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La sortie du tunnel des producteurs Lactalis évincés

Philippe Simonin, Nicolas Mauffrey, Damien Grandmougin et Florent Villemin sont quatre des 81 producteurs de Haute-Saône lâchés par Lactalis. Simples adhérents ou dirigeants de l’OP Applage, ils sont persuadés que la force collective de l’OP les sort de l’ornière. Après avoir vendu durant vingt à trente ans leur lait au leader mondial, ils découvrent des PME à l’ancrage local. Ils rejoignent en effet Pâturages comtois, l’Ermitage ou Milleret qui, espèrent-ils, apportera un nouveau sens à leur mé

Il y a neuf mois, Lactalis annonçait à 280 exploitations de l’Est et de l’Ouest son intention de rompre leur contrat. Il ne les collectera plus à partir du 1er août 2026. Une bonne partie d’entre elles l’ont déjà quitté ou se sont engagées auprès d’un industriel. Les autres étudient encore les propositions qui leur sont faites.

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La blessure restera mais les esprits sont aujourd’hui plus sereins qu’il y a neuf mois. Les 280 livreurs de Lactalis concernés par la procédure de résiliations de contrat regardent à nouveau vers l’avenir. Le groupe lavallois l’avait annoncée à l’association d’OP Unell, le 25 septembre, et aux OP bio Seine & Loire et APLB Grand Est les jours suivants. « J’ai été prévenu par Lactalis par téléphone. J’ai très mal vécu cette façon de procéder. Malgré mes trente années d’approvisionnement du site de Xertigny, je ne suis finalement qu’un simple pion », s’énerve Philippe Simonin, producteur haut-saônois à la tête de 280 000 litres et adhérent de l’Association des producteurs de lait Lactalis Grand Est (Apllage, adhérente de l’Unell). La fermeture de l’usine de concentration du lait à 30 km de son exploitation, de l’autre côté de la frontière qui sépare son département des Vosges, fait partie du plan de réduction des volumes de 160 Ml dans le Grand Est, les Pays de la Loire et en Poitou-Charentes décidé par le groupe mondial. Les contrats prendront fin au plus tard le 31 juillet 2026. Cette date butoir provient du préavis de douze mois prévu dans les contrats, que l’industriel a prolongé de six mois.

Grand Est : les PME fromagères à la rescousse

Comme la majorité de ses collègues, Philippe Simonin a reçu plusieurs propositions de débouché à son lait. Elles ont été formulées à la suite du recensement des besoins des industriels environnants par le cabinet Triangle, missionné pour ce travail, avec l’implication des OP. L’éleveur a décidé de s’engager avec Pâturages comtois, basée à Aboncourt-Gésincourt, au centre de la Haute-Saône. La coopérative va accueillir 42 futurs ex-livreurs de Lactalis pour 16 à 18 Ml. « Nous allons quasiment doubler notre collecte : de 57 points, nous passerons à 99 », indique Laurent Darosey, président de Pâturages comtois.

Elle enlève une belle épine du pied à la Haute-Saône, qui concentre 51 % des 159 producteurs lâchés par Lactalis dans le Grand Est et plus largement 30 % de l’ensemble des producteurs.

« En découvrant que la partie sous-­vosgienne du département est exposée au désengagement de Lactalis, j’ai mal dormi durant plusieurs jours », confie Nicolas Mauffrey, vice-président de l’Apllage, qui œuvre au sein de l’Unell à trouver une solution pour les 275 exploitations « remerciées » que l’AOP accompagne.

Le Gaec qu’il compose avec son frère et son cousin n’est pas épargné. Sa structure et celle de Philippe Simonin sont au cœur de la cible lavalloise. « Cette petite région vallonnée du nord-est du département est atypique, détaille-t-il. À cause des routes étroites et sinueuses, il est plus compliqué aux camions de ramassage du lait d’accéder aux fermes, avec des volumes contractuels qui peuvent descendre à 200 000 l. J’ai tout de suite compris que leur reprise par d’autres laiteries n’irait pas de soi. » Pour preuve, Pâturages comtois a testé la collecte du lait en camion semi-remorque.

