Nicolas Munier-Jolain « Les éleveurs ont des cartes en main pour se passer du glyphosate »
Le gouvernement maintient sa volonté de supprimer le glyphosate avec un plan de sortie envisagé dans les trois ans. Engagé depuis 2010 dans la réduction des pesticides, le réseau des trois mille fermes Déphy peut apporter des réponses.
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Connait-on le poids du glyphosate dans l’utilisation des pesticides ?
Nicolas Munier-Jolain : L’Inra et le réseau Déphy ont fait un état des lieux sur son utilisation dans mille fermes de grandes cultures et de polyculture-élevage de Déphy. Son analyse donne des perspectives, cela d’autant plus que cet état des lieux porte sur leurs pratiques à leur entrée dans Déphy en 2010-2011, et non après avoir engagé des mesures de réduction des pesticides. Hors bio, c’est une petite majorité qui l’utilise : 57 %. Le principal usage, 26 %, concerne la destruction des intercultures ou des adventices qui poussent dedans. Sans doute ce niveau est-il plus élevé aujourd’hui car depuis 2010, l’obligation de couvrir les sols l’hiver s’est accrue. Autre constat : seulement 10 % des traitements au glyphosate visent les vivaces. Or, la destruction des vivaces est souvent avancée pour justifier l’utilisation de ce produit. Enfin, 70 % des prairies temporaires sont détruites sans glyphosate. Cela signifie que dans la majorité des cas, les agriculteurs arrivent à s’en passer.
La suppression du glyphosate dans les trois ans est-elle jouable ?
N. M.-J. : Je suis confiant. Sa suppression est possible dans la majorité des exploitations. Le travail du sol est clairement une alternative au « sans glyphosate ». L’herbicide résout un problème d’organisation du travail. Pour schématiser, un passage de glyphosate va plus vite que deux passages de travail du sol. Or, selon les résultats de Déphy, ceux qui labourent utilisent cinq fois moins de glyphosate que ceux qui ne labourent pas. Attention, cela ne veut pas dire que la solution du travail du sol passe forcément par le labour. Il fait partie des leviers de travail du sol dans la lutte contre les adventices.
Faut-il craindre plus de dépenses en mécanisation et en consommation de carburant ?
N. M.-J. : La réponse est non. Toujours dans le réseau Déphy, les agriculteurs qui n’emploient pas le glyphosate ont des charges identiques à ceux qui en emploient. Ils n’ont pas nécessairement plus d’opérations de travail du sol mais ils interviennent à des moments différents dans leur stratégie de désherbage.
La suppression du glyphosate conduira-t-elle à une augmentation du recours aux autres herbicides ?
N. M.-J. : Je ne crois pas. Les agriculteurs qui n’utilisent pas de glyphosate ont un indicateur de fréquence de traitement (IFT) plutôt moins élevé, sauf peut-être chez ceux qui gèrent un problème de vivaces. La bonne nouvelle pour les éleveurs est que le levier majeur pour réduire les produits phytosanitaires est la prairie temporaire. L’analyse du réseau Déphy montre que dès lors que l’on diversifie une rotation simple de type colza-blé-orge par l’introduction d’une prairie temporaire, on utilise moins de glyphosate. C’est vrai aussi avec le maïs qui apporte une culture de printemps dans ces rotations simplifiées et peut se désherber mécaniquement. L’autre levier, encore à l’avantage des éleveurs, est l’implantation d’associations de céréales + protéagineux en interculture. Ce sont des couverts étouffants, dont les chaumes peuvent être détruits par un labour. Le labour est aussi une alternative pour la destruction des prairies. Cette capacité des éleveurs à s’adapter plus facilement se retrouve dans la réduction plus générale des pesticides. En moyenne, les polyculteurs-éleveurs de Déphy ont baissé leur IFT de 18 % depuis leur entrée dans Déphy quand les céréaliers n’ont pu baisser que de 8 %.
Quelles sont les conséquences pour l’agriculture de conservation des sols ?
N. M.-J. : La suppression du glyphosate casse la dynamique de ce mode de production qui peut réduire les phytos mais peine à se passer du glyphosate. Je n’hésite pas à le dire : c’est l’une des pistes vers l’agroécologie. Elle apporte de multiples bénéfices : lutte contre l’érosion, développement des vers de terre, circulation de l’eau dans le sol, pollinisation, biodiversité grâce aux couverts végétaux sur plusieurs années (N.D.L.R. lire p. 48), etc.
Propos recueillis par Claire HuePour accéder à l'ensembles nos offres :