Adrien Lefèvre président de l’apli « 50 centimes, un minimum pour que des jeunes s’installent en lait »
La prise de conscience de l’enjeu de la sécurité alimentaire remet sur le devant de la scène la pertinence d’un programme de régulation afin de garantir un prix du lait équitable, seul capable de maintenir des éleveurs nombreux sur tout le territoire.
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Quel regard portez-vous sur l’évolution du marché et la hausse généralisée du prix du lait ?
Adrien Lefèvre : Nous sommes dans une situation de déficit de l’offre. Dès lors, la hausse du prix n’a rien de surprenant. Elle confirme ce que l’Apli et l’EMB ont toujours dit : la maîtrise de l’offre rend possible une amélioration du prix payé aux producteurs. Malheureusement, ce n’est pas, ici, le fruit d’une politique coordonnée, mais le signe que la régulation de la production finit par se faire d’elle-même, en raison de la situation économique des éleveurs et de leur nombre, de moins en moins important. De fait, le recul de la production est une tendance lourde, car il y a un phénomène d’inertie inhérent à la production laitière, et le prix de la viande, comme des céréales, n’incite pas à faire plus de lait. D’autant plus que les exploitations sont souvent saturées, après les restructurations de 2009 et 2015. Les capacités d’investissement sont limitées, on observe même une certaine décapitalisation. Sans parler du moral des éleveurs : la passion a longtemps permis de maintenir la production, mais pour combien de temps encore ? Même les modèles allemands ou néerlandais tant vantés sont en recul, tandis qu’en France de grosses structures jettent l’éponge. Ces élevages perdus, nous ne les retrouverons pas. Cela pose la question de notre souveraineté alimentaire. La guerre en Ukraine le rappelle cruellement. Notre sécurité alimentaire passera par un prix du lait qui couvre les coûts de production pour maintenir des éleveurs nombreux sur tout le territoire, capables d’accélérer si besoin. La hausse que nous observons aujourd’hui, en plus d’être tardive, est très insuffisante pour faire face à nos charges et rémunérer la main-d’œuvre. C’est pourquoi, nous réclamons un prix de 50 cts par litre au minimum.
Comment justifiez-vous ce prix de 50 centimes ?
A.L. : Il peut paraître fou, mais il correspond à la réalité : en 2021, il me fallait 13 500 l de lait pour payer un camion d’engrais ; en janvier de cette année, le même camion coûte 46 000 l. Ces 50 cts correspondent au dernier calcul du coût de production commandé par l’EMB à un bureau d’étude indépendant sur la base des données du Rica (Réseau d’information comptable agricole de l’UE), soit 45 cts + la hausse de l’indice Ipampa et le paiement de la qualité moyenne française (41/33). Il s’agit bien sûr d’une moyenne, car certains, souvent en fin de carrière, ont des coûts proches de 30 cts. Mais la filière ne peut se focaliser sur le quart supérieur, sinon les jeunes investisseurs ne pourront pas tenir. À long terme, ce serait catastrophique. Si l’on veut préserver la filière française et notre souveraineté alimentaire à une époque où les nouvelles générations n’accepteront pas de travailler comme leurs aînés, il faut redonner de l’attractivité au métier.
La loi Égalim vous semble-t-elle une voie pertinente pour y parvenir ?
A.L. : L’intention est bonne, mais elle ne s’applique que sur 35 ou 40 % de la production. De plus, Égalim reste dans le cadre de la contractualisation, qui ne permet pas de bénéficier des hausses de prix. La loi devrait aussi s’imposer à la RHF, l’idéal étant un Égalim européen. Le contexte concurrentiel implique en effet de sortir du cadre franco-français. Pour peser davantage dans les négociations commerciales, l’avenir est de se rassembler autour d’OP transversales interpays. Les premières rencontres avec des OP allemandes sont programmées en juin.
Parallèlement, nous nous battons depuis douze ans pour l’adoption d’un programme européen de responsabilisation du marché (PRM). C’est le mécanisme activé en 2016 par l’UE face à la crise de surproduction. Il est désormais inscrit aux instances du Parlement, mais pas encore comme outil permanent de prévention des crises. Pour cela, la Commission doit entendre raison. La prise de conscience des gouvernements crée des conditions propices pour mettre en place ce filet de sécurité. Mais c’est aussi aux éleveurs de comprendre l’intérêt de la régulation de l’offre, car à Bruxelles, l’EMB doit encore se battre contre le Copa-Cogeca. Il est faux de croire que les aides vont suffire à long terme, seul un prix équitable permettra à des jeunes d’investir et de capitaliser dans un outil sécurisé et sécurisant pour leur famille.
Propos recueillis par Jérôme PezonPour accéder à l'ensembles nos offres :