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L’avancée inexorable des très grands élevages aux États-Unis

Les vaches ne sortent jamais mais les éleveurs ont beaucoup travaillé sur la conception des bâtiments afin d’assurer un bon niveau de confort en termes d’espace, de qualité du couchage, de ventilation et de luminosité.

Le modèle californien essaime progressivement dans tout le pays, entraînant la fermeture des fermes à taille humaine. Pourtant, ces unités de plusieurs milliers de vaches semblent peu durables tant elles reposent sur une main-d’œuvre illégale et exploitée, avec en plus un impact environnemental souvent délétère.

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Longtemps numéro un de la production laitière aux USA, le Wisconsin a construit sa filière laitière sur des fermes nombreuses et familiales alimentant un tissu local de fromageries. Ce modèle est aujourd’hui bouleversé. Le Wisconsin est l’un des États qui a perdu le plus de fermes laitières ces dernières années. Une véritable hémorragie qui n’a cependant pas affecté la collecte.

Avant/après. Les granges traditionnelles disparaissent progressivement et laissent la place à d’immenses bâtiments accueillant chacun plusieurs centaines, voire milliers, de vaches. (© P.Le Cann)
(© P.Le Cann)

Ancien salarié de l’Idele aujourd’hui à la retraite, André Pflimlin se pose en observateur de ces tendances. Son parcours professionnel lui a donné l’opportunité de découvrir la filière laitière états-unienne. Il est retourné dans le pays en 2022 et livre son analyse des évolutions. Il a notamment animé une séance sur le développement des très grands troupeaux laitiers dans le monde à l’Académie d’agriculture en juin 2024 (lire l’encadré, page 31).

Le nombre de fermes s’est effondré

Si le nombre de vaches laitières reste stable – autour de 9,3 millions depuis vingt ans – aux États-Unis, celui des fermes a dégringolé. De — 3 % par an entre 2012 et 2017, il a ensuite reculé de 7 % par an entre 2017 et 2022. Aujourd’hui, le pays compte environ 30 000 fermes, qui produisent au total quatre fois plus de lait que la France (100 Mt). Car la chute du nombre d’élevages s’est accompagnée d’une forte hausse de la taille des troupeaux et de la productivité des vaches. En 2021, 65 % des vaches vivaient dans des troupeaux d’au moins 1 000 laitières. 39 % du lait produit provient des 3 % de fermes comptant plus de 2 000 vaches.

(© GFA)

Les deux grands états laitiers que sont le Wisconsin et la Californie ont connu des évolutions différentes. Le premier a augmenté sa collecte et sa productivité par vache d’un tiers tout en multipliant la taille des troupeaux par 2,3 pour atteindre un effectif moyen de 203. En Californie, la collecte n’a que légèrement progressé mais le troupeau moyen est passé de 850 à 1 511 vaches. Dans cet état densément peuplé, le climat de type méditerranéen est peu propice à la production de fourrages. « La disponibilité en eau limitée et le durcissement des réglementations environnementales ont contraint le développement du lait », constate André Pflimlin. Des éleveurs californiens sont partis vers des régions plus favorables à leur expansion. Ils ont franchi les Rocheuses pour s’installer en Arizona, au Nouveau-Mexique ou dans l’Idaho. Progressivement, certains sont allés plus à l’est (Texas) quand d’autres sont montés vers les grands lacs. Partout, ils ont reproduit leur modèle, en plus grand.

Le stockage des effluents s’effectue dans des fosses creusées dans le sol et non étanches d’où un risque de pollution évident. (© P.Le Cann)

Un puissant soutien politique à l’agrandissement

Ils ont souvent bénéficié de l’appui des gouverneurs de ces états, peu regardants sur la consommation d’eau ou les risques environnementaux.

L’exemple de la fromagerie californienne Hilmar est emblématique. « Elle a ouvert une nouvelle usine au Texas en 2005, provoquant l’installation de 150 000 vaches dans une région semi-aride », explique André Pflimlin. « Depuis, cette nouvelle filière laitière, constituée d’élevages d’environ 5 000 vaches, pompe dans la nappe aquifère de l’Ogallala, tout comme les nombreux feedlots [NDLR : ateliers d’engraissement de bovins] déjà présents sur place. » La surexploitation de l’eau réduit le niveau de la nappe de manière inquiétante, sans réaction de l’administration. En choisissant de s’installer dans des États peu peuplés, les éleveurs et industriels laitiers se mettent à l’abri des réticences observées en Californie. Le coût relativement faible de l’énergie favorise ces installations à distance des bassins de consommation. Plus au nord, à une centaine de kilomètres de Chicago, c’est une ferme géante comprenant dix unités de 3 000 vaches qui s’est installée (Fair Oaks). L’une d’entre elles a aménagé un centre d’accueil pour le public. Elle reçoit 500 000 visiteurs par an et assure ainsi la promotion d’un modèle laitier présenté comme respectueux du bien-être des vaches.

