Collecte Coup de semonce des producteurs
Cet été, 120 producteurs hauts-normands ont annoncé leur intention de changer d’OP et d’industriel. Ce départ en nombre est une première. Ailleurs aussi, des producteurs bougent. Le recul de la collecte leur donne des opportunités qu’ils n’avaient pas jusque-là.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Choisir sa laiterie, les producteurs laitiers en rêvent depuis des années. La tension sur la collecte leur ouvre cette possibilité. Le changement de vocabulaire des industriels illustre bien cette évolution. Ils ne parlent plus de collecte mais, plus positivement, de ressource laitière. Les derniers chiffres de FranceAgriMer donnent un recul de 2,2 % sur le premier semestre par rapport au premier semestre 2022. Même si la qualité des fourrages récoltés l’an passé et le printemps compliqué sont incriminés, il est d’abord structurel par une décapitalisation du cheptel laitier français. Une enquête d’Innoval (voir aussi notre article) estime un recul de la collecte de 33 % entre 2022 et 2035 sur sa zone (Grand Ouest et nord de la France), soit 2,5 % par an. Dans ce contexte, les entreprises cherchent à sécuriser leur approvisionnement. Dans l’Ouest, ce sont les PME qui l’expriment aujourd’hui le plus clairement et provoquent un mini séisme sur le terrain.
Haute-Normandie
Quitter Eurial Ultra Frais pour Novandie
Cet été, 120 des 217 adhérents (120 Ml) de l’Association des producteurs laitiers normands (APLN), membre de l’OP Oplase, ont annoncé leur intention de rejoindre l’Association des producteurs de lait du bassin Centre (APLBC), connue pour ses contrats tripartites avec la Laiterie Saint-Denis de L’Hôtel (LSDH) et la grande distribution pour le lait UHT. Le 1er janvier 2024, les producteurs hauts-normands quitteront donc le giron de l’Oplase et la collecte d’Eurial Ultra Frais (filiale d’Agrial) pour livrer les usines Novandie de Maromme (Seine-Maritime) et Auneau (Eure-et-Loir).
L’entreprise, filiale du groupe Andros, est spécialisée dans les produits frais à 65 % en MDD. « Fin août, ces 120 adhérents avaient signé une lettre d’engagement. Deux tiers d’entre eux avaient franchi une étape supplémentaire en signant un contrat d’engagement réciproque avec l’APLBC et Novandie, précise Nicolas Fontaine, le président de l’APLN, qui fait partie des signataires. La dernière étape sera la signature d’un contrat d’application individuelle en lien avec le nouveau contrat-cadre entre l’APLBC et Novandie. » L’OP va en effet chambouler son organisation interne en créant une section de producteurs « LSDH – Novandie » (voir l'interview de Jérôme Chapon). Pour Novandie, l’objectif est largement atteint puisque, a minima, il visait le remplacement d’un contrat de 70 à 80 Ml avec Sodiaal qui arrive à échéance le 31 décembre prochain. « Nous ne le reconduisons pas, indique Olivier Rudaux, directeur général de Novandie. Maîtriser l’approvisionnement est stratégique chez Andros. Le groupe a investi dans ce sens pour son activité fruits. Il a décidé de faire de même pour son activité lait.Vu le vieillissement de la pyramide des âges agricole, nous considérons non négligeable le risque d’une ressource laitière insuffisante ces prochaines années. » Ses 280 Ml transformés ne sont assurés aujourd’hui que par 90 Ml en collecte propre dans le nord de la France. Le reste provient de contrats, essentiellement avec Sodiaal. « Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous quittons l’Oplase, intervient Élise Héron, vice-présidente de l’APLN. Signer un contrat-cadre entre l’Oplase et Novandie aurait fragilisé la transparence que développent l’APLBC et LSDH, et qui sera étendue à Novandie. Pour l’APLBC, il n’en était pas question. Si nous ne montions pas dans le train, il passait devant nous. »
Or, après plus de trois ans de négociations et de désaccords entre l’Oplase et Eurial Ultra Frais, la relation étroite entre l’APBLC et LSDH séduit les producteurs normands. « Nous n’avons pas choisi Eurial-Agrial lorsque Senoble a vendu ses usines il y a dix ans. Nous retrouvons aujourd’hui les valeurs de proximité d’une entreprise familiale. Il faut que l’industriel ait envie des producteurs », résume Bertrand Delavoipière, secrétaire de l’APLN. Cette mobilité massive dans un laps de temps aussi court est rendue possible par la signature d’un nouveau contrat-cadre entre l’Oplase et Eurial Ultra Frais le 28 juin dernier. Les adhérents de l’Oplase avaient jusqu’au 1er septembre pour manifester leur volonté de repartir avec la filiale d’Agrial… Ou pas. « Nous espérons que le flou des quatre derniers mois de l’année se gérera en bonne intelligence, en attendant de commencer avec Novandie. »
Bretagne et Pays de la Loire
80 Ml qui changent de mains
Ces départs sont un coup dur pour l’Oplase et Eurial (voir l'interview de Pascal Le Brun, président d'Eurial) qui perdent près de 100 Ml. Éric Lapostolle, qui a choisi de rester à l’Oplase (lire l’encadré ci-dessous), préfère le positiver. « La tension sur la collecte et les opportunités plus nombreuses de changer de laiteries mettent davantage en avant les OP, estime le vice-président de l’Oplase. Les producteurs rallieront celle dont le projet leur apparaît bien construit et durable. » Ils rallieront aussi les entreprises capables de bâtir une relation équilibrée avec eux. Cette analyse ne se cantonne d’ailleurs pas aux seules OP et entreprises privées. Elle concerne également les coopératives.
