S’installer et travailler en couple : les conseils d’un coach agricole
Michel François, coach agricole, livre ses préconisations, aux éleveurs et éleveuses installés en couple, pour « concilier travail et vie à deux, et préserver la qualité de leur relation ».
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Il y a peu, la rédaction racontait l’installation en couple en bovins lait d’Aline et Kévin Lurson, à Chailloué dans l’Orne. Tous deux tenaient à « travailler ensemble au quotidien pour mêler vie professionnelle et de famille ». Afin de parvenir à concilier vie pro et perso, ils ont fixé dans chacun de ces domaines des objectifs précis et une organisation claire.
Michel François, coach agricole, fondateur de la société Cresco Conseil et membre du réseau Agricoaching, constate depuis plusieurs années que de plus en plus de couples d’agriculteurs et agricultrices font appel à lui. La plupart ont entre 40 et 55 ans, peu de jeunes ou futurs installés ont recours à ce type d’accompagnement.
Ce que regrette Michel François même s’il comprend qu’ils ont énormément de démarches à effectuer et d’autres préoccupations, d’ordre économiques surtout. Il aimerait que les aspects humains soient davantage pris en compte dans le parcours d’installation puisqu’ils conditionnent sa réussite. « Comment travailler ensemble : il faudrait se pencher bien plus sur cette problématique. »
Apprendre à se connaître au travail
« En agriculture, pro et perso sont intimement liés. Des soucis professionnels entre conjoints ont forcément un impact sur l’exploitation, ses performances techniques et économiques, puis sur la sphère privée, et vice versa », souligne le coach. Il incite à agir en préventif, avant qu’ils ne soient trop installés, pour « se donner toutes les chances de les régler ».
Une phrase d’un exploitant qu’il a suivi l’a en effet particulièrement marqué : « J’ai très bien réussi sur le plan professionnel, beaucoup moins sur le plan personnel, j’en ai pris conscience un peu tard. » « Il faut aussi apprendre à se connaître au travail, où nous ne nous comportons pas forcément comme à la maison », complète Michel François avant de livrer quelques conseils pour s’installer en couple en élevage :
1- « Réfléchir à comment protéger la relation »
Michel François conseille d’exprimer ses émotions, qu’elles soient positives (« joie, complicité » par exemple) ou négatives (« colère, tristesse », angoisse…), ses pensées, ses visions pour être sûr d’être sur la même longueur d’onde.
2- « Analyser ensemble ce qui a fonctionné ou non »
Il s’agit, derrière, de se poser ces questions : « Quels moments vous ont rapprochés, agacés, les situations qui ont généré des tensions ? »
Beaucoup échanger et savoir déconnecter
3- « Se dire ce qu’on croit peu important pour l’autre »
Ce n’est pas forcément « si anodin que ça ». « Les petits détails du quotidien renforcent la complicité et montrent que vous vous intéressez à l’autre », détaille le coach.
Aline et Kévin Lurson insistent d’ailleurs là-dessus : la communication est essentielle. « Il faut aimer partager. Il est important de discuter de tout, de ce qui va et fonctionne moins, de ses ressentis, ses craintes, ses doutes », nous confiaient-ils lors du reportage.
4- « Prévoir des moments de déconnexion »
Faire une vraie pause, en coupant de l’exploitation. Un simple repas ou même une promenade permettent « d’entretenir la relation en dehors du cadre professionnel ».
Votre relation vous fera relever les défis
5- « Essayer de dissocier vie professionnelle et personnelle »
Ce n’est pas toujours simple. Michel François le reconnaît. Aline et Kévin confirment : « Les soucis à la ferme ressurgissent vite à la maison le soir. » Veillez, autant que possible, à « limiter, en dehors des heures de travail, les discussions concernant l’exploitation, surtout le soir et au réveil », recommande le coach faisant référence à un couple qu’il a accompagné qui, pendant leur repas, épluchaient non pas des légumes mais leur compte de résultat.
6- « Organiser des temps de réflexion et d’échange »
Ainsi, vous vous fixerez de nouveaux objectifs qui relanceront une dynamique et des motivations communes. Michel François encourage également à bien définir la place de chacun en répartissant clairement les missions.
« Ces petits principes peuvent paraître évidents mais ne sont pas toujours respectés », pointe-t-il avant de rappeler : « Cela peut générer des problèmes relationnels au sein du couple, qui peuvent être sérieux. » À l’inverse, plus vos relations seront complices et apaisées, « plus l’engagement et la productivité » seront forts, met-il en avant avant de conclure : « Prenez soin de votre relation, c’est grâce à elle que vous surmonterez les obstacles, relèverez les défis », développerez l’exploitation et serez heureux dans votre métier d’éleveur.
Un projet qui « fait vibrer » pour trouver sa place
Aline et Kévin Lurson ont choisi de reprendre une ferme hors cadre familial. D’autres jeunes éleveurs et éleveuses rejoignent l’exploitation de la famille de leur conjoint, aujourd’hui encore davantage les femmes même si ce n’est plus aussi systématique qu’avant. Trouver leur place est sans doute plus facile pour elles que pour les générations précédentes : « Elles interviennent bien plus dans la gestion de la structure, disent plus librement ce qu’elles ressentent et veulent, et sont davantage écoutées. » Mais certaines rencontrent toujours des difficultés.
Il existe encore « des modèles familiaux où la maman avait plus un rôle familial que professionnel donnant l’impression qu’il ne peut en être autrement », explique Michel François. Par ailleurs, ces exploitantes « quittent leur famille pour aller dans celle de leur conjoint. Habituellement, un couple se construit et construit sur un lieu différent, nouveau, neutre ». Ne pas être du milieu agricole, de la région, ou habiter sur la ferme sont des freins supplémentaires.
En découle « un sentiment d’illégitimité, un manque d’assurance ». « Pour y remédier, il faut s’approprier les lieux, la maison, l’exploitation, au risque de se heurter aux réticences et remarques désagréables de la belle famille. » Le conjoint tente généralement de faciliter les choses. Parfois, il propose à sa femme un projet mais c’est le sien, est-il partagé par l’éleveuse ? Il doit venir d’elle et la « faire vibrer » pour qu’elle « s’y lance à fond et s’épanouisse », préconise le coach.
Bien sûr, il faudra « qu’il soit partagé par son conjoint », fait-il valoir, et donc le lui présenter dès qu’il est suffisamment mûri. « Un projet apporte de la légitimité, insiste-t-il. S’imposer, faire sa place, ce n’est pas s’opposer à l’autre, son conjoint et sa famille, c’est affirmer ce dont on a besoin pour être bien dans son métier et sa vie personnelle et familiale. »
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