Des pistes pour mieux détecter la tuberculose bovine
Les tests de dépistage de la tuberculose bovine manquent de sensibilité et de spécificité à la bactérie responsable. La maladie est complexe. Les chercheurs se retroussent les manches pour trouver des alternatives. Si des solutions aboutissent, ce ne sera pas avant plusieurs années.
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La France enregistre une centaine de cas de tuberculose bovine chaque année. Le nombre de foyers stagne alors que la population bovine baisse, ce qui incite les autorités sanitaires à ne pas lâcher la prophylaxie. La France perdra sa qualification « officiellement indemne » si plus de 0,1 % de ses cheptels sont infectés. Rappelons que la maladie est transmissible à l’homme et qu’elle circule entre les bovins et la faune sauvage (blaireaux, sangliers, cerfs), ce qui complique sa maîtrise. Quatre régions sont dans leur viseur : la Nouvelle-Aquitaine qui concentre 60 % des 92 foyers de 2023 (Pyrénées-Atlantiques, Landes, Dordogne, Charentes et Charente-Maritime), la Côte-d’Or (seulement un foyer en 2023) et l’ex-Basse-Normandie (neuf en 2023 et huit pour l’instant en 2024 dans l’Orne et le Calvados) et la Corse.
Difficile de déterminer le statut infectieux
La lutte contre la tuberculose bovine bute en particulier sur la sensibilité et la spécificité des tests qui définissent le statut infectieux de l’animal. L’intradermotuberculination comparée (IDC) couplée, depuis octobre 2021, au dosage dans le sang des interférons gamma affine l’interprétation des résultats, mais sans régler définitivement leur compte aux résultats douteux. La première est l’injection sous la peau des tuberculines bovine et aviaire. Les secondes sont des protéines synthétisées par les lymphocytes T. Leur couplage améliore la spécificité des analyses relatives à Mycobacterium bovis, la bactérie responsable de la tuberculose bovine. Si la comparaison des deux réactions cutanées aux tuberculines donne une réponse douteuse 72 heures après, l’éleveur peut, dans certains cas, demander à l’administration le test des interférons gamma. « Dans le Calvados, deux tiers des abattages pour un diagnostic post-mortem ont été ainsi évités depuis 2021-2022 », indique Étienne Gavart, directeur du GDS du Calvados. L’autre avantage des interférons est la réduction d’une trentaine de jours du temps d’attente du résultat par rapport à une seconde IDC. Un tiers de son département est en zone de prophylaxie renforcée. La campagne de dépistage y bat son plein depuis l‘automne, tout comme dans les zones déclarées de l’Orne, de Nouvelle-Aquitaine, de Côte-d’Or et de Corse. Elle dure six mois. Les éleveurs reçoivent la visite d’un vétérinaire pour l’IDC sur le cheptel.
L’éradication de la tuberculose bovine se heurte à la complexité de la maladie. Le bovin ne développe pas d’anticorps au contact de Mycobacterium bovis et cette dernière ne circule pas dans l’organisme. La détection de la zoonose dans le troupeau ne peut se faire ni par sérologie ni par PCR. La réponse immunitaire à la bactérie est cellulaire par les globules blancs.
L’animal se protège de cette manière au contact de mycobactéries non tuberculeuses présentes dans l’environnement. L’agence sanitaire française Anses dénombre deux cents espèces. La plus gênante est Mycobacterium microti. Très présente, elle est portée par les rongeurs qui peuvent la transmettre aux blaireaux, aux sangliers, aux cerfs, mais aussi aux bovins. Leur réaction immunitaire interfère avec celle liée à Mycobacterium bovis et peut produire des résultats faux positifs aux tests IDC et interférons gamma. Seul l’abattage du bovin permet d’identifier quelle bactérie est en cause via une analyse PCR de l’ADN récupérée. Le résultat confirmera ou évitera l’abattage total du troupeau.
