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Isola 2000 Notre élevage vit grâce à la station de ski

A Isola 2 000, dans les Alpes-Maritimes, Sylvain, Abigaelle Assmann (salariée) et Jacques Colombero (au fond), Monique Loncle et Jordann (devant) produisent, transforment et vendent 800 à 1000 l de lait par jour.

Au cœur d’un massif montagneux qui ne vit que grâce au tourisme, l’élevage La Vacherie de Chastillon a trouvé sa place et fait vivre huit personnes tout en ajoutant une attraction à la station.

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Imaginez une ferme perchée à 2000 mètres d’altitude, entourée de montagnes et de pistes de ski. Un endroit où la rudesse du climat, la pauvreté des sols et la force du relief interdisent toute culture et même toute fauche. Cette ferme, c’est celle de la Vacherie de Chastillon, à Isola 2 000 dans les Alpes-Maritimes. Son fondateur est un éleveur italien, Jacques Colombero, qui venait là autrefois en transhumance pendant l’été avec ses 150 vaches allaitantes piémontaises. « Dans le Piémont italien, les éleveurs sont nombreux, contrairement à ce que l’on observe côté français, raconte-t-il. Je n’avais que quelques kilomètres à parcourir pour accéder à des alpages bien moins sollicités. »

En 2000, Jacques a rencontré Monique Loncle à Isola 2 000 et l’idée de s’installer là avec elle a germé. Elle était infirmière puéricultrice. Jacques s’est lancé en 2002 avec un troupeau de 16 montbéliardes. « J’étais pluriactive au début, se souvient Monique. J’ai suivi des formations proposées par la chambre d’agriculture et j’ai fait des stages pour apprendre le métier. » La vente l’intéressait et le potentiel de développement grâce à la clientèle touristique était évident. La station revendique le passage de 50 000 personnes durant l’hiver dernier. Le tourisme se développe aussi en été.

© P. Le Cann - Coincée entre la route d’accès, la station et les montagnes, la ferme manque d’espace pour construire.

Une fromagerie et un magasin à la ferme

L’élevage a franchi un cap en 2008 avec la mise aux normes de la fromagerie et du point de vente. Un hangar a été construit pour stocker le fourrage. Le troupeau a alors atteint sa taille actuelle avec une quarantaine de vaches. Jacques a mis au point une conduite du troupeau adaptée au milieu, toujours d’actualité. Il a transmis ses savoirs à Jordann et Sylvain, les fils de Monique.

Pour le logement, il a fallu composer avec le manque d’espace constructible et les contraintes imposées par un hiver long et enneigé. La ferme se trouve coincée entre la route d’accès à la station, un immense parking, une rivière et une piste de course sur glace. L’ensemble du fourrage et du matériel doit être stocké à l’abri. Les vaches restent attachées dans l’étable d’octobre à mars et la traite s’effectue au pot avec un pipeline. Elles sont nourries au foin et à la luzerne. Il faut une heure et demie pour traire et les soins aux animaux exigent beaucoup de travail manuel. Les vaches commencent à sortir mi-mars, dès que la neige a fondu sur le versant sud. Il n’y a pas un brin d’herbe à grignoter à ce stade mais les vaches apprécient le soleil et l’exercice. La détection des chaleurs, compliquée quand les vaches sont attachées, redevient alors possible.

© P. Le Cann - Les 42 vaches montbéliardes, abondances et croisées restent à l’attache pendant cinq mois en hiver. La traite s’effectue au pot avec un lactoduc (232 000 l de lait produit et transformé).

Des pâturages de qualité très variable

Courant mai, le troupeau pâture les parcelles les plus proches et rentre la nuit. Ce n’est qu’en juin que démarre vraiment la saison de pâturage. Les éleveurs disposent de 400 ha de prés communaux qui comprennent aussi des bois ou des roches. Ils signent une convention de pâturage avec Isola pour un coût de 8 000 €/an. Les vaches partent au maximum à 5 km de l’exploitation et naviguent entre 1 700 et 2 500 m d’altitude. Une salle de traite mobile est donc indispensable. Il faut alors gérer les zones de pâturage en fonction de l’herbe disponible mais aussi des accès par la route pour la traite. Plus les lactations avancent, et plus la production peine à repartir si le troupeau reste un peu trop longtemps sur une parcelle. La qualité de l’herbe varie beaucoup. Très riche en azote soluble au printemps, elle devient sèche mais riche en protéine en automne. Ces fluctuations ont un impact sur la composition du lait et donc sur sa qualité fromagère. « Ici, on est sur de la roche et les pâturages sont maigres », souligne Jacques. Une auge installée sur la salle de traite mobile permet d’apporter une complémentation à base de granulés à 17 % de MAT. Le lait est stocké dans une citerne qu’il faut rapporter à la ferme et laver à chaque traite.

La saison de pâturage se termine sur les parcelles les plus proches pour que les vaches puissent s’abriter la nuit avant les premières gelées début octobre. La rentrée pour l’hiver s’effectue durant la seconde quinzaine d’octobre. Les génisses valorisent des pâturages situés dans le parc national du Mercantour à une demi-journée de marche. Un neveu de Jacques se rend disponible pour aller les voir tous les jours. Là, ce ne sont pas les touristes mais les écologistes qui dictent leur loi. Un raisonnement radicalement différent auquel les éleveurs s’adaptent.