L’APLBC l’a bien compris. Pour répondre aux besoins de l’agrandissement de l’usine de LSDH à Cholet (Maine-et-Loire), qui débutera au premier trimestre 2024, elle a pris son bâton de pèlerin pour présenter son modèle tripartite à des producteurs des départements de la Sarthe, la Mayenne, la Loire-Atlantique, le Maine-et-Loire ou encore l’Ille-et-Vilaine qu’elle a contactés ou qui l’ont sollicitée. « Nous estimons les besoins du site de Cholet à 100 Ml. Ils intègrent le départ des producteurs que nous collectons et qui sont sans successeur, indique Philippe Leseure, responsable de la collecte de LSDH. Quatre-vingts millions de litres sont contractualisés à ce jour sur les trois prochaines années. Leur arrivée dépend de l’échéance du contrat des 80 à 85 producteurs concernés, mais 50 Ml sont prévus au 1er janvier 2024. » Il s’agit de livreurs de Lactalis en contrat individuel ou en OP, d’adhérents de Sodiaal et d’Eurial, ou encore de livreurs de Savencia.
Manche
5 Ml vers la Creuse
La baisse structurelle de la collecte, qui s’accompagne d’une plus grande mobilité des producteurs, bouscule les grands groupes laitiers, habitués depuis trente ans à l’optimisation de leur collecte par des échanges de livreurs. Ils y répondent pour l’instant par des volumes supplémentaires. Eurial a durci le 1er avril l’allocation provisoire de campagne de 5 % accordée en 2022-2023. Elle fera de même le 1er avril 2024 (voir l'interview de Pascal Le Brun, président d'Eurial). Lactalis et les OP de l’Ouest membres de l’Unell devaient annoncer cet été un nouveau dispositif d’attributions supplémentaires de volume. Le désaccord sur les prix de base du troisième trimestre et l’activation de la clause de sauvegarde contractuelle par l’Unell ont tout suspendu. Quelques mois avant, la menace de ces OP d’organiser la vente de 8 à 10 Ml de fin de campagne sur le marché du lait Spot avait permis d’assouplir la pénalisation par Lactalis des volumes de dépassement. Leurs collègues de la Manche leur ont montré la voie. À l’initiative de la FDSEA 50, ce sont majoritairement des livreurs de Lactalis, bridés par la volonté de maîtrise des volumes du géant mayennais. Leur lait emprunte chaque semaine les routes vers la Creuse pour approvisionner la fromagerie Chavegrand, qui fabrique notamment des pâtes molles. Ces francs-tireurs ont démarré à une vingtaine. Leur nombre a triplé aujourd’hui pour atteindre 4,8 Ml prévus en 2023-2024. « Cela reste localement modeste mais aide certains à gérer leur volume de dépassement contractuel ou leur donne une bouffée d’oxygène », confie l’un des livreurs de Lactalis. Lui a prévu d’engager 10 000 litres cette année. C’était davantage les années précédentes mais des volumes contractuels supplémentaires obtenus début 2023 satisfont sa capacité de production.
Auvergne-Limousin
Tensions exacerbées
Les 500 kilomètres parcourus vers la Creuse rappellent que les tensions sur la collecte de lait conventionnel sont d’abord au sud de la Loire, bien plus touché par le recul de la collecte que l’Ouest. Cette exacerbation donne des leviers de négociation dont la Coopérative de collecte de lait Auvergne- Limousin (Coopal) se saisit actuellement pour trouver un dénouement au contrat de la Société laitière des volcans d’Auvergne (Puy-de-Dôme) qui prendra définitivement fin le 31 décembre 2024. La filiale du groupe coopératif Terra Lacta, spécialisée dans le lait UHT, l’a dénoncé fin 2021. La Coopal ne s’est pas laissée intimider. Elle l’a assignée en justice il y a deux ans pour inapplication contractuelle de la formule de prix. Elle estime aujourd’hui le préjudice à 6 à 7 M€.
Depuis le 1er janvier, elle assure la collecte de 20 Ml sur les 83 Ml que produisent ses adhérents. Au 1er janvier 2024, ce sera la moitié et au 1er janvier 2025 la totalité. De quoi lui fournir des arguments de négociation convaincants.
Éviter le piège d’une guerre entre les OP
Les producteurs de lait français ont davantage de cartes en main pour choisir le débouché de leur lait ou pour négocier des prix liés aux volumes. On ne peut que s’en réjouir. Le risque est que les OP « se piquent » les adhérents entre elles, téléguidées par leurs clients industriels. Ils garderaient indirectement la main sur la ressource laitière. Poplait, l’association qui fédère dix OP de l’Ouest pour 3,3 milliards de litres, avertit de ce danger. « L’objectif des OP est de massifier les producteurs pour rééquilibrer les rapports de force avec les entreprises, pas de créer une concurrence entre elles », rappelle Fabrice Guérin, son président. Poplait a créé en avril la SAS Voie Lactée dont elle est à 100 % actionnaire.
« Sa mission sera de proposer des opportunités de développement et de diversifications durables aux OP à l’échelle d’un territoire », souligne-t-il sans donner pour l’instant plus de détail. « Si chaque OP investit dans un outil de commercialisation, la mutualisation des coûts ne se fera pas et au final, rien n’aura changé dans la filière », poursuit-il. Des responsables de coopératives aux frontières allemande et belge rappellent de leur côté que la collecte de nos voisins, elle, continue de progresser. Leur lait peut à tout moment traverser la frontière hexagonale et amoindrir les marges de manœuvre des producteurs.
En d’autres termes, il faut garder la tête froide et bien réfléchir son projet individuel et collectif.
Pour accéder à l'ensembles nos offres :