La vaccination testée outre-Manche
Pour sortir des tests insuffisamment spécifiques, la recherche travaille à l’élaboration de nouveaux marqueurs. Les Britanniques étudient la vaccination des bovins. Elle diminuerait la taille des lésions de l’animal infecté, qui serait alors moins excréteur et donc moins contaminant. Ils expérimentent des tuberculines synthétiques qui réagiraient sur les animaux infectés, mais pas sur les vaccinés. « Les premiers résultats indiquent une bonne spécificité à Mycobacterium bovis mais le réactif n’est pas très sensible », indiquait en juin Maria Laura Boschiroli, du laboratoire national de référence de la tuberculose de l’Anses, lors de l’assemblée générale du GDS de l’Orne. Les Français regardent avec attention les travaux britanniques mais sont dubitatifs sur leur intérêt dans l’Hexagone. Si elle aboutit à une application en routine, cette méthode sera efficace chez nos voisins car la tuberculose bovine est répandue dans leurs élevages. Ce n’est pas le cas ici.
En France, c’est la vaccination intramusculaire des blaireaux qui est expérimentée en Dordogne durant quatre ans. Sa mise en œuvre est lourde car il faut les capturer et les anesthésier pour effectuer une prise de sang. Un test sérologique rapide, qui n’est pas d’une grande sensibilité, décide ou non de leur abattage. Ceux testés négatifs sont vaccinés et identifiés par une puce. L’idée est de les capturer de nouveau pour vérifier l’efficacité du vaccin.
En quête de nouveaux marqueurs
Des alternatives de diagnostics non immunologiques sont dans les tuyaux de la recherche européenne. La détection de composés organiques de la bactérie dans les fèces ou par le biais respiratoire est une piste. « Les métabolomes [1] sont probablement plus prometteurs », avance Maria Laura Boschiroli. Ils sont produits à partir de l’interaction entre l’agent infectieux et son hôte.
L’acide ribonucléique (ARN) non codant circulant en fait partie. La start-up écossaise MI:RNA vient de s’associer, entre autres, en Normandie avec le laboratoire d’analyses Labéo, les GDS et les GTV sur la tuberculose bovine et la paratuberculose. « On peut doser ces micro-ARN par des analyses biomoléculaires du sang et du lait », explique Pierre-Hugues Pitel, directeur de l’activité santé de Labéo. « Comme cette réaction n’est pas propre à ces deux maladies, le premier objectif est de caractériser les bovins sains et malades pour avoir une signature. Elle permettra de développer un algorithme mathématique qui, via l’intelligence artificielle, distinguera parmi les micro-ARN circulants ceux qui nous intéressent. »
Les oligoéléments pourraient être un autre biomarqueur. Labéo débute l’exploration de cette piste avec l’Inrae de Tours. « L’organisme en a besoin pour fabriquer les interférons gamma. Les animaux infectés en sont-ils déficitaires ? C’est l’hypothèse que nous formulons », indique Pierre-Hugues Pitel, sans préciser de quels oligoéléments il s’agit.
Marqueurs génétiques. Toujours avec l’Inrae de Tours, le laboratoire veut lancer un troisième volet : la résistance génétique des bovins. Il s’inspire des travaux réalisés sur la paratuberculose qui, par le génotypage, identifient aujourd’hui les animaux résistants ou sensibles à la « paratub’ ». « Une vingtaine de marqueurs génétiques à la tuberculose bovine sont repérés. À partir des bovins abattus et des bovins testés négatifs dans les élevages atteints, peut-être sera-t-il possible d’arriver à un résultat similaire. » Les préfectures de l’Orne et du Calvados ont donné leur autorisation, le 17 octobre, pour caractériser les animaux de ces cheptels. Les GDS et GTV normands sont également partie prenante. « Nous sommes en train de finaliser la structuration scientifique du projet. »
Si ces alternatives au dépistage actuel aboutissent, ce ne sera pas avant plusieurs années. « On ne peut pas se contenter de la situation actuelle même s’il y a des avancées. Il faut se retrousser les manches, sinon on continuera à compter les abattages d’élevage », conclut Pierre-Hugues Pitel.
(1) Marqueurs issus du métabolisme.
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