« La récolte des dérobées ne doit pas pénaliser le rendement en maïs fourrage »
Récolter ou non ses dérobées ? Pour Emilie Turmeau, référente fourrage chez Elvup, la dérobée peut sécuriser un stock fourrager dès lors qu’elle n’altère pas le rendement en maïs fourrage. Et pour ce faire, mieux vaut miser sur les fauches précoces.
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Si la dérobée est parfois présentée comme une solution au changement climatique, parce qu’elle permet de tirer profit de la pousse hivernale de l’herbe, elle n’est pas adaptée à tous les contextes. « Avant de se lancer dans les dérobées, il faut se poser la question de la place qu’occupe le maïs dans son système fourrager », propose Emilie Turmeau, référente production fourragère au sein d’Elvup. Si le maïs assure le gros du rendement fourrager, attention à ne pas empiéter sur son potentiel. « Il y a des régions où les éleveurs font machine arrière », constate la conseillère. « Les fenêtres météo ne sont pas toujours au rendez-vous pour récolter l’interculture, et implanter le maïs dans de bonnes conditions. On peut vite se retrouver à semer son maïs au 15 mai dans un contexte très séchant, plutôt qu’au 10 avril dans un sol humide ». Et cela n’est pas sans impact sur le rendement fourrager de la parcelle : retarder le semis de maïs de quelques semaines peut faire perdre 2 ou 3 tMS/ha, alors que la dérobée offre parfois des rendements autour des 1 ou 2 tMS/ha.
Une fois avertis, les éleveurs ne doivent pas pour autant bannir cette stratégie : « cela peut être pertinent sur quelques parcelles pour sécuriser son stock fourrager à condition d’avoir une vraie stratégie de récolte ». La dérobée peut alors devenir une vraie sécurité. « L’idéal, c’est de peser ou cuber les silos pour avoir un aperçu de ses rendements et piloter les successions dérobées/maïs ». Le rendement de la dérobée cumulé à celui du maïs doit au moins être supérieur à celui du maïs seul pour présenter un intérêt.
Se fixer une date butoire, et s’y tenir !
L’essentiel est alors de se fixer une date de récolte maximale, et de s’y tenir. Mieux vaut récolter sa dérobée jeune, même si elle dispose encore d’un potentiel de croissance. D’autant que cela permet d’avoir des fourrages de qualité pour les vaches laitières. « C’est assez frustrant, car les seigles ou encore les légumineuses poussent vraiment très vite à l’approche du mois d’avril, quand les températures et la durée du jour augmentent. On se prive de cette pousse assez exponentielle, mais c’est pour le bien du rendement fourrager annuel de la parcelle ».
Mais encore faut-il avoir le temps de bien faire les choses : l’interculture reste une culture à part entière. Elle demande de la disponibilité en main-d’œuvre. « C’est un facteur que l’on sous-estime souvent sur les exploitations, mais qui est très structurant. Si l’on n’a pas de disponibilité pour bien récolter sa dérobée au printemps, on prend le risque de compromettre son maïs pour des questions d’organisation du travail », estime Emilie Turmeau.
Penser la dérobée à l’échelle de la rotation
Attention également à penser l’implantation de la dérobée à l’échelle de la rotation. Le triticale ou les mélanges de type seigle — trèfle – vesce peuvent favoriser le piétin échaudage par la suite sur céréales avec des rotations de courte durée. Penser également à la fertilisation du maïs fourrage après la récolte des dérobées. « Il faut amender son maïs en conséquence. L’implantation de légumineuse permet certes d’avoir de l’azote disponible pour le maïs, mais il ne faut pas oublier le phosphore et la potasse ». La dérobée joue également sur la réserve hydrique de la parcelle : « si l’on retarde la récolte de l’herbe, on peut difficilement compenser le fait que la dérobée ait pompé de l’eau ».
Côté rendement, les volumes rentrés sont assez fluctuants. « On est souvent entre 2 et 3 tMS/ha par coupe », précise Emilie Turmeau. Tout l’enjeu est ensuite de réaliser plusieurs coupes, et cela dépend surtout de la météo. « Il y a plusieurs stratégies. Soit on sème tôt — début septembre par exemple – pour essayer d’avoir une fauche d’automne et une fauche de printemps, soit on peut se permettre de semer un peu plus tard et essayer d’avoir une coupe en février et une coupe en mars ». Dans les faits, les doubles coupes sont assez rares : les fauches d’automne sont généralement assez humides et difficiles à conserver, de même que celles de février. « Les jours sont assez courts, et le soleil est encore bas dans le ciel ce qui n’aide pas à faire sécher les fourrages », décrit la conseillère.
Une sécurité fourragère qui coûte cher
D’autant que ce complément fourrager coûte cher. « Nous sommes sur des coûts d’implantation et de récolte assez proches des autres fourragères, mais pour des rendements bien moins importants », note Emilie Turmeau. « Mais cela peut sauver un stock », ajoute-t-elle.
Sur pied, les dérobées coûtent entre 80 et 140 € la tonne de matière sèche : des valeurs proches de celles du maïs fourrage. Mais avec de faibles rendements, les frais de récolte viennent gonfler le prix de la tonne de matière sèche rendu silo. « La tonne de matière sèche de ray-grass italien récolté en dérobée coûte entre 160 et 300 €, main d’œuvre comprise », détaille la conseillère. A titre de comparaison, la tonne de matière sèche de maïs fourrage revient généralement entre 125 et 180 € à l’éleveur.
Dans ce contexte, le premier levier à mobiliser pour sécuriser son stock fourrager est peut-être de travailler à la meilleure productivité des prairies ou du maïs. « Il faut vraiment évaluer son intérêt au cas par cas. Il y a des situations où cela peut libérer de la place pour d’autres cultures de ventes, d’autres où cela pénalise ».
Des fourrages à consommer rapidement
Les conditions de récolte rendent généralement les dérobées difficiles à conserver. « Ce sont des fourrages à consommer rapidement », tranche la conseillère. Les récoltes se déroulent dans des conditions humides, avec parfois des fourrages à moins de 25 % de matière sèche. « Les fourrages vont avoir tendance à ne pas rester stables dans le temps. La protéine risque d’être vite dégradée. »
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