de bovins. Dans les deux élevages, cette situation s’accompagne de répercussions sur leur santé : fatigue chronique, douleurs musculaires, malaises, insomnies…

Leur cas est loin d’être isolé. Une dizaine de procédures similaires sont engagées à l’encontre de parcs éoliens, mais aussi de lignes à haute tension RTE, lignes enterrées Enedis, parcs photovoltaïques ou antennes relais. Ces plaintes sont portées par des éleveurs regroupés au sein de l’Anast (Association nationale Animaux sous tension) qui, il y a un an et demi, a saisi maître François Lafforgue. « Dans tous les cas, il s’agit d’élevages où la situation initiale était satisfaisante puis s’est dégradée concomitamment à l’implantation d’une installation électrique », souligne l’avocat, spécialiste de l’environnement.

Partout, le schéma se répète : après l’installation d’un ouvrage électrique, les éleveurs observent d’abord une modification du comportement des animaux, qui se mettent à éviter certaines parties des bâtiments, ne vont plus s’alimenter ni boire régulièrement. Puis vient la baisse de production et de qualité du lait, les problèmes de reproduction, les retards de croissance et la mortalité. Des élevages ovins, de volailles ou de lapins sont aussi concernés.

La cause possible : les ondes électromagnétiques et les courants dits « vagabonds » ou parasites. « Toute installation de production électriquereliée à la terre présente des déperditions électriques, véhiculées par l’eau et les failles de l’écorce terrestre, explique Olivier Ranchy, géobiologue à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire. Si des veines d’eau passent sous lastabulation, les parties métalliques et l’humidité favorisent la remontée de ces courants, qui affectent les animaux. »

La base du métier de géologue sourcier est la détection de ces failles et voies d’eau. Mais cette pratique n’est pas reconnue dans le droit français et aucune étude scientifique ne permet d’établir l’impact de ces ondes sur le vivant. Lorsqu’il y a présomption de phénomènes électriques parasites, l’éleveur, en lien avec sa chambre d’agriculture, a la possibilité de mobiliser un GPSE (groupe permanent pour sécurité électrique) dont le rôle est de réunir les parties concernées. Le GPSE pourra proposer un protocole d’expertises afin de chercher des solutions. Des expertises financées par l’opérateur électrique via le RTE, et dont les résultats pointent plus facilement les conditions d’élevage que la responsabilité de l’opérateur.

Application du principe de précaution

Cette résistance explique la lenteur de traitement de ces dossiers, d’autant que les opérateurs respectent la réglementation en vigueur. Face à cette impasse, l’objectif des éleveurs et de leur association est d’obtenir, outre une indemnisation du préjudice subi, la prise en charge de leurs problèmes, soit en déplaçant la source des courants parasites, soit en déplaçant le bâtiment d’élevage. Avec la multiplication des témoignages naît une vraie prise de conscience. Une trentaine de députés sont aujourd’hui mobilisés sur le terrain. Le 18 février, une première table ronde s’est tenue au Sénat sur l’impact des ondes électromagnétiques en élevage.

Concernant le parc éolien des Quatre Seigneurs, l’intervention du député de la circonscription, Yves Daniel, éleveur retraité, a permis de relancer le GPSE avec la chambre d’agriculture et le préfet. Le 13 avril, le gérant du parc éolien a finalement accepté la mise hors tension expérimentale de l’installation, pour dix jours. D’aucuns craignent que cet arrêt momentané soit trop court pour dresser un constat pertinent. « Avec d’autres députés interpellés par des appels à l’aide, nous demandons la création d’un groupe interministériel, rappelle Yves Daniel. C’est indispensable pour poser les bases de programmes de recherche permettant d’établir scientifiquement les liens de cause à effet et ainsi faciliter le développement des énergies renouvelables et leur acceptabilité. En attendant, il faut appliquer le principe de précaution par l’intermédiaire d’une étude géobiologique préalable systématique. En persistant à réduire ces pratiques à de la croyance ou du charlatanisme, on bloque toute velléité de recherche et on prend le risque de reproduire un scandale de santé publique. » Sur le plan juridique, l’avocat de l’Anast entend plaider le faisceau d’indices, « car dans toutes ces procédures, un autre constat est clair : l’amélioration de la situation sanitaire du troupeau à la suite de l’intervention sur l’ouvrage électrique ».

Une dizaine de procédures en préparation

Il peut s’appuyer sur l’arrêt de la cour d’appel de Caen, confirmée par la Cour de cassation en 2017, qui avait considéré que les problèmes de production laitière d’une ferme de la Manche étaient dus à l’implantation d’une ligne à haute tension. C’est pourquoi l’avocat conseille aux éleveurs qui verraient une installation électrique s’implanter à proximité de réaliser un diagnostic du troupeau et de ses performances avant sa mise en service, « au cas où un dérèglement surviendrait ».

Si l’on considère les possibilités de recours, ces actions en justice peuvent durer longtemps. Mais leur retentissement a un effet boule de neige : une dizaine d’autres actions seraient en projet, ce qui pourrait laisser penser que cette problématique est sous-évaluée.

Jérôme Pezon

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