L’exploitation « À plusieurs, on peut investir et prendre le temps de vivre »
De la ferme livrant 300 000 litres il y a trente ans au Gaec à cinq associés pour 250 vaches aujourd’hui, le fil conducteur réside dans la motivation des hommes pour travailler ensemble à la construction d’un outil solide et rentable.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
La passion est essentielle mais ne suffit pas. Faire vivre un projet à plusieurs s’avère extrêmement motivant. Et c’est un soutien précieux dans les périodes de crise. » Ainsi parle Pascal Jouanny, l’un des premiers associés du Gaec des Landelles, situé à Plaine-Haute dans les Côtes-d’Armor. Cette philosophie est dans l’ADN de ces éleveurs.
L’histoire du Gaec commence en 1989, lorsqu’Olivier Jouanny rejoint ses parents sur l’exploitation pour produire 400 000 litres de lait. La dernière étape est l’arrivée de Yann en 2016, qui a permis de monter à 2,29 Ml livrés avec cinq associés et 250 vaches.
Entre-temps, la logique des associés a toujours été d’anticiper les évolutions pour se donner des perspectives. Pascal a rejoint son frère Olivier en 1990, quand leur père est parti. Pierre Rouault, un cousin, est arrivé en 1999, alors que leur mère partait à la retraite. Déjà installé sur une commune voisine, Pierre avait ses bâtiments en plein bourg. Associé avec sa mère qui prenait, elle aussi, sa retraite, il a trouvé dans cette nouvelle organisation le moyen de rebondir.
« Associer des projets complémentaires »
En 2006, le bâtiment est saturé et amorti. « On parlait de la fin des quotas. L’agrandissement nous semblait une évolution pertinente », précise Pierre. À 7 km de là, Denis Gourio avait un projet d’installation seul avec 320 000 litres de lait sur 80 ha. Il lui fallait construire à neuf. Son entrée dans le Gaec permettait d’envisager un doublement du bâtiment. En concrétisant ce projet, le Gaec des Landelles a franchi le cap des 1,2 Ml de lait avec quatre associés et 150 vaches. Autre voisin installé en individuel, Thierry Oger est venu terminer sa carrière dans le Gaec entre 2011 et 2015. Fatigué de travailler seul, il ne voulait plus traire. Le Gaec visait la saturation de son bâtiment. Les objectifs s’accordaient. Et en 2016, c’est un autre voisin, Yann Loyer, qui a rejoint l’équipe. Ses parents partaient à la retraite et il ne souhaitait pas produire seul 450 000 litres. Le Gaec venait d’investir dans une salle de traite rotative et pouvait donc traire davantage.
À chaque étape, l’exploitation a acquis de nouveaux bâtiments. C’est sur le site des Landelles que s’est concentré le troupeau des laitières, les autres structures accueillant surtout des génisses. Une étable de 88 places et une salle de traite 2 x 8 TPA construites en 1994 ont servi de point de départ. Le pâturage a été abandonné à cette époque, faute d’une surface proche suffisante, mais aussi pour simplifier le travail. Par la suite, le bâtiment a été élargi et allongé plusieurs fois. Mais il fonctionne bien. La salle de traite est arrivée à saturation petit à petit. En 2015, Pierre et Denis y consacraient respectivement quatre heures le matin et trois le soir. Il fallait investir. La réflexion a duré quatre ans. Cela illustre les particularités de la prise de décision dans ce type de structure. « On tranche quand tout le monde est d’accord. Il faut convaincre, et cela prend parfois du temps », raconte Pierre. Le robot a vite été écarté : trop cher, trop contraignant. Entre la salle de traite classique et le roto, c’est ce dernier qui l’a emporté, malgré son coût et son encombrement. Il semblait plus évolutif. Les associés ont choisi un modèle de 50 places. La traite se fait à deux. L’un prépare et l’autre branche. Un robot s’occupe du post-trempage. « C’est plus cher, mais cela évite d’avoir un troisième poste de travail à la traite. » L’installation fonctionne depuis octobre 2015 et donne pleinement satisfaction.