On estime que 90% du lait produit aux États-Unis dépend d’une main-d’œuvre hispanique souvent sans papier. (© P.Le Cann)

L’installation de gigafermes dans le Wisconsin a profondément bousculé la filière existante. Dans un premier temps, jusqu’en 2010, les éleveurs locaux ont joué sur les atouts de l’herbe et sur la notoriété de leurs fromages pour maintenir leur modèle. Mais, en 2011, l’arrivée du gouverneur républicain Scott Walker a changé la donne. Ce libéral a voulu relancer la production laitière de l’État en favorisant les grosses unités via une réglementation permissive et des aides à l’investissement.

Cette politique a rapidement débouché sur une surproduction et une chute du prix du lait. La crise a duré cinq ans, pendant lesquels le nombre de fermes a diminué deux fois plus vite qu’ailleurs dans le pays. Rien qu’en 2019, 826 fermes laitières ont disparu, soit 10 % du total. Les troupeaux de moins de 200 vaches ont payé le prix fort. Les faillites ont également été dévastatrices sur le plan humain (dépressions, suicides). Seuls les éleveurs ayant développé la vente directe, souvent herbagers et bio et bien accompagnés par l’université du Wisconsin, ont résisté.

Le poids des systèmes herbagers s’écroule

À l’échelle du pays, la proportion d’exploitations en système pâturant (la moitié de la ration pendant la saison de pâturage) n’a que peu évolué, passant de 19 % en 2005 à 16 % en 2021. Il s’agit pour moitié de fermes bio. En revanche, leur poids dans la production laitière s’est effondré, passant de 7 à 2 %. Le coût social et environnemental de cette restructuration n’émeut pas vraiment les citoyens, même si certains s’alarment devant la dégradation de la qualité de l’eau.

« Ce modèle fonctionne grâce à une main-d’œuvre sous-payée venue du Mexique ou des pays voisins, prête à assumer des tâches qui n’attirent pas les travailleurs locaux », analyse André Pflimlin. Souvent sans papiers, ils travaillent dur et dans des États où il n’existe pas toujours de salaire minimum ni de paiement des heures supplémentaires. Par ailleurs, ces fermes emploient des nutritionnistes et des vétérinaires, généralement bien rémunérés, pour s’assurer d’un haut niveau de productivité laitière. Les mégafermes bénéficient des prix relativement faibles des céréales et de l’énergie. Il leur est donc facile de transporter des aliments, des animaux ou du lait sur de longues distances. L’irrigation reste également peu coûteuse. Bien souvent, les agriculteurs ne paient que l’entretien des digues. « Aux États-Unis, le sous-sol appartient au propriétaire du terrain », rappelle André Pflimlin. Une simple déclaration permet de pomper sans limite.

Menaces sur la main-d’œuvre et l’eau

La pérennité de ces atouts n’est pas garantie. La volonté de Donald Trump d’expulser les migrants illégaux constitue une lourde menace pour la filière laitière. Le principal syndicat des éleveurs laitiers (NMPF) se bat pour obtenir un statut pour les travailleurs permanents, à l’image de celui qui existe pour les saisonniers. Les Républicains, qui savent ce qu’ils doivent aux agriculteurs, pourraient se montrer sensibles à leurs arguments.

La raréfaction de la ressource en eau représente une autre menace. Le débit du Colorado est déjà ralenti et les conflits d’usage se multiplient. La disponibilité est meilleure dans les États du Midwest, ce qui explique en partie la migration de la production laitière vers cette région. La gestion des effluents pourrait aussi limiter le développement du lait. Certaines grandes fermes misent sur la méthanisation. Il existe des aides fédérales pour ces investisseurs. Plus généralement, ce modèle de production très intensif bénéficie largement des soutiens de l’État.

La course au gigantisme se poursuit

Enfin, le renouvellement des vaches laitières devient problématique. En cause, le rebond des prix de la viande qui booste les prix de vente des veaux croisés. Ces derniers se vendent désormais trois fois plus cher que les holsteins. La plupart des grands élevages laitiers dépendent des achats pour faire entrer des génisses dans leur troupeau, car les vaches font rarement plus de deux lactations. La concurrence avec la viande entraîne une réduction des disponibilités.

Ces citernes servent de tank à lait. La vente s’effectue souvent au jour le jour, en fonction des prix des différents industriels. (© P.Le Cann)

Cependant, la volonté de poursuivre anime les propriétaires de ces grands élevages. Tous ou presque considèrent leur ferme comme familiale et se plaisent à montrer les photos illustrant les différentes phases d’investissement. Souvent créée par l’un de leurs aïeux, elle leur a été transmise pour qu’ils la fassent prospérer avant de la confier à l’un de leurs descendants. Pour ne pas rompre avec cette tradition, les « farmers » travaillent sans relâche. Cette course au gigantisme ne semble pas près de s’arrêter.

* Éleveur laitier herbager qui a participé au voyage.

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