« Dix fois plus gros, mais dix fois plus vulnérable que moi »
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Mi-septembre, j'ai visité le troupeau de Fernando Sainz de la Maza, secrétaire de l'Organisation des producteurs de lait espagnols qui résulte de la fusion au mois de janvier dernier de trois syndicats de producteurs laitiers. Associé avec son cousin, il gère près de Lerida (Catalogne) un troupeau de 850 vaches laitières à 9 500 kg pour un quota de 7,5 millions de litres, des holsteins conduites en croisement trois voies avec du montbéliard et du rouge suédois. Ils emploient quinze salariés rémunérés 1 000 euros par mois, seuil en deçà duquel il refuse de descendre.
Le chiffre d'affaires de son exploitation avoisine les 3,5 millions d'euros. La traite est effectuée 22 heures sur 24.
En résumé, il gère le modèle d'exploitation qui fait rêver l'Europe du Nord et vers lequel la Commission européenne libérale veut nous orienter : 440 000 litres/ UTH pour diluer les charges au maximum.
Mon associé et moi-même trayons 80 vaches deux fois par jour. Notre moyenne d'étable est de 7 000 kg/VL pour un quota de 500 000 litres. Nous employons 1,5 salarié payé au Smic. Notre chiffre d'affaires est de 300 000 euros. Mon exploitation est dix fois plus petite que celle de Fernando et elle est nettement moins productive. C'est évident. Je m'incline.
Mais Fernando ne paille plus ses bâtiments, n'entretient plus ses stabulations, ne renouvelle plus son matériel, et n'investit plus. Fernando est en train de perdre son outil de travail. Parce que comme moi, sur son atelier lait, tous les jours, Fernando ne dégage pas assez de marge ou perd de l'argent. Mais quand il perd, il perd dix fois plus… Pourtant, comme moi qui possède 100 ha irrigables, Fernando a le choix. Il possède aussi 300 ha irrigables, entièrement destinés à son élevage.
Il aurait pu licencier ses salariés et arrêter le lait. Aujourd'hui, il aurait fini sa récolte de 3 000 tonnes de maïs, vendu 200 euros/ tonne, heureux de terminer ses six mois de travail annuel, en dégageant une marge conséquente.
Or, comme moi et comme tous les adhérents de l'Office du lait et France Milk Board, Fernando a choisi de se battre. Parce que baisser le salaire de ses salariés ou abandonner le lait serait pour lui un aveu d'échec insupportable. Parce que l'injustice que subissent, partout, les producteurs de lait lui est intolérable. Parce qu'il est solidaire de ces éleveurs qui n'ont pas, comme lui, d'autre choix que le lait. Parce qu'il sait que ceux-là tenteront, comme lui, de s'agrandir pour se sauver mais perdront, au final, dix fois plus.
Il a choisi de se battre parce qu'il sait comment résoudre le problème en régulant et en imposant un prix en phase avec la réalité. Parce qu'il sait que la solution est entre nos seules mains de producteurs et qu'elle passe par un regroupement massif transidéologique et transfrontalier.
CHRISTIAN MANAUTHON (HTES-PYRÉNÉES), VICE-PRÉSIDENT DE L'OFFICE DU LAIT
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