« Le roto consomme énormément d’eau »
Il s’agit du dernier gros investissement réalisé par le Gaec. Il a fallu casser, et donc reconstruire, un silo et une nurserie pour faire de la place au roto. Au total, avec quelques aménagements et le bitumage de l’extérieur, le Gaec a investi 1,2 M€ dans ce projet. Mais il lui donne des perspectives. Cinquante vaches supplémentaires ne rallongeraient le temps de traite que de quinze minutes. Cependant, cet investissement en commande un autre. Les associés ont été surpris par la consommation d’eau du bloc de traite : 6 m3/jour. Le surcoût d’épandage est évalué à 6 000 €/an, ce qui justifie d’investir dans une station de traitement. « On profite de ces travaux pour aménager vingt-cinq logettes à la place de la salle de traite. » Au total, ce sont 50 000 € qui seront bientôt investis. Dans le fonctionnement de l’exploitation, les associés ont toujours recherché une conduite économe mais performante. Ils se sont adaptés à la croissance avec toujours un maître mot : la simplicité. Ils s’entourent de partenaires pour progresser. Ainsi, ils travaillent avec un cabinet de conseil en cultures, Agritech. Cela les a aidés à faire évoluer leurs pratiques pour réduire les intrants sans perdre en rendements. Ils passent par un groupement d’achat pour réduire les prix. En lien avec BCEL Ouest, ils ont simplifié la ration et diminué son coût (voir infographie). Elle se compose au quotidien de 9 t de maïs brut, 3 t d’ensilage d’herbe (coupe fine), 450 kg de tourteau de colza, du minéral et parfois de l’urée, selon la composition du maïs. Un supplément de tourteau de colza est apporté au Dac.
« Diviser le troupeau en lots serait plus compliqué »
Le troupeau a grandi progressivement et les éleveurs n’ont jamais été tentés par la conduite en lots. Le bâtiment le permettrait mais ce serait plus compliqué pour la traite. La préparation et la distribution demanderaient aussi davantage de temps.
« Avec 250 vaches, on est dans un suivi global », précise Yann, qui reconnaît néanmoins chaque vache. L’effectif rend nécessaires les outils de monitoring et des logiciels. Les laitières ont une boucle d’identification et un collier qui mesure leur activité afin d’aider à la détection des chaleurs. Le parage et les échographies sont systématiques.
Le système est rodé et la production s’élève à 9 096 litres livrés/vache. Les performances de santé et de reproduction sont correctes : 45,8 % de réussite en première IA (42 % pour le groupe de référence), 84,4 % de taux cellulaires inférieurs à 300 000 (contre 81,9 %) et 67 € de frais vétérinaires par vache (contre 104 €). Aujourd’hui, les associés ont entre 42 et 54 ans. Ils font une pause dans la croissance, le temps de digérer les derniers investissements. L’élevage a une autorisation administrative pour 320 vaches. Le bâtiment comptera bientôt 266 logettes et 300 m² d’aire paillée, pour une moyenne de 215 à 230 vaches traites. Le roto peut traire 500 vaches. Mais un nouvel agrandissement ne se fera pas à main-d’œuvre constante. « On trait 50 vaches de plus sans problème. Mais le temps consacré aux soins des animaux augmente avec l’effectif », prévient Denis. Pierre pense qu’il faut continuer à aller de l’avant, rester à l’affût des opportunités. Quant à Pascal, il constate que si leur Gaec a doublé en peu de temps, le rythme de croissance s’est accéléré aussi sur les élevages de la région. Olivier reste vigilant sur la rentabilité, insistant sur le fait qu’il « ne travaille pas pour la gloire ». Dans leur réflexion, les éleveurs sont également attentifs à la perception de l’entourage. Leur élevage ne cadre pas avec les images d’Épinal des citadins. Et pourtant. « On a fait une porte ouverte l’été dernier. Il faisait très chaud. Les gens ont été surpris de voir qu’ils se trouvaient mieux à l’intérieur que dehors. Ils ont bien compris que c’était pareil pour les vaches », se souvient Yann.
Pascale Le CannPour accéder à l'ensembles nos offres :