Vingt-ans après « Je continue à miser sur l’herbe, et ça marche »
Quarante ans après son installation, Joël Quéré aime toujours son métier. Il est fier de l’outil qu’il transmet à sa fille, fier aussi de son parcours qui lui a permis de rester fidèle à ses valeurs en gagnant sa vie sans s’épuiser.
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Quand nous avons rencontré Joël Quéré en 2004, il était installé à Spézet (Finistère) depuis vingt ans. En Gaec avec sa femme Sylvie et son beau-frère Olivier Guyomarc’h, il produisait 350 000 l de lait sur 80 ha avec 55 vaches pie rouge des plaines. En deux décennies, son système de production avait déjà beaucoup évolué.
« Je veux vivre de mon travail mais aussi me faire plaisir », disait-il. À 245 m d’altitude dans les Montagnes Noires, il s’était aperçu que le système dominant qu’il avait adopté, à base de maïs, n’était pas le plus pertinent. Sur ces terres froides et caillouteuses, il récoltait en moyenne 9 t de MS d’ensilage de maïs. La productivité des prairies atteignait quasiment le même niveau.
Et puis déjà, la faiblesse du prix du lait l’incitait à chercher des pistes pour maintenir son revenu dans la durée. Joël avait donc décidé de diminuer la surface en maïs au profit de l’herbe et de travailler sur la réduction des charges opérationnelles. « Je ne voulais pas m’engager à toujours m’agrandir, au risque de déstructurer le parcellaire. » Joël avait signé un CTE. Il avait réalisé des travaux et s’était équipé pour faciliter le travail. « Je crois qu’il est essentiel de s’organiser pour ne pas être débordé. Je veux avoir le temps de me former et de m’informer pour être capable d’anticiper afin de ne pas subir les crises. » Néanmoins, l’éleveur pensait que sa stratégie de réduction des coûts toucherait un jour une limite.
Passage en tout herbe et en bio
Vingt ans après, il est toujours en activité avec ses deux associés et sa fille Maëva les a rejoints en 2019. Il a poussé jusqu’au bout sa logique et l’élevage est passé en tout herbe puis en bio. La surface est montée à 105 ha, avec un îlot de 20 ha loués à 5 km. Cet agrandissement s’imposait pour respecter les contraintes du bio. Le troupeau compte 85 vaches et produit 500 000 l livrés à Sodiaal.
« Nous avons toujours voulu rester au forfait mais le passage en bio risquait de nous faire basculer au réel. Puisque notre fille était intéressée par l’élevage, nous avons réalisé la conversion au moment de son installation ce qui nous a permis de rester au microbénéfice agricole », raconte Joël.
Le maïs a disparu de l’assolement au moment du passage en bio. Les éleveurs ont étudié plusieurs pistes pour l’alimentation hivernale. Le méteil leur semblait gourmand en travail pour des résultats aléatoires. Le maintien du maïs impliquait de réaliser des désherbages mécaniques et les ETA de la région n’étaient pas équipées. Investir seul n’était pas rentable. « Nous avons choisi le tout herbe et nous nous sommes équipés pour la fauche et la récolte en enrubannage. »
De cette manière, avec un maximum de pâturage, la ration est équilibrée toute l’année et aucune complémentation n’est nécessaire. L’élevage n’achète rien pour nourrir les animaux. Mais il faut réussir à produire du lait. Une baisse de production avait été anticipée au moment de la conversion mais finalement, le niveau est resté autour de 6 000 l de lait vendus par vache.
Une ration de qualité pour rester productif
Pour y parvenir, Joël mise sur une herbe de qualité. Les prairies sont toutes ensemencées en RGA-TB. Il gère les fauches de façon à favoriser des repousses. Grâce à l’enrubannage, il est possible de récolter et de stocker de petits volumes et d’être très réactifs pour intervenir au stade optimum. Le printemps est de ce fait une période exigeante en travail mais le jeu en vaut la chandelle. Les prairies ne sont plus refaites. Les plus vieilles ont presque dix ans et produisent autant que les autres. La flore observée reste intéressante.
