La conversion en agriculture biologique est une piste intéressante pour améliorer la valorisation des produits. Elle nécessite à la fois une solide motivation et une étude d'impact approfondie, car les implications sont importantes aussi bien sur le système de production que sur la répartition des charges.
LE MARCHÉ FRANÇAIS DES PRODUITS BIO A CONNU UN ESSOR SANS PRÉCÉDENT. Le Grenelle de l'environnement et le plan de développement de l'agriculture biologique Horizon 2012 ont contribué à cet envol. Aujourd'hui, de plus en plus d'éleveurs se posent la question de savoir si ce n'est pas le moment de se convertir. Le contexte difficile qu'ils connaissent depuis plus de deux ans les rend perplexes face à une filière bio qui maîtrise mieux son prix de vente. Attention toutefois, car les modes de production sont différents et les contraintes en mécanisation et main-d'oeuvre sont plus fortes en bio. Pour se convertir, il faut avant tout avoir la motivation et être près des valeurs de l'agriculture bio. Les exploitations qui, sur le plan technique, sont déjà proches du cahier des charges bio auront une conversion plus facile. La principale difficulté sera d'admettre la baisse de productivité des vaches et celle du rendement des cultures, ou encore de bannir certaines pratiques. Des convictions personnelles fortes et une bonne technicité permettront d'intégrer ce nouvel environnement professionnel. Les études Cogedis sur la comparaison entre les exploitations de lait conventionnel et de bio montrent que ces dernières dégagent de meilleures marges brutes mais ont des charges de structure plus élevées. En effet, pour produire 1 l de lait bio, il leur faut proportionnellement plus de vaches et donc plus de surfaces, de bâtiments, de matériel…
L'étude d'impact de la conversion est obligatoire pour construire son projet. Ce diagnostic permettra d'analyser la situation de l'exploitation et de mettre en avant le chemin à parcourir. Il faut détailler le projet pour pouvoir le chiffrer. Chaque exploitation doit évaluer ses propres atouts et contraintes avant de se convertir.
La situation de départ
- M. Lelait exploite une ferme de 315 000 l de lait avec 45 vaches laitières et la suite.
- Il souhaite convertir son élevage en bio.
- Son système de production actuel lui permet sans trop de contraintes de changer son assolement et ses pratiques. Il agrandit son bâtiment pour loger les vaches supplémentaires.
- M. Lelait se demande si son élevage sera rentable après sa conversion en bio.
Le commentaire de l'expert
« La conversion de l'élevage en bio va avoir un impact sur le système global de production. En effet, la production par vache va être proche des références du système extensif avec une production de 5 800 l (moyenne économique). Pour maintenir un produit du même niveau qu'en conventionnel, il faut prévoir une augmentation du nombre de vaches et, par conséquent, son renouvellement. Attention à vérifier à la possibilité de les loger ! Le deuxième point concerne l'assolement qui va être composé de plus d'herbe et moins de maïs. Avec la réglementation sur l'agriculture biologique, au moins 50 % de la ration annuelle doit être constituée d'aliments produits sur l'exploitation et doit reposer sur une utilisation maximale des pâturages. La clé de la réussite de la conversion sera dans la rotation des cultures, qui permettra de gérer la fertilité des sols et la maîtrise des adventices, des maladies et des ravageurs. Pour gérer au mieux sa rotation, M. Lelait va intégrer de la féverole qui, comme le pois, est riche en protéines et en amidon, ce qui en fait un aliment intéressant pour la nutrition des animaux. De plus, l'introduction de légumineuses dans la rotation permet la fixation de l'azote. Au final, il faut s'attendre à une diminution des rendements qui peut atteindre 50 %. Dans le cas de M. Lelait, il faudra qu'il investisse dans une herse étrille afin de réaliser le désherbage mécanique. »
Le commentaire de l'expert
« L'incidence économique est calculée avec des hypothèses moyennes qui ont pour but de vérifier la rentabilité future du projet. La phase délicate de ce projet est la période de conversion. Pendant cette transition, M. Lelait est obligé de produire suivant le mode de production du bio sans bénéficier de l'avantage de la meilleure valorisation. Il va produire moins de lait et avoir des rendements en cultures de vente inférieurs. Il s'agit d'une période d'investissements : agrandissement du bâtiment pour loger les vaches supplémentaires, implantation des pâtures et achat de matériel. Ensuite, l'augmentation progressive de la part d'herbe dans son assolement lui retire petit à petit des surfaces de vente, mais pour ses 25 ha restants, il les valorise mieux car il les vend en bio. Lorsque M. Lelait produira bio et qu'il pourra commercialiser ses produits en tant que tels, la situation sera différente. En période de croisière, les résultats seront meilleurs, car M. Lelait aura une marge brute lait plus élevée de 88,60 €/1 000 l et une variation de trésorerie de 13 850 €. Cependant, avec un litrage produit inférieur, le niveau des charges de structure en fonction du litrage sera plus important et, par conséquent, le coût de production augmentera. Dans le cas de M. Lelait, cette hausse des charges de structure est de 13,90 €/1 000 l par rapport à la période en conventionnel. De façon globale, M. Lelait mettra environ cinq à six ans pour atteindre l'équilibre financier dans son projet. »
Les calculs ci-dessous sont indicatifs et à titre d'exemple. Ils ne doivent pas être interprétés de manière générale, conduisant à des conclusions définitives sur l'impact économique d'un changement de système.