© P. Le Cann - Dès que la neige a fondu sur le versant sud (mi-mars), les vaches commencent à sortir en semaine pour se dégourdir les pattes. Il y a trop de monde sur la route le week-end pour envisager de la traverser. Elles exploitent aussi les prés communaux.

300 tonnes de fourrages achetés

Cette pauvreté fourragère se combine à la pente pour empêcher toute fauche. Les éleveurs doivent acheter les 300 t de fourrages nécessaires en hiver. Soucieux de la qualité fromagère du lait, ils achètent du foin de Crau labellisé de première ou deuxième coupe à environ 300 €/t, livré. Jacques et Monique se sont déplacés dans cette plaine des Bouches-du-Rhône et ont conclu un accord avec un producteur. Ils ont ainsi sécurisé les approvisionnements et une certaine stabilité du prix.

En moyenne, ce sont 800 à 1 000 l de lait qui sont transformés tous les jours. Jordann s’est pris de passion pour cette activité. Dans cette région dépourvue d’IGP, il fabrique en fonction de la saison. « En hiver, les gens recherchent surtout des fromages de type raclette et fondue. En été, ils se tournent vers la dégustation. » Il élabore des tomes, des pâtes pressées cuites ou encore des pâtes molles. Une partie du lait est transformée en yaourt.

Un point de vente a d’abord été créé à la ferme puis un deuxième au cœur de la station. Commerçante dans l’âme, Monique a diversifié la gamme de produits pour satisfaire une clientèle exigeante. Elle s’est rapprochée de divers producteurs en France et en Italie. Le magasin propose donc des fromages de chèvre, de la charcuterie, du miel, des confitures, etc.

© P. Le Cann - Jordann se passionne pour la fabrication des fromages et a élaboré une gamme diversifiée.

La station grignote l’espace

Les éleveurs apprécient la richesse de ces contacts avec les clients. « On voit beaucoup de monde, mais c’est parfois épuisant. J’ai l’impression de me reposer quand je viens soigner les bêtes », témoigne Jordann. Cette dynamique a pesé dans son choix d’intégrer le Gaec mais il est conscient de sa dépendance vis-à-vis de la station. « Elle nous fait vivre, mais elle peut aussi nous tuer. » Il rappelle que Jacques pouvait nourrir 150 vaches ici contre seulement une quarantaine aujourd’hui. Isola 2 000 crée parfois de nouvelles pistes et mise aussi sur le tourisme d’été en aménageant des sentiers de VTT ou d’autres équipements de ce type qui viennent tous grignoter l’espace des vaches. La cohabitation avec des touristes ignorant tout de l’agriculture n’est pas toujours simple. Le développement immobilier pèse aussi sur la pérennité de l’élevage.

Les soins aux animaux, la fabrication et surtout la vente des produits prennent énormément de temps. Cinq salariés, dont Sylvain, travaillent à La Vacherie. La plupart sont polyvalents. La charge de travail faiblit un peu en automne et au printemps ce qui permet aux associés de prendre des vacances.

© P.Le Cann - 30 000 t de fromages sont fabriqués et affinés chaque année. La cave a besoin d’être agrandie.

Les effluents, un vrai problème

Les deux frères réfléchissent à l’avenir. Accroître la taille du troupeau n’est pas une option, faute de place. Aménager une stabulation libre permettrait d’améliorer le bien-être des animaux et faciliterait la détection des chaleurs. Sylvain pense aussi que ce système favoriserait la productivité des vaches et améliorerait les conditions de travail. Cela suppose de construire une salle de traite. L’agrandissement de la fromagerie, de la cave et du point de vente est également à prévoir. Jordann aimerait avoir plus de lait et plus de place pour pouvoir affiner certains de ses fromages plus longtemps.

Le projet mûrit mais bute encore sur le manque de surface constructible et sur la gestion des effluents, un vrai problème ici. Actuellement, le fumier est raclé derrière les vaches en hiver et stocké dehors. Une bonne partie est vendue à des viticulteurs du Var. Le reste est épandu sur les pistes qui viennent d’être créées ou refaites. « Cela permet d’apporter de la matière organique et des graines pour enrichir la flore », précise Sylvain. Mais l’épandage est compliqué à cause des pentes et des drains qui sillonnent les pistes. Ils utilisent un tracteur et un épandeur mais ne peuvent pas passer partout. Jacques pense investir dans un engin forestier polyvalent avec double pont et un plateau pouvant benner des deux côtés pour faciliter les épandages.

Gérer du lisier est impossible. En stabulation libre, il faudrait donc pailler les aires d’exercice pour obtenir un fumier mou. Les deux frères s’interrogent aussi sur l’opportunité d’installer un méthaniseur qui produirait un effluent solide. Rien n’est encore décidé mais d’une manière ou d’une autre, tous deux souhaitent poursuivre l’activité de La Vacherie.

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