« C’est grâce à l’interpellation de ­l’Apllage sur l’intérêt de collecter ce secteur que nous en reprenons finalement 42 », fait savoir Laurent Darosey. Dix-huit producteurs l’ont rejointe le 1er juillet pour 8 Ml. C’est le cas de Florent Villemin pour qui cette courte échéance est un soulagement : « Je venais de commander un robot de traite lorsque Lactalis m’a informé que j’étais concerné par le plan de réduction de volumes. Après un mois de réflexion, j’ai en définitive maintenu la commande car, seul exploitant avec un salarié sur 170 ha et 700 000 l de lait, j’ai besoin du robot. »

Les signes de qualité protègent les producteurs

Fin septembre, à l’annonce lavalloise, les producteurs de l’Est n’avaient pas imaginé que les PME fromagères avaient entre leurs mains une bonne partie de la solution. « Elles transforment de 200 à 300 Ml de lait en Haute-Saône », confirme Thierry Martin, directeur général de l’entreprise familiale Milleret.

« Sans elles, la résolution de la situation aurait été très compliquée. Il aurait sans doute fallu ouvrir la porte à des acheteurs étrangers. » En lien avec l’OP Milleret, la fromagerie va accueillir, à partir du 1er août 2026, onze producteurs (8,4 Ml) audités en amont.

Damien Grandmougin, avec ses 830 000 litres, est de ceux-là. Son élevage est à 60 km du site de Milleret de Charcenne, en zone de plaine. « Nous avons la chance que ces PME aient des projets de développement. Sans projet, elles auraient couru le risque d’être ­déstabilisées par la création d’excédents si elles avaient accepté de reprendre des livreurs de Lactalis, estime-t-il. Une planification de son retrait sur cinq ans aurait évité cette situation chaotique et leur aurait laissé le temps de s’organiser. »

https://dai.ly/kbATDRzEOoVHCsDmjHa

C’est d’ailleurs la crainte des excédents qui a décidé la coopérative vosgienne L’Ermitage, bien connue pour son prix du lait élevé, de n’accepter que 10 producteurs (8 dans les Vosges et 2 en Haute-Saône) sur les 65 candidatures qu’elle avait sur la table. « Les indications géographi­ques telles que l’emmental grand cru, le gruyère de France et la cancoillotte sont également une protection, reprend Damien ­Grandmougin. Si l’autre site haut-saônois de Lactalis, à Loulans-Verchamp, ne fabriquait pas l’IGP cancoillotte, il est probable que toute la collecte du département aurait été dénoncée. »

Alors que Lactalis se sépare de 160 Ml d’ici à l’an prochain et d’autant d’ici à 2030 par la non-reconduction de son contrat avec la coopérative alsacienne Unicoolait, les grands groupes concurrents font le chemin inverse.

Sécuriser l’approvisionnement des sites industriels

À très court terme pour certains, l’arrêt de grosses références laitières faute de repreneur et du fait des crises sanitaire (FCO) et climatique fragilise l’approvisionnement de leurs sites et les presse à prendre part à la reconfiguration de la collecte régionale. Ainsi, après plusieurs semaines de réflexion de plus que les industriels voisins, Savencia s’est décidé à se positionner dans la Haute-Marne qui abrite son célèbre Caprice des Dieux (site d’Illoud). Cette arrivée plus tardive oblige les éleveurs sollicités à reconsi­dérer les autres propositions reçues. La perte de 4,5 Ml par l’arrêt de deux élevages laitiers cette année contraint en effet Savencia à réagir. Le 4 juin, avec l’APL Bongrain Gérard, il a rencontré 7 producteurs (5 Haut-Marnais et 2 Vosgiens), le 16 juin, et avec l’Union des producteurs de lait des Vosges 15 autres (10 des Vosges et 5 de Meurthe-Et-Moselle). « Savencia cherche 15 Ml sur deux ans sur un périmètre de 70 km autour d’Illoud », indique Cédric Detroye, présent le 4 juin.