Le troupeau accède à toutes les pâtures sans traverser de route et via des chemins privés. Une seule personne peut donc gérer les déplacements. Un boviduc et un chemin bétonné de 1,5 km ont été aménagés dans ce but. Le déprimage démarre fin janvier et deux mois plus tard, les vaches sont dehors nuit et jour. Quand la pousse faiblit en été, elles reçoivent de l’enrubanné en complément. Le système tout herbe apporte de la souplesse car il n’y a pas de transition alimentaire à gérer. La rentrée s’effectue mi-décembre. Le temps de présence dans le bâtiment est donc très réduit. Le lisier est épandu sur les pâtures quand le fumier, composté, est destiné aux prairies de fauche.
Croisement trois voies
Le troupeau a changé aussi. Les éleveurs se sont lancés dans le croisement en 2010, après un voyage en Irlande. Ils y ont vu le moyen d’améliorer la rusticité et les taux. Il s’agit d’un croisement trois voies reposant sur la pie rouge, la rouge scandinave et la montbéliarde. Un taureau croisé de l’élevage s’occupe des génisses mais les vaches sont inséminées. Tout le troupeau est désormais en trois voies et Joël est satisfait. La plus-value due à la composition du lait tourne entre 50 et 55 €/1 000 l avec des taux moyens à 44,3 pour le TB et 34,3 pour le TP. Les réformes sont bien valorisées avec des poids de carcasse à 420 kg de moyenne pour le dernier lot vendu.
Ce système très économe donne de bons résultats. Les frais vétérinaires se réduisent à 5 €/1 000 l en moyenne. Les éleveurs ont recours à l’homéopathie pour l’essentiel. Cinq vaches ont reçu des antibiotiques l’an dernier pour soigner des mammites. Le troupeau est un peu touché par la Mortellaro. Il n’y a pas de problèmes métaboliques.
« J’ai suivi la même logique tout au long de ma carrière et j’ai atteint l’objectif de dégager du revenu avec une charge de travail maîtrisée », raconte Joël. En termes de produits, l’élevage se classe dans la bonne moyenne du groupe bio de Cogedis à 517 €/1 000 l. Et il se place dans les meilleurs en charges opérationnelles à 68 €/1 000 l contre 164 € pour la moyenne. Le coût alimentaire se situe autour de 10 €/1 000 l et le rapport EBE/produits s’établit à 62 %.
Quatre bons revenus avec 85 vaches
Joël est assez fier de constater que quatre personnes dégagent un revenu confortable avec 85 vaches. Le travail sur la maîtrise des charges et le maintien d’un bon niveau de production grâce à une alimentation de qualité est payant. « Bien sûr, notre système est très dépendant de la météo, mais il est moins sensible aux aléas de la conjoncture », analyse Joël. Son mode de production respecte l’environnement et se trouve en phase avec les attentes sociétales, des qualités importantes pour Joël.
Les associés prennent trois semaines de vacances par an et un week-end sur deux en été. Ils ne sont jamais débordés par le travail et aiment ce qu’ils font. L’astreinte se limite à quatre heures par jour en hiver. La situation financière est saine. Il reste 20 000 € d’annuités sur deux ans, puis 5 000 € sur les deux années suivantes.
Même s’ils trouvent toujours autant d’intérêt à leur métier, Joël et Sylvie commencent à penser à la retraite, prévue dans trois ans. Ils envisagent de passer le flambeau progressivement pour simplifier la reprise, aussi bien sur le plan financier que du travail. Le capital est limité, ce qui va faciliter la transmission.
Olivier et Maëva ne souhaitent pas chercher un nouvel associé ou un salarié, ils vont poursuivre tous les deux. Ils réfléchissent à un passage à la monotraite pour réduire la charge de travail. L’élevage devrait pouvoir augmenter sa surface accessible de 10 ha l’an prochain, ce qui confortera son système.
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