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« JE PASSE DE 780 000 LITRES LIVRÉS À 250 000 LITRES TRANSFORMÉS »

PHOTOS © J.P.

À rebours d'une stratégie d'agrandissement et d'économies d'échelle, Yves de Fromentel fait le pari de baisser sa production pour la valoriser en circuits courts et fait appel à des financements participatifs pour concrétiser son projet.

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LORSQU'IL S'INSTALLE EN 1993 À PÉCY, EN SEINE-ET-MARNE, SUR L'EXPLOITATION FAMILIALE, Yves de Fromentel prend la tête d'une structure en polyculture-élevage de 240 ha (dont 70 ha d'herbe dans l'Yonne) avec un troupeau de 85 vaches holsteins, à 9 200 kg de lait. Situé dans la zone AOC brie de Meaux et de Melun, il bénéficie de terres profondes à fort potentiel agronomique. Depuis 1986 et l'installation par son père d'une unité de séchage en grange, d'une capacité de 430 tonnes dédiée au foin de luzerne, les laitières sont conduites en ration sèche : foin séché au sol à volonté + luzerne brin long séchée en grange + concentrés à l'auge. L'intégralité de la référence, soit 780 000 litres de lait, est livrée à la Société fromagère de la Brie. « Jusqu'en 2007, j'ai pu tirer profit de la ration sèche qui m'a permis de négocier directement auprès de ma laiterie une prime de 30 €/1 000 litres,la qualité du lait livré lui constituant son fond de cuve pour la fabrication du brie de Melun », explique Yves.

Mais 2007 sonne l'heure du départ de son vacher. Or, dans une région céréalière, en l'absence d'un service de remplacement suffisamment structuré, ce salarié était le relais indispensable d'un éleveur impliqué pendant quinze ans dans des responsabilités professionnelles (président du syndicat des producteurs de lait, élu à la chambre d'agriculture, administrateur FNPL).

« JE VALORISE L'EXISTANT POUR RETROUVER LE VRAI SENS DE MON MÉTIER »

Par la suite, pas moins de douze vachers se sont succédé en six ans ! « Je n'ai pas retrouvé de salarié aussi compétent et rigoureux. J'en suis sûrement responsable, j'ai dû pécher par naïveté dans mon mode de management. Cela m'a coûté très cher. » Conséquences : chute de la production jusqu'à 7 500 kg/VL, recul des résultats de reproduction, flambée de cellules entraînant la perte de la prime de 30 € et dégradation globale de la rentabilité de l'atelier. Face à cette difficulté à trouver de la main-d'oeuvre en élevage et d'assurer en même temps le suivi des cultures, ressurgit l'idée de chercher de la rentabilité et une meilleure qualité de vie à travers le bio et la vente directe. « Au lieu d'investir dans la mécanisation pour relancer la productivité du troupeau, j'ai choisi d'investir pour valoriser l'existant et retrouver le vrai sens de mon métier, qui consiste à nourrir les gens sainement, à entretenir les paysages et à créer de l'activité en milieu rural. »

« UN COÛT DE PRODUCTION DE 450 €/1 000 LITRES, SANS PLUS-VALUE BIO »

La conversion à l'agriculture bio est initiée en septembre 2009. Techniquement, l'adaptation du système tout foin 100 % autonome se passe sans réelle difficulté. La complémentation avec du maïs inerté et des mélanges céréaliers orge, avoine et pois autoproduits maintient un niveau d'étable de 6 500 kg/VL. Mais ce système génère un coût de production autour de 450 €/1 000 litres, avec notamment un coût de main-d'oeuvre et de SFP élevé lié à la récolte du foin en bottes dans l'Yonne. Économiquement, sachant que le lait est valorisé au prix conventionnel, ça ne passe pas ! Or, dans le même temps, la demande de prêt à la banque et de subvention au Conseil régional pour un investissement de 120 000 € (atelier de transformation, matériel de culture spécifique bio, assainissement, véhicule frigorifique) est refusée. Motif : des retards de paiements à la MSA, un atelier lait déficitaire au cours des deux dernières années, un endettement élevé consécutif à des investissements pour la mise aux normes (120 000 €) et pour l'installation de panneaux photovoltaïques (1 100 m2 de panneaux pour 482 000 €, sur un hangar de 148 000 €).

