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OPTIMISER LE POTENTIEL GÉNÉTIQUE À L'AIDE DE L'ÉPIGÉNÉTIQUE

L'alimentation, les maladies mais aussi certains polluants, comme les pesticides et les insecticides, peuvent modifier l'expression des gènes d'un animal.© CLAUDIUS THIRIET ET WATIER VISUEL

Ce nouveau concept s'intéresse à tout ce qui peut modifier l'expression des gènes d'un individu sans altération de son patrimoine génétique. Il est lié à des marques épigénétiques qui régulent le statut ouvert ou fermé de régions du génome.

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PRÉDIRE LES PERFORMANCES ZOOTECHNIQUES d'un animal en évaluant son potentiel génétique via le décryptage de son génome n'est plus suffisant. Une nouvelle ère s'ouvre pour les chercheurs : l'épigénétique.

QU'EST-CE QUE L'ÉPIGÉNÉTIQUE ?

Cette science s'intéresse à l'ensemble des modifications de l'expression des gènes d'un individu qui ne s'accompagnent pas d'une altération de son patrimoine génétique. Ces modifications ont la particularité de se transmettre de génération en génération, mais sont aussi réversibles. Le phénotype d'un individu concerné, c'est-à-dire ses traits de caractère, se trouve modifié. Prenons le cas de souris alimentées par un régime riche en méthionine. Elles vont développer une couleur de pelage différente des autres souris nourries de manière conventionnelle. Cette différence va durer quelques générations, puis disparaître. Autre exemple : un nématode (petit ver) exposé à l'état larvaire à une substance odorante sera attiré par cette odeur à l'âge adulte. Cette particularité va durer deux générations, puis cesser. « Dans ces deux cas, il n'y a pas eu de modification du génome, précise Ève Devinoy, directrice de recherche à l'Inra et responsable du laboratoire génomique et physiologie de la lactation. Le phénomène s'est transmis de manière transgénérationnelle, puis il s'est arrêté. »

COMMENT FONCTIONNE-T-ELLE ?

Le génome d'un individu, que l'on peut comparer à un grand-livre, représente l'ensemble de son matériel génétique. Il est présent dans chaque cellule du corps, mais l'ensemble des informations qu'il contient ne sont pas lues dans tous les organes. Les gènes des constituants du lait (protéines, lipides, sucres…) ne sont ouverts, par exemple, qu'à l'intérieur de la glande mammaire.

Cette lecture ciblée du génome est réalisée à l'aide de marques épigénétiques. On peut les comparer à des marque-pages dans un livre. Concrètement, ce sont des groupes méthyle présents sur l'ADN ou les protéines qui leur sont associés. Elles régulent le statut ouvert ou fermé de régions du génome et contrôlent ainsi l'expression des gènes. Ces marques se mettent en place très tôt, dès la vie foetale d'un individu. Celles des gènes des constituants du lait vont ensuite se renforcer à la puberté, puis se développer à chaque cycle ovarien.

POURQUOI S'INTÉRESSER À CETTE SCIENCE ?

Pour les animaux de rentes, l'intérêt est d'améliorer leurs performances zootechniques. Certaines marques épigénétiques sont favorables à l'expression des gènes et permettent donc à un individu d'optimiser son potentiel génétique. À l'inverse, d'autres ont un effet négatif et le verrouillent. L'objectif est donc d'agir sur l'environnement de l'animal afin de mettre en place des marques positives. Plusieurs domaines ont un impact sur ces marques comme l'alimentation, les maladies, mais aussi les polluants (pesticides, insecticides…).

Certains nutriments consommés par des vaches pourraient agir de manière positive sur les gènes des constituants du lait. Dans ce cas, on parle de nutrigénomique, l'une des branches de l'épigénétique. À l'inverse, certaines pratiques sont déconseillées, comme de nourrir des génisses avec un régime très riche durant leur croissance. Des tissus graisseux vont alors se former et pourraient être des médiateurs, à plus ou moins long terme, d'effets sur la mamelle. « Des marques négatives se poseraient sur les gènes des constituants du lait et l'empêcheraient d'exprimer pleinement son potentiel laitier. » Le mécanisme est le même avec les mammites qui dégradent l'expression des gènes.

OÙ EN EST LA RECHERCHE ?

Cette science est encore loin d'être entièrement appréhendée par les chercheurs. Ils tentent de comprendre comment ces marques se mettent en place. « Chez la souris, on connaît déjà la façon dont elles s'installent pour permettre la synthèse des protéines du lait. Nous souhaitons donc connaître ce processus chez les vaches laitières. »

Les chercheurs veulent aussi recenser toute la fresque des altérations possibles. Des questions restent encore en suspens, comme la transmission d'une génération à une autre. « Je ne pense pas que les marques impliquées dans la fabrication du lait puissent se transmettre aux générations suivantes, complète Ève Devinoy. En revanche, de telles marques imprimées simultanément sur les organes reproducteurs pourraient contribuer à l'induction d'une hypofertilité. » Chez la vache, l'objectif est aussi de mesurer que la mise en place de ces marques s'effectue de manière optimale afin de lui permettre d'exprimer au maximum son potentiel laitier. Par exemple, traire très tôt une vache une fois par jour a un effet négatif à long terme sur l'expression des gènes et provoque une diminution de la production laitière. « Même le retour à une traite biquotidienne ne permet pas de restaurer sa lactation. » L'idée est aussi d'apporter des connaissances sur l'impact de certains aliments. « Concernant les mammites, on pourrait imaginer qu'un éleveur puisse savoirsi l'une de ses vaches, dont un (ou des) quartier se révèle infecté, a des chances de le récupérer à la lactation suivante en observant simplement l'état de ces marques. »

NICOLAS LOUIS

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