Grand Ouest : 70 % des producteurs sur le départ

Dans l’Ouest, la situation évolue vite également. « D’ici au mois de septembre, 70 % des points de collecte auront quitté Lactalis », indique Delphine Macé, présidente de l’Association des producteurs de lait Pays de la Loire- Bretagne Lactalis (APLBL). Au sein de l’Unell, l’OP accompagne 96 exploitations adhérentes et 22 non adhérentes à une OP, principalement ligériennes. « Les 30 % restantes ont besoin d’étudier les cahiers des charges des entreprises ou ont des délais d’attente plus longs, le temps que la laiterie s’organise. Une petite vingtaine d’éleveurs s’interrogent par ailleurs sur un éventuel arrêt de la production laitière. »

La Laiterie Saint-Denis-de-l’Hôtel (LSDH) en a accueilli 32, le 1er mars (ainsi que 4 livreurs non concernés par les ruptures de contrats). « Nous projetons de reprendre pour l’instant 50 points de collecte au total pour 50 Ml, dont deux tiers concernés par le plan de réduction de Lactalis, détaille Emmanuel Vasseneix, le PDG de LSDH. Le tiers restant – également en majorité des livreurs de Lactalis – était sur notre liste d’attente. » Le nouvel outil de lait UHT de LSDH à Cholet (Maine-et-Loire) a une capacité de 200 Ml. LSDH a déjà conforté sa collecte de 80 Ml l’an passé.

Du côté d’Eurial qui rayonne, entre autres, dans les Pays de la Loire et les Deux-Sèvres, c’est une petite vingtaine de producteurs pour environ 12 Ml qui devraient les rejoindre (plus 3 à 4 dans l’Est pour le site mosellan de Château-Salins). « Ils compenseront en partie les 20 Ml que nous avons perdus en trois ans au profit de LSDH et de la Laiterie de Verneuil », précise Pascal Le Brun, président de la branche lait de la coopérative Agrial. Chez Terrena, ils ne sont que quelques-uns. « Mais, entre le développement des adhérents, les arrivées et départs et les cessations, notre volume collecté progresse de 14 Ml », note Christophe Miault, président de la commission lait. Sodiaal, elle, n’a pas besoin de conforter sa collecte dans les Pays de la Loire. En revanche, à l’est, elle attend la réponse de 10 à 13 producteurs pour ses sites de Langres (Haute-Marne), Port-sur-Saône (Haute-Saône) et Auxerre (Yonne). Des producteurs pourraient rejoindre aussi sa coopé­rative partenaire Ucafco. Quant à Terra Lacta, elle renforce sa zone connue pour sa déprise laitière par 25 nouveaux adhérents (15 Ml) : 20 sont déjà arrivés ; les 5 restants le seront avant l’automne. « Les producteurs retrouvent le sourire. Les industriels ont formulé leur proposition. La décision finale nous revient », résume Nicolas Mauffrey, qui a mouillé la chemise aux côtés des autres dirigeants des OP concernées, sous l’égide de l’Unell.

Un SMS de l’Unell tous les mercredis

« Mon engagement dans l’Apllage et l’Unell a eu encore plus de sens durant cette crise. Elle a permis de proposer des solutions collectives aux laiteries en cohérence avec leur zone de collecte, d’abord avec le cabinet Triangle puis de notre propre chef. » Et le vice-président de l’Apllage d’ajouter : « Ma plus grande crainte était la fragilisation psychologique d’éleveurs et le risque de suicides. » Les réunions d’information et le SMS envoyé tous les mercredis soir aux producteurs de l’Ouest et de l’Est, qu’ils soient adhérents ou non à une OP, font partie de l’accompagnement de l’Unell. « Je l’attendais avec impatience, confirme Philippe Simonin. Ils sont plus espacés aujourd’hui. »

Réclamer des indemnités à Lactalis

Comme une cinquantaine de collègues haut-saônois, tous deux sont prêts à participer à l’action collective que veut engager la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) pour obtenir des indemnités financières de Lactalis. Selon le syndicat majoritaire, deux tiers des producteurs de l’Ouest et l’Est sont d’accord pour s’engager. Le paiement de parts sociales pour adhérer à une coopérative, l’achat du tank à lait, le stress engendré par l’incertitude, la déconversion de la bio, etc., sont autant de préjudices dont ils souhaitent être dédommagés. L’objectif premier est d’aboutir à un accord à l’amiable avec le mayennais. « Si nous ne demandons rien, le risque est que le groupe recommence ailleurs, cela d’autant plus que le miniséisme qu’il a provoqué est en train de se résoudre », assure Guillaume Faucogney, administrateur de la FNPL et éleveur haut-marnais concerné par les ruptures de contrats. La crise que les 280 exploitations traversent met en relief la fragilité des contrats. La durée de préavis d’un an de celui de Lactalis s’est révélée trop courte pour trouver sereinement de nouveaux clients .

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