Mais Yves de Fromentel ne manque ni de ressources ni d'abnégation pour passer le cap d'une transition difficile qui intervient après plusieurs campagnes déficitaires : « En 2013, j'ai embauché une jeune ingénieur, qui a exploré diverses sources de financement possibles. » Elle a fait connaître le projet dans les réseaux Biocoop et sollicité des fonds auprès de structures de financements participatifs. Ainsi, 30 000 € sont récoltés grâce à l'appel aux dons sur le site de crowdfunding MyMajorCompany. La bourse à projet Cigales(1) est aussi sollicitée : « Il s'agit d'investisseurs solidaires qui prennent des parts dans notre société La Fromentellerie (2). C'est un placement défiscalisé dont les parts sont remboursées au bout de cinq ans. » Une douzaine de « cigales » devrait ainsi apporter 15 000 € de fonds complémentaires. La même démarche est entreprise auprès de la société de financement solidaire Garrigue pour un prêt court terme de 70 000 € (5 % au capital de la Fromentellerie et le reste est placé sur le compte courant rémunéré à 6 % pendant 5 ans). Parallèlement, les 70 ha d'herbe de l'Yonne seront vendus pour redresser financièrement l'exploitation. L'objectif est de réduire progressivement la production à 250 000 litres avec 55 vaches en monotraite à 4 500 litres, « le juste équilibre agronomique pour fertiliser [ses] 170 ha. »

Le permis de construire de La Fromentellerie est désormais acquis et les premiers produits attendus vers juillet. Au menu, fromage blanc, crème, beurre, tomme et coulommiers. D'ores et déjà, 1 500 litres/semaine sont livrés avec une boule à lait à la fromagerie de Sigy. Cette petite entreprise artisanale seine-et-marnaise, spécialisée dans la production de yaourts, peut s'appuyer sur la mise en place de la structure économique Fermes bio d'Île-de-France mise en place par le Groupement des agriculteurs biologiques, pour écouler des produits locaux dans la restauration collective et dans les réseaux Biocoop et Naturalia.

« PROFITER D'UN BASSIN DE 12 MILLIONS DE CONSOMMATEURS »

« L'objectif est de valoriser 50 % de la production à la ferme au prix de 0,75 €/litre et 50 % dans la filière régionale à 0,60 €. Je souhaite aussi profiter de ma situation géographique, au coeur d'un bassin de consommation de 12 millions d'habitants, pour développer toute une palette de produits de la ferme, en faisant une place pour l'installation de mon fils, et sans exclure une association avec un boulanger ou un maraîcher. À travers ce projet, j'essaie de démontrer qu'un retour à la paysannerie est possible et que des céréaliers peuvent remettre de l'élevage en route en région. »

Le département ne compte actuellement que trois éleveurs bio, mais la forte demande en produits locaux laisse entrevoir la possibilité d'organiser une filière de produits frais via la SA Biolait, à condition d'enregistrer de nouvelles conversions pour une collecte de 1,2 million de litres au minimum.

JÉRÔME PEZON

(1) Club d'investisseurs pour une gestion alternative et locale de l'épargne solidaire.(2) Compte Facebook La Fromentellerie.

La stabulation libre a une capacité de 95 places et une salle de traite 2 x 5. La production d'un fumier pailleux, stocké sous fumière couverte, est un élément essentiel de l'équilibre agronomique de l'exploitation.

Attenante au château de Beaulieu, dont la famille est propriétaire, l'exploitation offre un cadre admirable pour développer l'accueil et la vente directe au coeur d'un département qui ne compte actuellement que trois éleveurs bio.

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