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« LA RATION RICHE EN OMÉGA 3 À L'ORIGINE DES PROBLÈMES DE REPRODUCTION »

ALEXANDRE FAURIAT, VÉTÉRINAIRE DANS LA LOIRE

Les acides gras que contiennent les graines de lin peuvent modifier le comportement alimentaire de l'animal et avoir un effet sur sa reproduction.

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J'AI ÉTÉ APPELÉ DANS UN ÉLEVAGE d'une trentaine de vaches laitières hautes productrices dans le cadre d'un suivi de reproduction. Il y avait une dizaine d'animaux en diagnostic de gestation, inséminés 50 à 60 jours plus tôt et non revus en chaleur. Tous les diagnostics sont négatifs, et les ovaires présentent de très nombreux kystes.

Les animaux sont pourtant en bon état corporel, ont un joli poil et la production est plutôt en hausse. Les premières chaleurs post-vêlages sont bien observées dans des délais corrects, et les animaux inséminés en deuxième ou troisième chaleur, tous observés avec une cyclicité correcte. J'interroge l'éleveur pour savoir si quelque chose a changé ces derniers temps. Rien de particulier, si ce n'est qu'il est rentré dans la filière oméga 3 et qu'il apporte maintenant de la graine de lin extrudée dans la ration.

Nous analysons ses résultats individuels de contrôles laitiers et constatons que les TP sont dans des valeurs acceptables pour des vaches mises à la reproduction, et une nette hausse des TB.

Nous vérifions la cohérence de la ration qui comprend 8 kg bruts d'ensilage d'herbe, 16 kg bruts de maïs-ensilage, du foin à volonté, 1 kg de tourteau de soja, 500 g à 2 kg de concentré fermier (blé + triticale) selon le niveau laitier et 500 g de graines de lin extrudées depuis quelques mois. Le logiciel n'indique pas de problème particulier.

« UN TAUX DE CORPS CÉTONIQUES SANGUINS TROP ÉLEVÉ »

Je me penche plus précisément sur les animaux vides qui présentent des kystes. Je constate de très nombreux grains de maïs (bien attaqués lors de l'ensilage) dans les bouses. L'analyse des corps cétoniques sanguins pour diagnostiquer une éventuelle cétose révèle un taux de BOH(1) très élevé (supérieur à 2 mmol/l) montrant que ces animaux sont en train de puiser dans leurs réserves graisseuses malgré un état corporel normal.

Après interrogation de l'éleveur, il n'y a pas d'erreur faite lors du tarissement et les transitions alimentaires sont réalisées de manière satisfaisante.

Nous envisageons dès lors deux pistes : un manque d'énergie dans la ration et un déséquilibre azoté. Privilégiant la seconde, nous augmentons donc de 500 g par vache la quantité de tourteau de soja distribuée à ces animaux, et prenons rendez-vous trois semaines plus tard pour en contrôler l'effet.

À ce nouveau rendez-vous, les bouses des vaches présentent bien moins de grains, ce qui est bon signe. Les kystes sont toujours là et pas de chaleurs extériorisées. Les TB et TP sont stables. Les valeurs de BOH sanguins ont un peu diminué, mais restent trop élevées.

« LE RISQUE D'UNE SENSATION DE SATIÉTÉ PLUS RAPIDE »

Nous décidons d'augmenter la proportion de maïs-ensilage et sensiblement celle de concentré fermier en rehaussant les paliers de 500 g (une vache à 500 g passe à 1 kg, etc.). Douze semaines plus tard, après contrôle régulier, huit vaches sont revenues en chaleur et sept sont confirmées pleines, et pas de kystes identifiés sur les animaux ayant vêlé depuis.

Ce cas montre à quel point la relation entre l'alimentation et la reproduction est importante. Il montre également le danger que peut représenter l'apport d'acide gras dans la ration. En effet, sur le papier, ils augmentent clairement l'énergie de la ration. Par exemple, les différentes graines (colza, soja, et bien sûr lin) apportent environ 1,5 UFL par kg et les huiles et savons peuvent monter jusqu'à environ 2,5 UFL. Cependant il faut se rappeler que pour produire du lait, l'énergie la plus importante est apportée par les glucides. Et le moindre déséquilibre avec ce genre de ration a de fortes conséquences. Cela est d'autant plus vrai que l'apport des acides gras modifie le comportement alimentaire des bovins. Théoriquement, la régulation de l'ingestion se résonne en termes d'encombrement des aliments, qui est fonction de leur taille et de leur digestibilité physique (c'est-à-dire du temps qu'ils vont rester dans le rumen). L'apport des matières grasses dans les aliments va induire une régulation « énergétique », comme si les vaches avaient une sensation plus rapide de satiété. Elles n'ont plus faim et arrêtent d'ingérer. Cet arrêt plus précoce aura pour conséquence la non-augmentation des UF quotidiennement ingérées, voire même une diminution... Or, l'un des intérêts principaux de cet apport est l'augmentation des UF.

Cet effet de limitation d'ingestion est moindre si la ration est riche en matière azotée totale (MAT). Or, dans l'exemple que nous avons ici, l'apport azoté était déficitaire. Ce qui a eu pour conséquence une « double peine » pour les animaux. L'augmentation de la quantité de tourteau de soja d'un côté et de maïs-ensilage et de concentré fermier de l'autre a donc rééquilibré la ration. Pour le prochain hiver, il est envisagé d'établir une ration sans intégrer de graines de lin extrudées. Objectif : privilégier les matières produites sur la ferme (ensilage d'herbe) et peut-être ajouter de la luzerne.

« UNE BAISSE POSSIBLE DE LA PRODUCTION D'INSULINE »

Une autre donnée importante à avoir en tête avec les apports d'acide gras est qu'ils induisent une baisse de la production d'insuline, en lien avec un apport moindre de glucides. Or, l'insuline a un rôle capital en termes de reproduction.

En effet, elle intervient sur la maturation folliculaire à plusieurs étapes clés.

En conclusion, les matières grasses dans la ration sont un apport non négligeable d'énergie et permettent une meilleure valorisation du lait. Elles donnent aux animaux un meilleur poil et ont des actions bénéfiques sur la santé (inflammation, effet cardiovasculaire, etc.). Il faut cependant être prudent et garder en mémoire qu'un risque existe sur la production et la reproduction du troupeau.

Ce cas nous rappelle qu'en termes d'alimentation, ce sont les animaux qui « parlent » et non un logiciel de calcul de ration. Il est donc primordial qu'ils soient suivis régulièrement, surtout lorsqu'il y a des modifications.

(1) BOH ou beta-hydroxybutyrate est un corps cétonique marqueur de la cétose subclinique. Son taux doit être inférieur à 1,2 mmol/l au pic de lactation et tendre vers 0 ensuite.

Avec la distribution de graines riches en acides gras, il faut veiller à fournir une ration bien pourvue en matière azotée totale.

© THIERRY PASQUET

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