Le commentaire de l'expert
« En terme de trésorerie, après la période de conversion, l'avantage économique est en faveur de la production biologique. Ce gain dépend à la fois du différentiel entre le prix du lait conventionnel et celui du lait bio mais également des aides au soutien à l'agriculture biologique. Il faut être prudent car nous n'avons aucune visibilité à long terme sur l'évolution de ces deux critères. Cette matrice de gain permet d'envisager plusieurs hypothèses. Le facteur le plus influent est le prix de vente. Si le différentiel est uniquement de 20 €/1 000 l, situation qui a déjà existé, l'intérêt est moindre, sachant que cette simulation n'intègre pas le temps supplémentaire que M. Lelait devra passer pour produire suivant le cahier des charges biologique. En moyenne, pour une production de 330 000 l, il faut 0,25 UTH supplémentaire.
Le commentaire de l'expert
« Avec le passage en bio, M. Lelait n'atteindra pas son quota. En effet, avec la baisse de productivité par vache, il doit augmenter son cheptel pour atteindre le même niveau. Les conséquences économiques sont importantes. M. Lelait était déjà en sous-réalisation de 6 180 l en conventionnel, mais cela s'aggrave en bio pour atteindre 33 910 l. Globalement, le manque à gagner se situe à près de 12 000 €. L'objectif est de réaliser la totalité de son quota. Si M. Lelait atteint la livraison optimale, cela va lui permettre de diluer les charges de structure sur un lettrage plus conséquent. A contrario, en restant durant plusieurs campagnes en sous-réalisation, il risque d'être pénalisé par une diminution du quota. »
« Le contexte est favorable, mais reste incertain »
« Avant de se lancer dans la conversion de son élevage en biologique, il faut bien réfléchir à son projet et être motivé par ce type de pratique plus exigeant techniquement et en temps de travail. Il faut tenir compte aussi du potentiel agronomique et pédoclimatique de l'exploitation, en particulier de l'exposition au risque de sécheresse. Le marché croît depuis plusieurs années, ce qui permet des opportunités économiques. Le Grenelle de l'environnement donne un nouvel élan à la filière bio en fixant des objectifs de croissance (6 % de SAU biologique en 2012). Pour accompagner ce dispositif, les producteurs peuvent bénéficier d'aides pour compenser les contraintes des changements, des investissements et des pertes de rendement. Entre autres, on peut citer les mesures agro-environnementales, le crédit d'impôt, les aides au maintien, à la certification et à l'investissement. Chaque aide a des conditions d'éligibilité différentes. L'impact économique n'est pas négligeable et il peut être intéressant d'adapter son projet pour répondre aux conditions. Après avoir étudié son projet, il faudra s'engager auprès d'un organisme certificateur. Le contrôleur réalise ensuite un rapport qui servira de base pour la certification de conformité, validant le démarrage de la conversion. Pour être reconnu « agriculteur biologique », il faut être contrôlé tous les ans par l'organisme certificateur et se notifier auprès de l'agence bio. Les préoccupations de tous les éleveurs concernent le prix de vente du lait. Si le nombre de conversions évolue de façon significative tous les ans, cela pourrait perturber l'équilibre du marché. Aujourd'hui, l'augmentation de la production permet de suivre l'évolution de la demande. Mais qu'en serait-il si la demande ralentissait ou si l'offre devenait supérieure à la demande ? De plus, les consommateurs sont favorables au bio mais ne veulent pas que les prix soient trop élevés pour ne pas diminuer leur pouvoir d'achat. Tout ceci pourrait mettre la pression sur le prix de vente du lait bio et diminuer l'écart avec le lait conventionnel. Avec les prix de vente actuels et le niveau des aides, tous les facteurs sont au vert pour saisir la chance de se convertir. »