Installés depuis un an (Manche) Brian et Manon alertent sur les reprises « low cost »
Voulant s’installer en élevage laitier, mais sans famille proche dans l’agriculture, Brian Bocquet et sa compagne Manon Vasseur ont saisi l’opportunité de reprendre une ferme, pas très chère. Toutefois, les deux jeunes ne pensaient pas devoir investir si vite pour pouvoir continuer à travailler…
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« Si demain, on nous dit : « le voisin vend », et qu’il n’y a pas de travaux à effectuer, juste un billet à sortir, on essaiera de revendre notre ferme pour se réinstaller sur cette exploitation. » Voilà l’état d’esprit dans lequel se trouvent Brian Bocquet et sa compagne Manon Vasseur, à peine un an après leur installation agricole, en Gaec.
Si un voisin vend, on fonce !
Le 1er novembre 2022, ils ont pu reprendre un élevage laitier, au Dézert dans la Manche. Malgré un « parcours du combattant » pour y arriver et une « première année très difficile », ils ne regrettent pas leur choix de devenir éleveurs et sont fiers de ce qu’ils ont accompli en un an.
Une ferme trouvée sur Facebook
Après leurs études agricoles (Capa, Bac pro et BTSA en apprentissage pour acquérir la pratique), ils regardent sur les réseaux sociaux comment s’installer en agriculture ainsi que « les exploitations proposées et les prix ». Rapidement, en décembre 2020, un agriculteur les contacte sur Facebook pour leur dire qu’il aurait « une ferme à vendre d’ici deux ans ».
Deux mois plus tard, il les accueille pour une visite. Les « 40 hectares de prairies facilement accessibles autour » séduisent immédiatement les jeunes gens, qui envisagent de s’orienter vers un système herbager en bio, plus économe en coûts de production et travail.
Quant aux bâtiments, ils sont certes vieux mais « modulables à notre façon, pour bâtir notre propre projet sur une structure existante », mettent-ils en avant. Ayant peu d’apport, le prix de reprise de la ferme, « assez bas », représente une belle opportunité qui, selon eux, risque de ne pas se reproduire de sitôt. Vu les coûts de cession d’exploitation en Seine-Maritime, ils pensaient devoir changer de département et la Manche n’est pas trop loin.
Complexité administrative
Le couple entame alors les démarches d’installation agricole avec la chambre d’agriculture. Brian réalise un CS lait sur sa future exploitation et Manon un stage de parrainage. Côté administratif et concernant le foncier, les choses se corsent. « Cela demande beaucoup de temps et on a du mal à comprendre ce qu’il faut faire », détaille la jeune femme qui ne s’est pas sentie « suffisamment encadrée », avec « des versions différentes en fonction des organisations ».
Les deux jeunes ont également vu leur date d’installation repoussée plusieurs fois : du 1er octobre au 1er novembre 2022 puis au 1er janvier 2023. « Nous avons refusé ce nouveau report car, avec la régionalisation de la DJA et les nouveaux critères d’attribution, le montant aurait été divisé par deux », explique Brian, qui « attend toujours le versement » de cette aide (37 000 € chacun) pour « soulager la trésorerie ».
À de nombreuses reprises, « on a envie d’abandonner », reconnaît-il. « Si la ferme repérée vaut le coup, faut tenir bon ! », lance-t-il cependant insistant sur l’importance de suivre les évolutions réglementaires.
Première année compliquée
Une fois installés, les déconvenues continuent. « Nous étions contents d’être, à 22 ans, notre propre patron mais la ferme n’était pas aux normes, les bâtiments vieux de 20 à 40 ans et le matériel ancien. D’où des « imprévus – problèmes sanitaires ou pannes (paillage manuel, entre autres, pour l’instant) – des réparations et de gros investissements » plus tôt qu’anticipé, sources de tensions financières. Sans compter les aléas météo : tempête, inondation, fortes gelées.
Vu les investissements, l’exploitation va coûter 1 M€, pas 540 000 € !
« Nous chiffrerons le tout, après un an d’installation, année qui a paru très longue », précise Brian. « Au lieu de 540 000 € (200 000 € de reprise et le reste en investissements), on aurait pu mettre 1 M€ ! Nous aurions eu une structure fonctionnelle et mieux dimensionnée, avec seulement nos valises à poser pour travailler. C’est finalement le prix auquel l’exploitation va nous revenir alors qu’elle ne les vaut pas. Si on la revend entre 600 000 et 800 000 €, ce sera déjà bien », résume le couple.
Mettre plus cher du départ, et n’avoir que ses valises à poser !
« Autant ne pas se précipiter et bien réfléchir », conseillent-ils encore, estimant s’être installés un peu jeunes, leurs diplômes juste en poche. « Nous avons trop fait confiance, mieux vaut tout mettre par écrit », recommande enfin Brian qui déplore des différends avec le cédant et son manque de soutien. « Il avait levé le pied, niveau investissement et production, et s’opposait à tout changement. »
Tout écrire avec le cédant.
S’adapter face aux difficultés
Face à cette situation, il faut coûte que coûte « rentrer un peu plus d’argent, donc augmenter la production laitière ». Initialement, les vaches ne produisaient que 3 200 l ; en sept mois, les jeunes éleveurs sont montés à 4 500 l. Avec l’inflation des coûts de l’énergie et des matières premières, alors que le prix du lait est en hausse, ils ont arrêté la transformation laitière (50 000 l/an), chronophage et peu rentable, fin août pour vendre toute leur production et projettent de passer de 50 à 80 vaches.
« Petites victoires encourageantes »
Afin de faire des économies, ils reviennent à l’ensilage d’herbe. Ainsi, fini le séchoir en grange en location, très coûteux. Pour apporter davantage d’énergie, ils espèrent replanter une dizaine d’hectares de maïs ensilage, voire une dizaine de prairies temporaires pour y semer peut-être, par la suite, des céréales. Tout ceci dans le but de limiter les variations de stocks selon les années et les achats d’aliments où « passe presque toute la paye de lait ». Si « la Pac permet toujours aux jeunes agriculteurs de retourner les prairies naturelles », s’inquiète le jeune homme.
De 3 200 à 4 500 l en 7 mois !
Quant à s’installer en couple, outre l’avantage de bien se connaître et s’épauler notamment en cas de soucis professionnels, l’absence de « coupure entre vie pro et perso » est parfois « délicate à gérer » pour « ne pas ramener inquiétudes et désaccords à la maison »
On s’installerait quand même, mais différemment.
Brian et Manon sont malgré tout satisfaits des changements qu’ils ont entrepris : « Chaque petite victoire encourage à ne pas baisser les bras, même si par moments, on en a plus qu’assez. » « Être bien accompagnés est essentiel », enchaînent-ils, faisant référence aussi à l’appui familial, que l’éloignement complique, et à l’isolement dans une nouvelle région. « Aujourd’hui, nous ferions sans doute autrement mais on ne dirait pas "on ne s’installe pas" », concluent-ils.
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